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— Un instant, please, je fais d’un air sentencieux. Asseyez-vous.

Le Vieux se croit obligé de tartiner leurs triscottes à la crème de blabla truffée. Je veux pas médire d’Achille, mais son anglais ne vaut pas celui de Lady Di. Ajoutes-y son emphase, ses susurrations de buveur de thé du seizième arrondissement ou du dix-septième et tu comprendras pourquoi la Commission Rockett verte l’écoute, sourcils froncés, avec des airs de se demander si Achille lui interprète un remake de E.T., le Naufragé de l’Espace.

Je mets à profit pour appeler le Rubicond.

— Dites donc, je l’aboie, ça veut dire quoi, ces trois joueurs de roller-ball dans mon bureau ?

Il se paie de courage.

— Il le fallait, San-Antonio. Essayez de comprendre ! Ils me faisaient une telle vie que j’ai dû…

— Bougre de dégonflé !

Si je pouvais lui enquiller le combiné dans les cages à miel, je le ferais. Mon intention doit lui être perceptible à la manière sursauvage dont je raccroche.

L’ancien Chinois balaie soudain Achille d’un revers. Il porte un long pardingue à carreaux qui le fait ressembler au sol d’une salle de bains mis à la verticale.

— Ta gueule ! dit-il brutalement au Vieux et en américain, c’est plus impressionnant qu’en alexandrins ; plus bref aussi.

Il contourne mon bureau, prend place sur le coin du meuble et pose effrontément sa chaussure de pointure 47 sur l’accoudoir de mon fauteuil.

— On veut la valise ! déclare-t-il.

— Ecoutez, fais-je, je suis le seul Parisien qui déteste les westerns. Quand on en passe un à la télé, je préfère regarder un débat avec Georges Marchais ; alors ôtez votre godasse merdeuse de ce fauteuil et cessez de jouer Fort Apache.

— What ! il gronde.

Et c’est pas de l’ampoule électrique qu’il est question, sinon il aurait prononcé « watt ».

D’un geste brusque, je recule mon siège. Son pied choit dans le vide, ce qui le fait basculer en avant. S’il était moins souple, il s’affalerait sur la moquette et ce ne serait pas triste.

— Dites donc, vous ! il aboie en serrant les poings, ce qui n’est pas incompatible.

J’attends une suite qu’il renonce à proférer et lui désigne les sièges répartis dans la région réservée aux visiteurs.

— Coucouche panier, mec ! Pour les exhibitions de force, faut s’adresser à la Foire du Trône !

Il n’entrave pas la moitié de ce que je lui crache, mais le dixième suffit. Dompté, le descendant du Céleste Empire rejoint ses potes.

— Bon, je leur fais-je : la valise. On vous l’a récupérée, vous le savez. Malheureusement…

— C’est le « malheureusement » qui nous déplaît, glapit la tronche cubique irlandoche. Cette putain de valise, vous deviez la garder à notre disposition en vous entourant de cent mille précautions !

J’enrogne et le lui montre.

— Dites, mister Tronche-de-Chaudron, qui a commencé par se la laisser baiser, cette saloperie de valise, les Français ou les Ricains ?

Ça lui cloue un tantisoit le bec, pourtant, son pote aux paupières crapoteuses la ramène à son tour.

— L’affaire nous paraît douteuse. Si on rentre aux States en racontant vos salades à nos chefs, y aura des retombées à n’en plus finir et ça risque de se coincer vachement entre nos deux Présidents.

— Eh ben, ça se coincera, mon Gros. C’est pas la première fois que nos deux illustres peuples se feront la gueule. Cela dit, nous sommes sur la piste de votre valise et il se pourrait fortement qu’on la retrouve à nouveau. En attendant, vous allez me lâcher les baskets et visiter Paris ; c’est plein de merveilleux restaurants et de jolies mademoiselles qui n’attendent que vos dollars. Laissez-moi votre adresse, je vous préviendrai quand l’heureux dénouement se produira !

Les trois monolithes ne bronchent pas.

— On a téléphoné à Washington, déclare le Chinois dévalué : nous avons ordre de vous assister.

