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— Salut, fit l’homme, j’attends que le ciel me tombe sur la tête.

— Les rues s’ouvriront avant ! répliqua Stevena.

Le type au manteau de cuir lui tendit alors son sac et regagna son auto après un hochement de tête indifférent. Stevena passa le sac à Boris. Boris l’entrouvrit, regarda à l’intérieur, puis, négligemment, le déposa entre ses pieds. Stevena repartit, franchit la route et prit la rampe descendante pour regagner l’autoroute.

Il roula jusqu’à l’embranchement suivant, attendit à un feu rouge et continua en direction de Versailles. Il allait lentement. La route longeait des pépinières. Au bout d’un kilomètre environ, le conducteur obliqua dans une voie étroite menant à une vaste demeure qui paraissait inhabitée. Il stoppa devant le perron et attendit. Tout était tranquille. Des corbeaux croassaient dans les ramures d’un gros arbre à demi effeuillé. L’ambiance n’était pas folichonne.

— Eh bien, allons-y ! décida Boris.

Sa tête ressemblait au poing d’un charretier irlandais : elle était grossière, rousse, et exprimait la force brutale.

Suivi de son compagnon, il escalada les quatre marches du perron et toqua au volet de bois tiré sur la porte-fenêtre. Aussitôt, celui-ci frémit, puis s’ouvrit à moitié. Kalel les attendait dans une pénombre vénéneuse fleurant le moisi.

Ils se saluèrent de la tête mais ne se donnèrent pas la main. Kalel avait l’air d’un oiseau de nuit meurtri par le jour.

— Venez par ici, dit-il, j’ai ôté les housses de trois fauteuils et apporté un flacon de cognac.

Il poussa une porte à double battant dont les carreaux étaient taillés dans du miroir. Un vaste salon apparut aux visiteurs. Désert et froid. Les sièges revêtus de housses grises avaient l’air de fantômes, à l’exception de trois fauteuils crapauds disposés en triangle autour d’une table basse. La bouteille annoncée par Kalel trônait au centre de cette dernière ; on eût dit le moyeu d’une roue sarrasine.

Ils s’assirent au gré de leur impulsion.

— Je n’ai pas de verres, déplora Kalel en montrant la bouteille.

— Nous n’avons pas envie d’alcool pour le moment, fit Boris. Bon, je vous écoute.

Kalel battit des paupières devant le dur regard d’acier qui le sondait. Il promena sa langue sèche sur ses lèvres plus sèches encore et entreprit le récit de ses mésaventures. Il raconta le faux incendie de l’hôtel, l’intervention des pompiers, son transfert à l’hôpital. Il s’exprimait par phrases brèves et d’une voix un peu morne de vaincu. Boris l’écoutait en balançant une jambe. Stevena mordillait les peaux mortes de ses doigts, s’interrompant pour les crachoter à petits pets idiots.

Lorsque Kalel eut achevé sa narration, Boris soupira :

— C’est tout ?

— Peut-être pas, dit Kalel.

Il sortit une coupure de presse de sa poche et la défroissa sur son genou avant de la présenter à Boris.

— Vous lisez le français ?

— Seize langues, rétorqua l’interpellé.

Il prit connaissance du papier de France-Soir relatif à la valise volée.

— Qu’est-ce qui vous donne à croire qu’il s’agit de… « la nôtre » ? demanda-t-il.

— Je me suis renseigné à propos du Laboratoire Pill or Face, murmura Kalel.

— Alors ?

— Il n’existe pas. C’est juste une plaque bidon sur la porte d’un local occupé par une branche parallèle de la police.

Boris acquiesça.

— Les flics auraient logé la valise dans un coffre de banque, et aussitôt après des malfaiteurs auraient pillé la chambre forte ?

— Pourquoi pas ?

— Oui, dit Boris, en effet : pourquoi pas ?

— Je propose de surveiller les faits et gestes des flics, annonça Kalel qui avait l’air de s’animer.

— Pas vous, dit Boris.

