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Mais des voitures de police encadraient l’ambulance devant l’immeuble de Beth et, quand Leo passa à côté, Cassie vit deux infirmiers sortir du hall un brancard à roulettes sur lequel était allongé un corps recouvert d’un drap.

« Stop, murmura Beth.

— Je ne peux pas.

— Leo, bordel !

— Je ne peux pas m’arrêter, Beth. On ne devrait même pas être si près.

— Bon Dieu ! »

Il accéléra, mais en prenant soin de ne pas attirer l’attention des policiers. Beth cogna du poing sur le tableau de bord et se mit à pleurer… des sanglots étouffés, trop discrets pour réveiller Thomas. Au coin de la rue, Leo tourna à gauche pour reprendre la multivoie.

Après avoir fait le plein dans une station-service National Oil à Cheektowaga, Leo s’inséra sur l’autoroute qui conduisait à Cleveland en épousant la longue courbe du lac Érié. Thomas dormait par intermittence, la tête sur l’épaule de Cassie qui regardait les panneaux de sortie annoncer des petites villes au nom agréable à l’oreille : Mount Vernon, Wanakah, Pinehurst. Des rais de soleil de novembre lui passaient en oblique sur les yeux. De temps en temps, Leo entrouvrait sa fenêtre pour laisser entrer des rafales d’air glacé. L’autoroute à quatre voies scintillait, effet des particules de mica et des mirages de soleil.

Cassie garda le silence par respect pour le chagrin de Beth. Leo avait déjà dit tout ce qu’il était possible de dire, y compris que le corps sur le brancard n’était peut-être pas le père de Beth. La jeune femme s’était réfugiée dans une indifférence maussade et inflexible. « Je ne veux pas en parler. » Aussi personne n’ouvrait la bouche.

Une fois dans l’État voisin, Leo quitta l’autoroute au profit du réseau secondaire sur lequel, d’après lui, ils couraient moins de risques d’être suivis. Dans l’Ohio, aux alentours de Medina, il s’arrêta dans une autre station-service pour remplir le réservoir et se servir des toilettes. Cassie et Beth s’y rendirent l’une après l’autre sans prononcer un mot. Sur la banquette arrière, Thomas se plaignit de la faim. Cassie alla dans la boutique lui acheter une barre de chocolat (Hershey’s aux amandes), en prit une autre pour elle ainsi qu’une bouteille de jus d’orange qu’ils se partageraient. Elle acheta aussi un cahier d’activités qui, se dit-elle, pourrait le tenir occupé. Casse-tête, labyrinthes, jeux de points à relier. Il regarda le cahier avec mépris. « On rentre à la maison, maintenant ?

— Non. Tu le sais bien.

— On va dormir où, alors ?

— On va s’arrêter dans un motel, j’imagine. Bientôt. »

Le soleil glissait vers l’horizon quand Leo brancha le chauffage anémique de sa Ford. Lodi, Mount Gilead, Cardington : toutes ces petites villes, pensa Cassie. Ici une rue principale, une quincaillerie et un restaurant chinois avec une enseigne au néon en forme de dragon. Là une église joliment blanchie à la chaux avec un clocher en bois. Ou encore les dernières feuilles mortes de la saison, emportées par le vent dans les caniveaux et sur les appuis des fenêtres.

De petites maisons avec de la lumière jaune derrière les rideaux tirés aux fenêtres. Les demeures de gens qui n’avaient jamais vu et ne verraient jamais que la surface du monde. Cassie se dit qu’elle avait été comme eux un jour. C’était le monde duquel elle avait été bannie : chaud comme une couverture d’hiver, vu et abandonné au même moment. Elle l’aimait d’un amour d’exilée. Il défilait à l’extérieur de la voiture en couleurs de plus en plus passées. Elle fut tentée de lui faire au revoir de la main.

4

Campagne du Vermont

Une fois le sim hors d’état de nuire — le pistolet à impulsion de 300 kV était d’une efficacité spectaculaire —, Ethan le traîna dans la cave.