Je me tourne vers Achille.

— Vous savez, boss (le terme m’a échappé, force d’une vieille mais tenace habitude), je sens que l’entrevue va dégénérer et qu’un ou deux de nous cinq va voltiger sur les Champs-Elysées par cette baie, sans même qu’on se donne la peine de l’ouvrir !

Talleyrand à ses heures, le dabuche !

— Laissez-moi faire, dit-il, je vais leur trouver une occupation de diversion, cessez de les asticoter et ayez l’air d’entrer dans leurs vues.

Je bougonne :

— Quel genre d’occupation ?

— Je connais une personne sympathique, formée à la dure école de Mme Claude, qui va nous envoyer de la main-d’œuvre experte. Ces trois taureaux ne sont tout de même pas des bœufs, j’espère.

Là-dessus, le biniou grésille.

Je décroche.

— Ecce homo, m’annonce sobrement Mathias qui parle le sanscrit couramment.

— O.K., je prends.

Le voyant lumineux de mon poste s’éclaire. La voix qui m’a déjà titillé le tympan se pose dans mon entonnoir à sottises comme une libellule au cœur d’un lys.

— Alors, où en sommes-nous ? demande-t-elle.

— On se prépare ! réponds-je laconiquement.

— Vos préparatifs, je m’en torche, c’est que vous soyez prêt qui nous intéresse.

J’enregistre le « nous », encore qu’il ne veuille pas signifier grand-chose.

— Je vais l’être.

— On vous a prévenu, Jérôme, que tout doit être réglé aujourd’hui ?

Sa familiarité voulue, un peu crasse, me fait soudain tressaillir. Je crois reconnaître la voix. Il me semble l’entendre proférer avec humeur cette noble sentence : « l’heure, c’est l’heure ! ». Je me mets à l’attribuer au gros gusman en peignoir qui attendait la sortie de Prince de la cabine à UV. Elle colle parfaitement, crois-je. Peut-être que je m’offre des berlues ?

— Oui, oui, je sais. Tout peut l’être ! réponds-je.

— Trois unités ?

— Comme au théâtre.

Il ne comprend pas l’astuce, mon lecteur non plus, mais ça importe peu, somme toute, si tu songes que dans quatre-vingt-quatorze ans personne n’y pensera plus.

— A partir de quelle heure serez-vous en mesure de… concrétiser ?

— On dit seize heures ?

— Banco.

— Mais où ?

— On vous le fera savoir, attendez près du téléphone. Pas d’arnaque, évidemment, sinon les bocaux seront en miettes.

Il raccroche. Les trois Ricains attendent. Le Vieux m’adresse un sourire entendu.

— Ça biche ?

— Faut voir. Tout ça me paraît trop simple.

Il passe commande à la dame pourvoyeuse de sensations tarifées qui promet pour illico un commando d’amazones. Elle crèche boulevard de Courcelles, c’est-à-dire à cinq minutes de là.

Je tube à la Brasserie Bibine pour alerter la fine équipe.

— Rabattez sur les Champs-Zé et tenez-vous prêts, les éclaireurs de France ! enjoins-je à Lurette. Répartissez-vous dans deux tires et gardez le contact par talkie-walkie. Je veux une bagnole avenue George-V, nez sur nous. Une autre sur les Champs, face à l’Etoile. Surtout arrêtez de vous poivrer les naseaux, j’entends gueuler le Gros depuis ici ! Exécution !

Je raccroche, regarde ma tocante.

— Achille, soupiré-je, dans une demi-heure vous allez quitter ce bureau, muni d’une grande serviette ou, mieux, d’une sacoche. Vous vous rendrez à la succursale de la G.D.B. située avenue de la Grande-Armée. Là, excipant de votre prestigieuse personnalité vous demanderez à parler au fondé de pouvoir. En cas d’absence du bonhomme, demandez un autre chef de la banque. Que cet entretien dure un quart d’heure. Parlez-lui de ce que vous voudrez, de placements par exemple. Ensuite, revenez ici à pied, ce n’est pas trop vous demander ?