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Même ainsi… même en tenant compte d’une diffusion accélérée de la charge, le moment viendrait où la différence de charge aux points de pompage entre l’Univers et le para-Univers s’accentuerait suffisamment pour mettre fin au processus, et il ne faudrait plus qu’une intime fraction de la durée initialement prévue pour épuiser la réserve d’électrons, c’est-à-dire environ un trillionième de trillion.

Mais cela sous-entendait que le pompage resterait possible pendant un trillion d’années. Un unique trillion d’années : mais c’était encore amplement suffisant. Jamais l’homme ne vivrait pendant un trillion d’années, pas plus que le système solaire, d’ailleurs. Et en admettant même que l’homme survive aussi longtemps (ou toute autre créature qui succéderait à l’homme et le supplanterait), on ferait certainement le nécessaire pour rétablir la situation. Que ne pouvait-on accomplir au cours d’un trillion d’années !

Lamont lui-même ne pouvait faire autrement que le reconnaître.

Il lui vint alors une autre idée, une autre façon d’envisager le problème, qu’Hallam lui-même avait traitée, Lamont s’en souvenait parfaitement, dans un de ses articles de vulgarisation. Bien à contrecœur il chercha cet article dans ses dossiers. Il était pour lui très important de relire ce qu’Hallam avait écrit sur le sujet avant de pousser plus loin son raisonnement.

Dans cet article, ce qui le frappa le plus fut le passage suivant :

« En raison de la force de gravitation toujours présente, nous avons été amenés à associer « pente descendante » à ce qui en résulte inévitablement, c’est-à-dire la production d’énergie que nous employons à des fins utiles. Ce sont les torrents dévalant ces pentes qui, au cours des siècles passés, firent tourner des roues qui à leur tour actionnèrent des machines telles que pompes et génératrices. Mais que se passait-il quand l’eau ne dévalait plus du haut des pentes ?

« Plus de travaux possibles jusqu’à ce que l’eau remonte à sa source, ce qui exige des travaux considérables. En fait, faire remonter de l’eau à sa source pour la recueillir ensuite quand elle en descend c’est travailler en perte d’énergie. Grâce à Dieu, le soleil se charge pour nous de ce travail. Il fait s’évaporer les océans, cette vapeur d’eau s’élève haut dans l’atmosphère, y forme des nuages qui à leur tour retombent en pluie ou en neige. Cette eau pénètre dans le sol, alimente sources et torrents et c’est ainsi que l’eau dévale indéfiniment du haut des pentes.

« Mais pas tout à fait indéfiniment. Le soleil aspire la vapeur d’eau, mais uniquement parce qu’au sens nucléaire du terme il dévale lui aussi une pente. Mais il la dévale avec un débit d’une abondance qu’aucun fleuve terrestre ne peut atteindre, et quand il aura fini de dévaler la pente nous ne disposerons d’aucun moyen de le faire remonter à sa source.

« Dans notre Univers toutes les sources d’énergie vont de haut en bas. Nous n’y pouvons rien. Tout dévale dans un unique sens et il ne nous est possible de les faire remonter temporairement à leur source que s’il existe dans le voisinage une plus forte pente descendante. Si nous voulions capter indéfiniment une source d’énergie, nous devrions disposer d’une pente descendante dans les deux sens, ce qui, dans notre Univers, serait un paradoxe, car la logique veut que là où il y a pente descendante il y ait également pente ascendante.

« Mais devons-nous nous confiner à notre seul Univers ? Pensez au para-Univers. Il possède également des routes qui sont descendantes dans un sens et ascendantes dans l’autre. Cependant ces routes ne correspondent pas aux nôtres. Il est possible d’emprunter une voie descendante allant du para-Univers à notre Univers, mais qui si nous allions de notre Univers au para-Univers serait à nouveau descendante… et cela parce que nos deux Univers n’obéissent pas aux mêmes lois.

