Alors là, elle a un brusque affaissement de la voûte plantaire.
— Mais ce n’est pas possible : je n’ai rien fait !
— Tu as décrit le fonctionnement du système d’alarme…
— Mais, pas vraiment…
Bon, pas besoin d’un tire-bouchon à pédales ou de forceps à ressort pour l’accoucher, Francinette. Dans son éplorance elle raconte tout bien, la façon dont elle a fait connaissance avec ce type qui se faisait appeler Rosa-Larose. Un grand brun aux tifs luisants et au regard de loup affamé, sapé mylord, avec ribouis en autruche frileuse. Il est venu louer un coffiot, un jour. Il tenait un attaché-case de P.-D.G. à la main. Ses fafs étaient au blaze de Lucien Rosa-Larose. Un garçon d’une trente-cinquaine damnée, qui ne riait pas. Il est revenu à plusieurs reprises dans les jours qui ont suivi. Un après-midi que Francine l’escortait avec la seconde clé (celle de la banque) jusqu’à sa case trésor, il s’est mis à la fixer comme l’aurait fait un hypnotiseur. Puis il a saisi son menton dans sa main et lui a roulé une galoche sauvage. Un vrai caméléon, Lulu. Te lui mignardait la luette (gentille luette du bout de la langue) : un exploit dans le genre. Qu’elle a retapissé directo les possibilités découlant d’un tel mouille-timbres, la gosse, portée comme elle est sur le chibraque. Il lui a posé le ranque. Banco ! Ça été la jaffe bien superbe à la Maisonnette Russe, rue d’Armaillé, là que fréquente mon illustre chosefrère Guy des Cars. Caviar, blinis, champagne, côtelettes pojarsky, timbale Catherine la Grande. Les Mille et Une Nuits pour la mignonne. Musicos moulinant Les yeux noirs, Le temps du muguet à leur table ; qu’elle en mouillait plein sa culotte, Francine. Une féerie dans ce divin endroit où chaque client est traité comme un tzar (avant la révolution d’Octobre). Ensuite il l’a ramenée chez elle, et l’a vergée galamment. Pas le coup de queue apocalyptique, elle me rassure par politesse ; tout à fait rien de commun avec nos exploits d’il y a peu. Mais la bonne troussée sans ambages, délicatement menée. C’est tandis que mam’zelle s’essorait le fion qu’il a placé sa vraie botte : sa botte secrète. L’air de ne pas y toucher. Francine accomplissait un petit trot angliche sur son bidet, lui se fourbissait Nestor au lavabo. C’était l’heure où les lions vont boire, où les gens mariés pètent au lit en se tournant le dos et où les amants s’apprêtent à se prendre congé.
Il s’est mis à la chambrer sur son boulot. Il a dit comme quoi les coffres de la banque lui paraissaient mal protégés car il n’avait décelé aucun système d’alarme.
Alors la môme, tout en continuant de blutionner mister Frifri et ses belles moustaches, s’est fichue de lui. Qu’est-ce y l’imaginait, Lucien ? Super-sophistiqué, au contraire, le dispositif. Incorporé dans des rainures larges d’à peine un millimètre. Tu passes devant, et vraoum ! ça zinzibule tous azimuts. Tu peux pas parcourir plus de trois mètres sans rameuter les troupes poulardières, et ce dans n’importe quel sens. Voilà ce qu’elle lui a lâché. Imprudente ? Sans doute. Mais elle avait pas prêté serment sur la Bible de ne rien moufter à ce sujet, merde ! On flanque pas les honnêtes filles au trou à cause d’une réplique destinée à exalter le prestige de la banque. Si ? Qu’on la tracasse et elle se plaindra à la C.G.T., promis. D’abord elle va s’inscrire au chômedu, bien fait ! Et qu’est-ce y casquera ? Le contribuable une fois de plus !
Je bouffe ses protestations à pleines dents. Un mignon concerto pour la main droite, interprète en soliste sur sa chaglatte, et le beau fixe lui revient. Chez les natures sensuelles, c’est kif avec les Légo ; tu défais et tu remontes, c’est interchangeable.
Je lui demande si elle a revu son tombeur depuis leur tournée des archiducs.
