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Mais au cours des mois qui suivirent aucune vexation ne lui fut épargnée. Ses demandes de matériel, d’ordinateurs, d’assistance technique, se heurtaient à d’interminables délais. On se refusait à financer ses déplacements. Et dans les réunions universitaires on ne tenait jamais compte de ses avis.

Mais le coup final lui fut assené lorsque Henry Garrison, qu’il dépassait tant par l’ancienneté que par la valeur, fut nommé à un poste des plus honorifiques qui lui revenait de droit. Lamont en éprouva une telle amertume que démontrer la justesse de sa théorie ne lui suffit plus. Il ne rêva plus que de faire tomber Hallam de son piédestal, et cela de façon définitive.

Ce désir fut renforcé de jour en jour et presque d’heure en heure par l’attitude hostile de tout le personnel de la Station-Pompe. Bien évidemment la personnalité intransigeante de Lamont ne lui attirait pas les sympathies, et cependant il ne comptait pas que des ennemis.

Garrison lui-même éprouvait un malaise. Ce jeune savant aimable et pacifique qui tenait par-dessus tout à être en bons termes avec ses collègues vint voir Lamont à son laboratoire.

— Pete, pourrais-tu m’accorder quelques minutes ? lui demanda-t-il, l’air gêné.

— Pourquoi pas ? fit Lamont fronçant le sourcil et évitant son regard.

— Pete, reprit Garrison en s’asseyant, je ne pouvais pas refuser le poste qui m’était offert, mais je tiens à ce que tu saches que je ne l’avais pas sollicité. Cela a été pour moi une surprise.

— Qui te demandait de le refuser ? En ce qui me concerne, je m’en fous éperdument.

— Pete, derrière tout cela il y a Hallam. Si je refusais ce poste, ce n’est pas à toi qu’il irait, mais à quelqu’un d’autre. Que lui as-tu donc fait, au Vieux ?

— Que penses-tu d’Hallam ? fit Lamont répondant à une question par une question. À ton avis, quel genre d’homme est-ce ?

Garrison, pris par surprise, se mordilla les lèvres, se frotta le nez, puis dit enfin :

— Euh…

— Un grand homme ? Un brillant savant ? Un véritable chef ?

— Euh…

— Moi je vais te dire ce qu’il est. Un imposteur ! Un charlatan ! Il s’est acquis une réputation et une situation usurpées et il s’y cramponne. Il sait que je l’ai percé à jour et c’est pourquoi il me poursuit de sa vindicte.

Garrison, avec un petit rire gêné, demanda :

— Tu ne lui as tout de même pas dit en face que… ?

— Non, je ne le lui ai pas dit en face, reconnut Lamont à contrecœur, mais un jour je le ferai. Et il sait parfaitement ce que je pense de lui, même si je ne le lui dis pas directement.

— Mais, Pete, à quoi bon le lui dire ? Je ne pense pas, moi non plus, que ce soit un des plus grands savants de notre époque, mais à quoi bon le crier sur les toits ? Passe-lui au contraire un peu de pommade. N’oublie pas que ta carrière dépend de lui.

— Vraiment ? Mais sa réputation dépend de moi. Et j’ai bien l’intention de lui arracher son masque. De le mettre à nu.

— Comment y arriveras-tu ?

— Ça, c’est mon affaire, grommela Lamont qui à ce moment-là ignorait absolument comment il s’y prendrait.

— C’est complètement idiot ! s’exclama Garrison. Tu ne peux pas l’emporter sur lui. En revanche, lui peut mettre fin à ta carrière. Même s’il n’est ni un Einstein ni un Oppenheimer, aux yeux du public actuel il représente plus encore. N’oublie pas que pour les deux milliards d’habitants que compte la Terre il est le père de la Pompe à Électrons et rien ne pourra ébranler sa popularité aussi longtemps que la Pompe à Électrons représentera pour l’humanité la clé du paradis. Tant qu’il en sera ainsi il ne sert de rien de s’attaquer à Hallam et tu serais bien fou de t’y risquer. Voyons, Pete, fais-lui un peu de gringue et ravale ta rancune, si tu ne veux pas connaître le sort d’un Denison.

