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— Ah ! Prince ? réalise l’Hénorme.

— Voilà !

— J’vais z’aux nouvelles. Que faut-on qu’je fisse, si fectivement, ton Prince charmant crèche laguche ?

— Rien, tu m’attends, j’arrive.

— Et si y s’barrerait avant que tu vinasses ?

— Ça m’étonnerait. Terminé !

Je carapate.

Croise dans l’allée le Vieux avec une nouvelle dadame un poil plus tapée que la précédente et qui s’enveloppe de mystère et de tulle, genre Garbo. Il s’abstient de faire les présentations.

— Du nouveau, mon cher ?

— Mathias vous mettra au courant, Achille, si toutefois vous avez l’opportunité de l’écouter ?

— Le temps de montrer notre petite installation à Mme la comtesse de Guaire-Lasse, et je m’informe.

La cage d’ascenseur les absorbe, puis les hisse vers des bonheurs temporaires.

CHAPITRE XVI

LE BON ARGUMENT

Tabobo Outussé est à la fois congolais et balayeur municipal de la ville de Paris. Me voyant stopper là qu’il a constitué son petit lac artificiel, en bordure de trottoir, il me jette un gros regard jaune chargé de réprobation.

— Excusez, lui dis-je, mais une place de stationnement c’est sacré !

Il hésite un instant avant de me déclarer sans escamoter les « r » comme on le fait sottement pratiquer aux Noirs qui prennent la parole, que ma bagnole, et si je me la fourrais dans le cul, hein ? si je me la fourrais dans le cul bien profond, mon vieux ? A quoi je réponds que tu penses bien que j’ai essayé, mais j’ai dû renoncer à ce plaisant dessein à cause des rétroviseurs extérieurs.

Un coup de sifflet de trident retentit, et je vois Bérurier débouler d’un élégant bar sis à quelques encablures.

Il se pointe à la ligne, la démarche chaloupante.

— T’avais raison, me dit-il, le Prince crèche bel et bien dans c’t’immeuble. Au reste-chaussée, en face la loge de la pipelette.

Le talkie-walkie gonfle la vague gauche de son lardeusse ; la droite contient, ce matin, quelques pommes de terre en robe des champs emparées à toutes faims utiles au moment de quitter son clair logis.

Tabobo Outussé, très remonté, nous propulse de l’eau sur le bas du futal d’un coup de balai adroit. Lors, le Plantigrade s’arrête pour toiser l’employé de voirie.

— T’as d’ la veine qu’ j’soye pas raciss, bébé rose, qu’autrement sinon j’allais t’jouer le casse de l’onc’ Tom gratis pour négro.

Décidément de nature maussade, ce matin, Tabobo Outussé répond à Béru qu’il le sodomise (sa marotte) ; mon bien-aimé collègue lui prend alors son balai des mains et en brise le manche sur son genou.

— On continue ou on va à la chasse aux morpions ? questionne l’Implacable.

Tabobo répond qu’il préfère se mettre en chômage, du moment qu’il n’a plus de balai ; et il affirme à Bérurier que « mon vieux t’es con, toi, pour être con t’es con, c’est pas la peine de te regarder deux fois, con comme t’es, pour savoir que t’es con, mon vieux ! »

Soucieux de ne pas laisser se développer un navrant pugilat, j’entraîne le Mahousse. Le Service commande et il urge.

* * *

La gonzesse qui vient nous ouvrir, y a plus que dans les James Bond que tu en trouves de semblables, et encore, le plus souvent, elles fatiguent un peu des loloches. Figure-toi une brune à reflets roux, bronzée comme une pub pour l’ambre solaire, avec un peignoir si léger et si transparent qu’il ressemble à un peu de buée autour d’elle. On voit ses seins et on reste en prise directe avec le slip grand comme un timbre-poste.

Elle nous défrime d’un œil sagace, nous situe immédiatement, reste impassible, puis se décide à nous faire l’aumône d’un sourire.

— M. Prince ? lâché-je.

— Il est absent, c’est à quel sujet ?

— Quand devrait-il rentrer ? lui expliqué-je.

Elle a un geste comme lorsque tu imites le mouvement de la mer qu’on voit danser.

— Sûrement pas avant la semaine prochaine.

— Il faut tellement de temps pour revenir de l’Apollon Club ?

Mon objection la disjoncte un brin. Elle bat des cils, qu’elle a longs et recourbés.

— Permettez, dis-je en la refoulant gentiment.

— Qui êtes-vous ? rebiffe la tigresse de Prince.