Oui : une fois. Il est revenu à la banque le surlendemain pour visiter son coffre, et il y est resté très longtemps. Quand il a sonné Francine pour la fermeture conjointe du C.-F., elle lui a taillé une petite pipe expresse entre les coffres. Lucien a annoncé qu’il partait une huitaine aux Zuhessa pour affaires. Il a promis une monstre partie de régalade à son retour. Il allait te lui barguigner le flamant rose jusqu’à ce qu’elle en oublie sa date de naissance, juré !
J’écluse le café.
La gosse redevient pressante des miches. Elle réclame un petit rabe de paf, juste pour dire ; la triquée du départ, par politesse.
Mais bibi obnubile un peu sur le labeur, maintenant que son sensoriel fait de la chaise longue.
— Un instant, ma Suprême, soupiré-je. Je veux que tu te concentres à outrance. Fouille à bloc ta jeune mémoire, revis par la pensée chacune des secondes que tu as consacrées à ce brave garçon et trouve-moi, à travers tes souvenirs, des détails qui permettraient de mieux le situer. Pense à ce qu’il t’a dit, t’a fait, t’a montré, ou à ce que, fine mouche, tu as surpris de lui. Oublie boniments et coups de bite pour passer en revue le personnage. Tu n’as pas partagé des heures d’intimité avec lui sans qu’il ait laissé échapper des mots, des gestes, voire sans te découvrir des papiers ou autres objets particuliers. Il faut que nous le retrouvions, lui et sa bande, dans les heures qui viennent. Ton intérêt l’exige.
Faut lui reconnaître une chose, Francine : la bonne volonté. Et paix sur la Terre aux gens de son espèce ! La voilà qui s’écarte de moi, se love sur ses coussins délicats dont l’un représente un pierrot à larme, et l’autre un coucher de soleil sur un lagon. A petits gestes, elle se caresse la motte et les roberts, sa main gauche ignorant ce que perpètre la droite. Elle réfléchit en grande conscience, yeux fermés. Le carillon Westminster de Mme Musardier y va d’une demie bien tassée. La demie de quelle heure ?
— Je ne sais pas si ça peut t’intéresser, dit vivement Francine, mais je crois que je tiens quelque chose.
— Je suis un esprit curieux, ma gosse. Tout m’intéresse. Aboule et tu auras droit à ta rincelette.
Elle ne se le fait pas répéter, comme tous les bons entendeurs.
Salut !
CHAPITRE XI
ÇA SENT LE BRÛLÉ
Ils arrivèrent par le vol de dix heures.
Ils étaient deux : Boris et un autre qui ressemblait à un joueur de banjo sud-américain, ou bien à Groucho Marx basané…
Ils avaient retenu une auto chez Avis par l’intermédiaire de leur agence de Vienne et les formalités furent brèves. Le préposé demanda une estimation quant au temps de location du véhicule et Boris répondit que c’était pour la journée. Ils n’avaient pas de bagages. A dix heures quarante ils quittaient le parking de Roissy 1 après avoir appelé Kalel d’une cabine publique afin de lui confirmer l’heure du rendez-vous.
Le temps était gris, en ce début de novembre ; une bise mordante bousculait les feuilles mortes. Boris remonta le col de son élégant pardessus en vigogne, si léger. Il laissait piloter Stevena, lequel connaissait mieux Paris et sa banlieue que lui.
La circulation plutôt fluide permettait de rouler à une honnête moyenne. Stevena prit le périphérique Ouest. Il paraissait songeur.
— N’oublie pas de passer prendre le cadeau, lui rappela Boris.
— Evidemment, grommela le conducteur.
Une demi-heure plus tard, il roulait sur l’autoroute de l’Ouest. Une Renault 5, Le Car, stationnait sur la bretelle de Saint-Germain-en-Laye. Ses feux de détresse clignotaient. Stevena emprunta la rampe et alla se placer devant l’auto à l’arrêt.
Un homme descendit alors de celle-ci. Il était ventripotent et portait un manteau de cuir trop serré à la taille, ce qui le faisait ressembler à un « 8 » mal fagoté. Il tenait un sac en plastique à la main et s’approcha des deux hommes.
Stevena baissa sa vitre.