— Un bon conseil, Henry ! fit Lamont pris de fureur. Occupe-toi de tes oignons !

Garrison se leva et sortit de la pièce sans dire un mot. Lamont venait de se faire un ennemi ou tout au moins de perdre un ami. Mais le prix à payer en valait la peine, car une remarque de Garrison lui avait ouvert de nouveaux horizons.

«… aussi longtemps que la Pompe à Électrons sera considérée comme la clé du paradis… il ne sert de rien de s’attaquer à Hallam » avait dit entre autres Garrison.

Ces mots résonnant encore dans sa tête, Lamont, pour la première fois, détourna son attention d’Hallam pour la concentrer sur la Pompe à Électrons.

La Pompe à Électrons était-elle vraiment la clé ouvrant aux humains la porte du paradis ? Ou y aurait-il à la base une erreur de calcul ou de raisonnement ?

L’histoire fourmille d’erreurs. Y en aurait-il une dans la Pompe à Électrons ?

Lamont connaissait suffisamment l’historique de la para-théorie pour savoir que l’éventualité d’un calcul ou d’un raisonnement erroné avait été envisagée. Lorsqu’on annonça pour la première fois que la fonction de base de la Pompe à Électrons était le pompage des électrons de l’Univers au para-Univers, nombre de savants ne manquèrent pas d’objecter : « Que se passera-t-il quand tous les électrons auront été pompés ? »

Il était facile de répondre à cette objection. En effet, et même en tenant compte d’un taux de pompage relativement élevé, les réserves d’électrons dureraient pour le moins un trillion de trillions de trillions d’années… alors que l’Univers tout entier, auquel viendrait s’ajouter plus que probablement le para-Univers, ne subsisterait que pendant une minime fraction de cette durée.

L’objection suivante était plus subtile. Le pompage de tous les électrons se révélait chose impossible. À mesure qu’ils étaient pompés, le para-Univers s’accroissait d’une charge nette négative, et l’Univers d’une charge nette positive. Or chaque année cette différence de charge ne faisant qu’augmenter, il deviendrait de plus en plus difficile de continuer de pomper des électrons vu la résistance provoquée par les deux charges opposées. En réalité les atomes pompés étaient neutres, mais la distorsion des électrons orbitaux qui s’effectuait au cours du processus créait une charge positive qui s’accroissait dans d’énormes proportions de par les modifications de radioactivité qui en découlaient.

Si la concentration de charge restait aux points de pompage, l’effet sur les atomes orbitaux distordus pompés arrêterait presque immédiatement le processus, mais il fallait bien entendu tenir compte de la diffusion. C’est en ayant en vue cette possibilité, que la diffusion de la concentration de charge en direction de la Terre et son effet sur le processus du pompage avaient été calculés.

L’accroissement sur la Terre de la charge positive forçait le vent solaire, à charge positive lui aussi, à s’éloigner le plus possible de la planète, d’où agrandissement de la magnétosphère. Grâce aux travaux de McFarland (que Lamont tenait pour le véritable possesseur de la Géniale Illumination), il fut démontré qu’un point définitif d’équilibre était atteint à mesure que le vent solaire balayait de la surface de la Terre les particules positives qui s’y accumulaient pour les entraîner jusque dans l’exosphère. Chaque fois que le pompage se faisait plus intense, chaque fois que l’on édifiait une nouvelle station de pompage, la charge positive augmentait légèrement sur la Terre et la magnétosphère s’accroissait de quelques milles. Mais il s’agissait là de modifications minimes et la charge positive était finalement chassée par le vent solaire et emportée jusqu’aux confins du système solaire.