— Vous le savez bien, fais-je.

— Pas du tout. Je…

Nous sommes dans la place, Béru relourde en ajustant la chaîne de sécurité.

— La porte est blindée, remarque-t-il, c’est mieux quand on habite un reste-chaussée.

— Vous êtes de la police ? s’inquiète la dame.

— Gagné ! je réponds. Quand je vous disais que vous aviez deviné. Racontez-moi un peu qui vous êtes, ma chérie.

— Ça suffit ! glapit la môme, flics ou pas, vous allez déguerpir d’ici ! Je n’ai aucun compte à vous rendre et…

Une mandale du Gros la fait reculer de trois pas.

— Salaud ! qu’elle hurle, ça ne se passera pas comme ça !

Le Mastar lui aligne une deuxième beigne, sur l’autre joue, pour faire la paire.

— C’est bon pour ce que t’as, la môme, continue tes chichis et tu vas avoir la tronche comme une lessiveuse.

Elle balbutie :

— Vous n’êtes pas des poulets, hein ?

— Qu’est-ce t’en as à branler, ma gosse ? Ça t’intéresse si fort, la profession des gens ?

L’appartement est vachement bordélique. La dernière fois qu’une femme de ménage s’y est pointée, c’était avant l’assassinat de Kennedy. Depuis lors, la poussière et les toiles d’araignée se partagent le territoire. C’est insolite, d’ailleurs, cette pin-up bien briquée au cœur d’un tel bordel.

— Dites donc, noté-je, elle valait pas un coup de sirop, la prof qui vous donnait les cours d’arts ménagers. Je me demande comment Flavien, si gandinus, peut se complaire dans un gourbi pareil.

Elle ne répond pas. Je la refoule jusqu’à un fauteuil dans lequel elle se laisse choir.

Je me saisis d’une chaise et m’y assois à califourchon, face à elle.

— Tu es la nana de Prince, évidemment.

Elle hausse les épaules en forme d’acquiescement.

— Identité ?

— Marie-Anne Dubois.

— Dont on fait les pipes ? demande Sa Majesté égrillarde.

— Très drôle, ricane la frangine ; on me l’avait encore jamais fait.

Nouvelle torgnole chétieuse de Béru qui ne laisse rien passer.

— Dis donc, me demande-t-il, et si, par acquisition de conscience, je l’attachais à son fauteuil ?

— Faut pas vous gêner ! fulmine la gosse. Vous voulez quoi, au juste ?

J’hoche le chef.

— Des tas de renseignements.

— Vous me prenez pour la D.S.T. ?

— Un peu. Il est venu pour qui le Pedro, tout à l’heure ?

Nouveau tressaillement de Marie-Anne.

— Il cherchait après Prince.

— Mais encore ?

— C’est tout.

Sa Majesté m’interroge du regard en me montrant sa belle main large comme une côte de bœuf pour quatre personnes. Curieux comme il aime dérouiller ses contemporains, le Gros. Hommes, femmes, enfants, moines, vieillards, tout lui est bon. Ça m’a toujours rendu perplexe, ce besoin de cogner, de la part d’un brave homme capable des plus grandes générosités et de sacrifices héroïques. Ça cache quoi, selon toi ? Il règle quel étrange compte, mon pote, en tartinant à tout berzingue le museau des gens ? L’étrange, c’est qu’il le fait spontanément, par vocation profonde, et, je le jure, sans paraître en éprouver un sadique plaisir. Il frappe presque par devoir. Il répond à une mystérieuse mission dont il se sent investi. Chourineur comme on est poète. Et d’ailleurs, il y a une poésie de la castagne. Il aime chabler à tout-va, tisaner pour un oui, un non ; ou pour rien du tout. Il distribue les mornifles comme un bon seigneur du temps jadis distribuait des écus. Une forme d’offrande ; un don de soi à cinq branches : tchlac ! Et il a ses marottes, ses coups à lui, bottes secrètes pour charretier en bagarre : la torgnole sèche pour madame, celle qui te soulève un peu la tronche du buste, ma chérie, et qui te remplit le sac à vue d’étincelles d’argent ; le direct sur le pif pour le bonhomme, franc et massif comme un coup de piston : paoum ! Il poursuit par des variantes quand c’est la vraie séance : crochet sur les ratiches. Il te dédominote une mâchoire d’un seul parpaing, mister l’Emplâtreur, en imprimant au poing un mouvement glissant qui le fait courir sur la denture. Les gencives ainsi prises à partie s’effeuillent comme des marguerites dans la bourrasque.