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— Que vous arrive-t-il, mon brave flic ? demande le prof.

J’entre. Je lui raconte l’historiette. Cette valise de métal contient quatre bocaux recelant un gaz si effroyablement toxique qu’il peut tuer toute la population parisienne en un instant. Est-ce qu’il y aurait moyen d’étudier ça, de manière à ce que la France possède aussi l’invention ? Avec sa politique de dissuasion, c’est pour le coup que le président Moijebombe serait joyce ! Il ajouterait cette trouvaille à sa panoplie jolie de chiasseruscoffs, un vrai régal !

Badablum est émoustillé. Lui, tu lui parles de gaz, il fait le reste. Je lui abandonne donc les quatre bocaux. Il m’en refile cinq autres, presque identiques, contenant de l’effervescence de camembert et du stupre de foutraille molle. Je cavale remettre le blaud au nouveau dirluche, le Rubicond, et tu sais le reste.

Maintenant, tu piges que ça ne m’émouvait pas outre mesure le pillage de la G.D.B. Les vrais bocaux, je sais où ils se trouvent. Quand les Ricains se mettront vraiment en renaud, j’irai les récupérer chez mon éminent ami le prof.

Ça turlure très longuement avant qu’on ne décroche. Il m’a expliqué qu’il faut laisser carillonner sans s’impatienter. Son biniou privé est relayé sur celui de son labo par un système gradoublifugé à carence variable. Seuls les initiés le savent. A la quatorzième sonnerie, ça s’enclenche sur le laboratoire.

Un organe féminin me répond. Assez tranchant. Le ton du genre : j’ai des virus à bouillir et je peux pas me permettre de débloquer, sinon ma marmite norvégienne va exploser.

— Commissaire San-Antonio, je souhaite parler au professeur Badablum, madame.

La voix se radoucit d’un cran.

— Le professeur est enfermé depuis ce matin dans la tour sifro mâchurée, monsieur le commissaire. Il lui est impossible d’en sortir avant vingt-deux heures ce soir. Il se trouve en milieu protofugé et travaille revêtu d’une combinaison de farfadingue zygomatique. Les circuits de fornication bivalvaires sont branchés.

— En ce cas, je le rappellerai tard dans la soirée.

A peine que je raccroche, le grelottin bouzigue.

— J’écoute ?

— Passez-moi mon ami Jérôme !

La voix du correspondant que je crois deviner gras et chauve.

— C’est moi.

— Vous avez joué de mauvaises cartes, Jérôme, fait la voix grondante. Je déteste qu’on assassine et qu’on kidnappe mes collaborateurs. Ça va chier pour vous, mon petit bonhomme !

Clic !

Me voilà seul avec une vibration mécanique qui fait tu… iiit… tu… iiit, éperdument.

Cette sortie me rend perplexe, merplexe, filsplexe, etc. Qui donc a bousillé le motard si ce n’est un gars de sa bande ?

Boû ! Quel pastis !

CHAPITRE XXIII

ÇA MOUSSE !

Boris prit l’embranchement pour Versailles et gagna la maison abandonnée, belle et sévère, froide et humide, où gisait toujours le cadavre de Kalel.

A son côté, le motard n’avait pas bronché. Il avait conservé son casque noir, ce qui attirait l’attention des autres automobilistes au passage. Boris s’en foutait.

D’ici peu, il troquerait la Renault contre un autre véhicule. Le motard continuait de serrer entre ses genoux la sacoche volée au vieux beau. Ses mains n’avaient pas quitté le tableau de bord. Les trois occupants n’échangèrent pas une parole. A l’arrière, Stevena avait déplacé le canon de son arme. Celui-ci s’enfonçait dans le dos du prisonnier à travers le dossier de la banquette.

Quand ils stoppèrent, Boris braqua à nouveau le type à la sacoche pour permettre à son complice de descendre de voiture. Stevena ouvrit la portière avant droite.

— Amène-toi, l’artiste !

L’ex-motard descendit, la sacoche chut à ses pieds ; il hésita, ne sachant s’il devait la ramasser.

