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San-Antonio

LES DEUX OREILLES
ET
LA QUEUE

Roman grimpant d’une extrême beauté, avec plein de ramifications, de mots dégueulasses et de poils frisés. Retenu par le jury du Prix Goncourt pour ses vacances.

Pour Patrick SÉBASTIEN

qui n’a pas que du talent.

Avec ma tendresse fraternelle,

San-A.

CHAPITRE PREMIER

IL EXISTE DE LA FUMÉE SANS FEU

Kalel dort, la face enfouie dans son oreiller.

Sous l’oreiller se trouve un pistolet en parfait état de marche, avec huit balles dans le garde-manger.

Sous le pistolet, il y a le drap, puis le matelas et enfin le sommier.

Sous le sommier est planquée une valise de fer.

On dira encore, pour être exhaustif, que sous la valise s’étend la moquette et, par-dessous cette dernière, le plancher.

On s’arrêtera là, pas trop faire chier le lecteur qui n’est pas entré dans cet ouvrage pour ça.

Kalel rêve à une dame qu’il n’a jamais vue, mais qui a le feu au cul. Littéralement, puisque de longues flammes rousses comme l’a été à deux ou trois reprises Mme Dalida, lui sortent de la raie culière.

D’ailleurs ça pue le cramé. On se croirait devant un barbecue.

Et justement, voilà les pompiers qui se pointent en pim-ponnant à tout-va. Kalel se dit dans son subconscient qu’ils ne vont pas arriver à temps. Ça flambe trop fort. Le cul à la dame rousse pourrait jouer dans « Les remords de l’évêque Cauchon ». La fumée se faufile dans les bronches de Kalel, dans ses poumons. Il étouffe. Ça le réveille. Il se dresse sur son séant, en sueur, avec un goût de suie dans la bouche. Un goût poisseux. Il voit la chambre emplie de fumée. Il entend ronfler un brasier, pas très loin. Des gens remue-ménagent en glapissant « Au feu ! ». La tire des pompelards est stoppée devant l’hôtel.

Kalel saute de son pieu pour cavaler à la lourde. Miséricorde ! Le palier est en feu. Pas mèche de plonger dedans. Alors il court à sa fenêtre, du moins, le veut, seulement un terrible vertigo le biche. Il sent ses genoux fléchir. Il s’écroule sur la moquette. La fumée envahit la pièce, tout est flou, hallucinant. Kalel se dit « que merde, franchement, c’est trop con ! » Il est au bord du néant, à demi défenestré de la planète Terre.

Il perçoit des bruits de plus en plus forts. Il croit comprendre qu’on frappe à coups de hache dans les volets de sa piaule qu’il a cadenassés. Ensuite il reconnaît le cliquetis du verre pulvérisé. Dans l’âcre opacité qui l’environne, il lui semble déceler un pompier à frime de cauchemar, car il a un masque à gaz sur le museau, ce qui le rend vachement morbide. Le pompier s’empresse, lui plaque quelque chose sur le nez et la bouche. Kalel en éprouve aussitôt du bien-être. Un sauvage contentement le porte à l’euphorie. Il voudrait hurler de joie. Le brave pompelard le charge sur ses épaules en trois temps : un coup pour l’arracher du sol, un autre pour se baisser, un troisième, hop ! pour le placer sur son dos, les bras pendant par-derrière. Sacré brave pompier !

Kalel ignore que le vaillant sauveteur se nomme San-Antonio. Il l’ignorera toujours.

Au plus lointain de son affaiblissement, Kalel dédie une pensée à sa valise métallique sous le lit. Elle va cramer avec l’Hôtel des Voyageurs. S’être donné tant de mal pour en arriver là !…

Mais l’essentiel est de vivre, non ? Du moins, encore un peu. Car personne n’est jamais sauvé ; simplement « prolongé ». Seulement, si on prenait vraiment conscience de la chose, on irait se pendre dans la première grange venue.