— Pourquoi ?

— Vous êtes brûlé.

Le mot fut désagréable à Kalel. Il joignit ses mains, fit craquer ses jointures, Boris se baissa et ouvrit le sac de plastique. Il y prit un pistolet de gros calibre équipé d’un silencieux.

Kalel sentit que ses yeux se cernaient. Une envie de vomir lui noua les tripes. D’un bond, il jaillit de son fauteuil et s’élança vers la porte. Boris tira deux balles au jugé.

La première se perdit dans le lambris du mur, la seconde pénétra dans le dos de Kalel qui parut ne pas s’en apercevoir et poursuivit sa fuite. Boris grogna, redressa le canon du pistolet et lâcha le reste du magasin.

Cette fois Kalel s’effondra. Une balle lui avait traversé le cou et il s’agitait au sol comme un chien écrasé. Boris s’approcha de lui et l’acheva à coups de crosse. Après quoi, il sortit une peau de chamois de sa poche et essuya l’arme minutieusement.

Il s’agissait de ce qu’ils appelaient dans l’Organisation un pistolet sacrifié. Boris le jeta auprès du corps, puis retourna à sa place pour se saisir de la coupure de presse demeurée sur la table basse.

Stevena était déjà dehors et faisait tourner le moteur. Lorsque Boris l’eut rejoint, il grogna :

— Il va falloir s’occuper de ça !

Il agitait le morceau de journal relatant le cambriolage des coffres.

— Je croyais qu’on rentrait dans l’après-midi ? objecta le conducteur.

— On va prévenir Vienne, ils décideront.

CHAPITRE XII

ON SENT QUE ÇA VIENT

En me pointant au P.C., j’interroge Mathias du regard et il me répond d’un battement de cils, ce qui signifie qu’oui, y a du nouveau.

— Les mecs ont appelé ?

— Il y a moins d’une heure, monsieur le commissaire, jubile le beau blond teint au minium. (Il tripatouille l’enregistreur branché sur le biniou.)

— Voici la communication, me déclare-t-il.

Il enclenche son bouzin. Je perçois distinctement notre sonnerie d’appel ; puis la voix unie du Rouquemoute :

— Ici Laboratoires Pill or Face, j’écoute.

Une voix, de toute évidence déguisée, déclare :

— Je voudrais parler au directeur.

— Il est absent pour le moment, c’est de la part ?…

— Il sera là quand ?

— Avant midi, probablement. Y a-t-il un message ?

— C’est personnel, je rappellerai.

Clic.

— Tu aurais dû te faire passer pour le directeur, bougonné-je.

Mathias ne s’émeut pas.

— Les directeurs de laboratoire ne répondent pas eux-mêmes au téléphone, voyons, monsieur le commissaire.

— Très juste.

— Il s’agit fatalement de nos pieds nickelés.

— Fatalement, renchérit l’Incendié, puisque le laboratoire n’existe pas.

— A moins qu’un petit rigolo ayant lu France-Soir cherche à se rendre intéressant ou à affurer de la braise.

— Possible, mais improbable, répond mon petit pote. Un fumiste aurait tout de suite fait allusion à la valise. Du moins, me semble-t-il.

La porte s’ouvre sur Lefangeux et une saine odeur de poissecaille envahit nos locaux. Le Boursouflé renifle une très jolie stalactite à tête verte. Il nous serre la louche sans piper.

— Il t’arrive de te fringuer en civil, quelquefois ? lui demandé-je avec humeur.

Le grand flandrin rougit et perd un peu de son self.

— Pourquoi vous me dites ça, commissaire ?

— Avec tes bottes et ta tenue verdâtre, tu ressembles vaguement à un soldat du génie ; ou bien t’as l’air de jouer dans Raboliot : tu fouettes la barque de pêche sur les bords de la Loire, dans les aurores.

Mon « nouveau » murmure :

— C’est mon style, commissaire.

— Tu as du neuf, grand ?

— Pas celui que vous espérez.