— T’inquiète pas, Ducon : elle ne contient que des journaux, ricana Stevena. Tu ne me crois pas ?

Boris qui venait de les rejoindre se saisit de la sacoche, l’ouvrit et la tint à la renverse. Une masse d’imprimés bancaires s’en échappa.

Derrière son hublot rectangulaire, le regard du prisonnier marqua une profonde stupeur.

— Qu’est-ce que tu croyais, pauvre banane ! C’est les flics qui vous manœuvraient, déclara Boris.

Il lança le réticule de cuir dans un massif d’hortensias privés de fleurs en cette saison.

— Avance, Ducon !

Ils gravirent le bref perron et pénétrèrent dans la maison. Le cadavre roidi de Kalel barrait l’entrée du salon. En l’apercevant, l’arrivant se cabra.

— Fais un grand pas ! lui enjoignit Stevena, il ne va pas te mordre.

La bouteille d’alcool préparée par Kalel se trouvait toujours sur la table basse. Boris s’en saisit, dévissa le bouchon et but une large lampée.

— Fais asseoir monsieur ! dit-il à Stevena.

L’interpellé poussa le motard dans un fauteuil. Lorsqu’il fut assis, ce dernier voulut ôter son casque, mais Stevena s’interposa :

— Laisse, tu es trop beau comme ça, tu ressembles à un Martien !

— Qu’est-ce que vous me voulez ? demanda le gars sous son casque.

Sa voix feutrée semblait celle d’un robot de télé chargé d’animer les jeux pour enfants.

Boris sortit de sa poche une paire de menottes dont il emprisonna les poignets de sa victime après avoir fait passer la chaînette sous les jambes de celle-ci.

— Le nom et l’adresse du gars qui détient la valise, et que ça saute ! Tu as vu ce qui arrive aux gens qui ne sont pas coopératifs ?

Il désignait le cadavre aplati au sol.

— Quelle valise ? questionna le motard.

— Non, non, pas la peine d’ergoter, mon pauvre Ducon, tu sais bien que c’est râpé.

— Je ne suis pas au courant !

Boris, qui s’était absenté, revint portant un extincteur rouge, ventru, prolongé par un embout de caoutchouc.

— Je vais te rafraîchir la mémoire, affirma-t-il en se penchant sur le motard. (Il coula l’extrémité de l’embout entre le menton de l’homme et le capitonnage de son casque, puis arracha le plomb fermant l’appareil et pressa le levier d’aspersion. Un énorme flocon de mousse blanche noya aussitôt le hublot du casque. L’homme suffoqua.)

— L’adresse du gars qui a commandé cette opération, vite ! Sinon je continue de balancer de la purée et tu crèves étouffé.

La voix lamentable du type leur parvint, à peine audible.

— Plus fort ! commanda Boris.

L’homme hurla la réponse.

— Tu notes ? fit Boris à son compagnon d’équipée.

Stevena sortit un porte-mine réclame et une pochette d’allumettes de sa veste. A l’intérieur du rabat il griffonna le nom et l’adresse qui lui étaient fournis.

Il le répéta d’une voix forte.

— C’est bien ça, oui, oui, parole d’homme ! cria le motard qui se démenait désespérément. Enlevez-moi mon casque ! J’étouffe !

Boris sourit et pressa à nouveau sur le levier. La mousse carbonique combla les creux subsistant entre la tête du motard et son casque ; puis, surabondante, s’échappa par tous les orifices. L’homme devait hurler, mais ses cris paraissaient dérisoires. Ses tortionnaires le regardaient, fascinés. Le tableau avait quelque chose de surréaliste.

Le gars mit du temps à mourir. Il éructait, se tordait, secouait la tête comme un chien fou.

— Intéressant, non ? déclara Boris.

Il semblait fier de son initiative.

Stevena acquiesça :

— T’as toujours des idées bien à toi, dit-il. C’est la première fois qu’on liquide un bonhomme sans avoir vu sa gueule.