Quoi qu’il fasse, il faudrait qu’il le fasse vite. Le sim était venu sans armes en demandant à lui parler et peut-être était-il important de découvrir pourquoi. Ethan ne pouvait cependant pas perdre de temps. De toute évidence, l’hypercolonie savait où il habitait. Aussi le congé sabbatique d’Ethan à la ferme était-il terminé et chaque seconde qu’il y passait encore le mettait-elle en danger.

Dans l’intervalle, ses caméras, détecteurs et alarmes automatiques continueraient à repérer les intrus. Il attacha le sim inconscient sur une lourde chaise avec du ruban adhésif, puis remonta réfléchir à ce qu’il pouvait faire.

Il ramassa la veste et la chemise du sim sur la véranda. Toutes deux provenaient de magasins de milieu de gamme très répandus. Il trouva un portefeuille dans la poche de la veste, chose qui sortait de l’ordinaire.

Les assassins de 2007 n’avaient aucun papier d’identité sur eux, ce qui était l’une des raisons pour lesquelles les enquêtes locales et fédérales n’avaient rien pu apprendre d’utile à leur sujet. (Les importantes singularités des cadavres des rares sims tués à ce moment-là en étaient peut-être une autre.) Ethan ouvrit le portefeuille avec précaution.

Il contenait 150 dollars en billets de dix et de vingt, ainsi qu’un certain nombre de cartes, dont deux de crédit de marque très connue, une de sécurité sociale et un permis de conduire. Le tout au nom de Winston C. Bayliss. Sur le permis figuraient une adresse postale (22 Major Street, Montmorency, Pennsylvanie) et un cliché plastifié qui ressemblait au visage de la chose au sous-sol.

Intéressant. Il restait bien des mystères, au sujet des simulacres. Aucun des survivants de la Correspondence Society n’avait réussi à déterminer de quelle manière ils prenaient apparence humaine ni dans quelles proportions ils avaient infiltré l’humanité. Alors comment une monstruosité artificielle en était-elle venue à avoir un numéro de sécurité sociale ? Avait-elle volé l’identité du véritable Winston Bayliss (vraisemblablement décédé, à présent) ? Ou peut-être les cartes étaient-elles tout simplement fausses ?

Quelle situation cela était-il censé dépeindre à Ethan ? Celle d’un monstre inhumain qui vivait paisiblement dans une petite ville de Pennsylvanie en attendant le moment idéal pour frapper ? Ou, plus absurde encore, celle d’un monstre inhumain produisant de faux papiers d’identité sur une presse d’imprimerie clandestine ? Et pourquoi Bayliss (appelons-le comme ça pour l’instant) était-il venu à la ferme avec ces documents sur lui en sachant qu’ils risquaient de tomber entre les mains d’Ethan ?

Mais il n’y avait en réalité qu’une seule question, qui éclipsait toutes les autres : pourquoi Bayliss était-il venu sans armes et apparemment sans défense ?

Il fait plutôt frais, dehors, avait dit la créature. Puis-je entrer vous parler ?

Elle avait aussi dit autre chose : Vous savez ce que je suis.

« Ouais, je sais ce que t’es. » En vivant seul, Ethan avait pris l’habitude de réfléchir à voix haute. Ses mots résonnèrent entre les murs de la cuisine. « Et je sais que t’écouter ne sert à rien. »

Véritablement à rien, parce que si les découvertes d’Ethan et les suppositions de la Correspondence Society étaient exactes, ce ne serait pas « Winston Bayliss » qui parlerait, mais l’hypercolonie elle-même, à laquelle Winston servirait de marionnette. Et l’hypercolonie mentirait. Plus précisément, elle dirait ce qui servait ses intérêts. La différence entre vérité et mensonge n’avait aucun sens pour elle, peut-être même n’en percevait-elle aucune. Les paroles humaines qu’elle produisait n’avaient d’autre objectif que de manipuler le comportement des humains.