* * *

Pendant que les pompiers chargent Kalel dans une ambulance rouge, sur le palier du second étage où il logeait, un homme s’active. Il porte un masque, tout comme le sauveteur de Kalel. Mais il est en civil : pantalon de velours côtelé, blouson en simili cuir. Il est roux violent, ce type. Il a des gestes précis pour neutraliser son fourbi de fumigènes qui dégagent une fumée soporifique, et éteindre les feux de bengale si impressionnants.

Depuis le bas de la cage d’escalier, l’hôtelier, M. Valentin lui demande à la cantonade si « votre bordel a fait du dégât » ; mais à cause de son masque, l’homme roux ne peut répondre, et alors M. Valentin se fait un sang d’encre. Les flics, c’est bien beau : ils promettent monts et merveilles, seulement après, quand tu veux te faire rembourser, tiens, fume ! C’est le cas de le dire !

* * *

Dans l’ambulance, un infirmier fait une piqûre à Kalel. Il lui promet que rien de grave. Il s’en sortira. Les poumons un peu atteints par la fumée, mais, selon lui, au bout de quelques jours, il pourra aller à la montagne se refaire une plèvre. Kalel ne répond rien. Maintenant qu’il se sait sauvé, il se met à déplorer vachement fort sa valise métallique. Que vont dire les autres ? Ça risque de chier rouge pour sa pomme. La piquouze l’expédie dans le sirop. Une petite infusion de néant, c’est toujours bon à prendre.

— Ça a été comme ça ? demande le lieutenant Laurent au pompier assis à son côté dans la cabine du gros véhicule.

Le pompier San-Antonio caresse le flanc de la valise métallique posée sur ses genoux.

— Un vrai velours, lieutenant.

Laurent a beau être un homme discret, tu ne l’empêcheras pas de se poser des questions ni de les laisser déborder un brin.

— Je ne vous demande pas à quoi tout cela rime, dit-il, avec l’espoir que son voisin de banquette éclairera sa lanterne.

— Vous êtes très gentil, répond le pompier San-Antonio.

Il n’ajoute rien. Bon, top secret ! Le lieutenant Laurent a un léger soupir de regret et se résigne à l’ignorance.

CHAPITRE II

LES VOYAGEURS SANS BAGAGE

Ces messieurs entourent la valtoche comme s’il s’agissait d’un sarcophage qu’on vient de mettre à jour.

Il y a là le nouveau dirlo de la Rousse (le successeur de celui qui a succédé à Bérurier), un vice-sous-secrétaire d’Etat, le commandant Flanel (qui appartient à l’antenne de l’Elysée), plus un grand de la D.S.T. dont j’ai oublié le nom parce que je ne me le rappelle plus.

— Tout s’est bien passé, commissaire ? me demande mon « boss » d’un ton négligent, comme si la chose allait de soi.

C’est un petit gros, déplumé du dessus, qui devient écarlate au moindre effort (ouvrir un tiroir de son bureau lui en est un).

— Parfaitement bien, réponds-je.

Je déteste les aréopages. Ces gens qui ne sont pas de parole, mais de parlote, grenouilleurs d’antichambres ministérielles, francs comme des Wisigoths, toujours prêts à t’envoyer à la castagne à l’œil pour te désavouer quand les choses tournent mal, et qui s’approprient tes victoires pour ne te laisser que le sparadrap et le mercurochrome ; ces gens, donc, me bassinent le bassin, m’oignent les précieuses à l’huile d’hypocrisie et, pour te dire tout une grande bonne fois, me flanquent une incoercible envie de gerber.

Je les contemple, saisis d’effroi, paltoquets décorés en cours de gradation, bassement avides, louches comploteurs et cireurs de pompes patentés ; les contemple en remerciant le Seigneur de ne m’avoir point fait à leur image, mais harnaché de défauts différents des leurs et nanti de quelques qualités qui me servent de tromboling.

— Vous avez ouvert cette valise, commissaire ? questionne le sous-machin-au-chose.

— Non, monsieur le ministre, lui vaporisé-je, manière de faire frémir sa pauvre bibite colimaçonne dans son slip pour cul étroit.