« La Pompe à Électrons dispose donc d’une voie qui est descendante dans les deux sens, ce qui est un gros avantage. La Pompe à Électrons…»

Lamont consulta de nouveau le titre de l’article qui était effectivement : « La voie descendante dans les deux sens. »

Il se prit à réfléchir. Ce concept lui était bien entendu familier tout comme ses conséquences thermodynamiques. Mais peut-être convenait-il d’examiner de plus près l’hypothèse qui avait été formulée alors. Serait-ce là le point faible que recèle toute théorie ? Et si cette hypothèse, considérée jusque-là comme exacte par définition, était erronée ? Quelles seraient les conséquences si l’on se basait sur une tout autre hypothèse ? Ces conséquences seraient-elles contradictoires ?

Lamont s’engagea à l’aveuglette sur cette voie. Mais au bout d’un mois il éprouva cette impression que tout vrai savant ressent un jour ou l’autre… il perçut le cliquetis que produisent en se mettant en place les pièces qui manquaient encore, tandis que disparaissaient les inquiétantes anomalies. Oui, c’était bien là l’approche de la vérité.

Ce fut à partir de ce moment qu’il se mit à presser Bronowski de plus belle ; un jour il lui déclara :

— Je vais de nouveau demander à Hallam de m’accorder un entretien.

— Pour quoi faire ? demanda Bronowski en haussant les sourcils.

— Pour qu’il me foute à la porte.

— Je te reconnais bien là, Pete. Quand tu n’as pas d’ennuis, il faut que tu t’en crées.

— Tu ne comprends pas. Il est très important pour moi qu’il refuse de m’écouter. Ainsi il ne pourra pas dire par la suite que je l’ai laissé dans l’ignorance et qu’il n’était pas au courant.

— Au courant de quoi ? Du déchiffrage des para-symboles ? Aucun n’est encore décrypté. Ne vends pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué, Pete.

— Non, non, il n’est pas question de ça – et là-dessus il refusa d’en dire davantage.

Hallam ne facilita pas les choses à Lamont. Il s’écoula quelques semaines avant qu’il trouve le temps de recevoir son jeune collègue. De son côté, Lamont était bien décidé à ne pas faciliter les choses à Hallam. Il entra toutes griffes dehors dans le bureau où Hallam l’attendait, l’air glacial et le regard hostile.

— Quelle est donc cette question urgente dont vous vouliez m’entretenir ? demanda-t-il d’un ton hargneux.

— Un nouvel élément a surgi qui m’a été inspiré par un de vos articles, monsieur, dit Lamont d’un ton neutre.

— Ah ? Et vivement : Lequel ?

— Celui qui est intitulé : « La voie descendante dans les deux sens » et qui a paru dans le supplément de Life à l’intention des jeunes.

— Oui, et alors ?

— À mon avis la Pompe à Électrons n’emprunte pas une voie descendante dans les deux sens, pour user de votre métaphore, qui ne s’applique pas exactement, à dire vrai, à la seconde loi de la thermodynamique.

— Où voulez-vous en venir ? fit Hallam fronçant le sourcil.

— Je m’expliquerai mieux, Monsieur, en mettant en équations le champ magnétique des deux Univers, faisant ressortir ainsi l’interaction dont jusqu’à aujourd’hui on n’a malheureusement pas tenu compte.

Là-dessus Lamont s’approcha vivement du tableau noir et se mit à tracer des équations qu’il accompagnait de commentaires.

Il savait parfaitement qu’en agissant ainsi il humiliait et irritait Hallam qui ne pouvait pas le suivre à ce degré de mathématiques.

— Écoutez-moi bien, jeune homme, grommela Hallam, je n’ai pas le temps, en ce moment, d’engager une discussion approfondie sur une nouvelle façon d’envisager la para-théorie. Vous m’enverrez un rapport détaillé, mais si vous pouvez me dire en deux mots ce que vous avez dans la tête, faites-le.