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Lamont s’écarta du tableau noir avec une expression de mépris non déguisé et dit :

— Entendu. La seconde loi de la thermodynamique décrit un processus qui aboutit inévitablement à la suppression des extrêmes. L’eau ne dévale pas la pente ; ce qui se passe en réalité c’est que les extrêmes du potentiel de gravitation s’égalisent. L’eau captée en sous-sol remonte aisément la pente. On peut donc jouer sur la juxtaposition des deux niveaux de température différents, mais cette température s’égalisera finalement à un niveau intermédiaire, l’élément chaud se refroidissant tandis que l’élément froid se réchauffe. Refroidissement et réchauffement sont des aspects égaux de la seconde loi et dans des circonstances données ce phénomène se produit spontanément.

— Vous n’allez quand même pas m’enseigner les lois élémentaires de la thermodynamique, jeune homme ? Où voulez-vous en venir exactement ? Je n’ai pas de temps à perdre.

Lamont, imperturbable, continua sans se hâter sa démonstration.

— La Pompe à Électrons fonctionne donc grâce à une égalisation des extrêmes. Dans le cas qui nous intéresse ces extrêmes sont les lois physiques des deux Univers. Les conditions, quelles qu’elles soient, qui rendent possible l’application de ces lois passent d’un Univers dans l’autre et, résultat final de ce processus, les deux Univers sont régis par des lois naturelles identiques… et intermédiaires, comparées à la situation actuelle. Étant donné qu’il en résultera des transformations que nous ne pouvons prévoir encore, mais qui seront certainement considérables dans notre Univers, j’estime qu’il convient d’envisager avec tout le sérieux qu’exige la situation l’arrêt du pompage et la cessation définitive de l’ensemble des opérations.

Lamont comptait bien qu’arrivé à ce point Hallam exploserait, coupant court à des explications plus détaillées, et Hallam ne le déçut pas. Il se leva d’un bond, renversant au passage sa chaise qu’il envoya valser d’un coup de pied, puis franchit les deux pas qui le séparaient de Lamont.

Lamont, prudent, se leva vivement et repoussa sa chaise lui aussi.

— Espèce de… d’imbécile ! hurla Hallam qui bégayait de colère. Il ne vous est donc pas venu à l’esprit que tous ceux qui travaillent à la Pompe Numéro Un savent tout ce qu’il y a à savoir sur l’égalisation des lois naturelles ? Me faire perdre mon temps à m’enseigner quelque chose que je savais déjà quand vous en étiez encore à apprendre à lire ! Sortez d’ici, et sachez bien que si vous m’offrez votre démission, je l’accepterai !

Lamont sortit, ayant obtenu exactement ce qu’il désirait, et cependant furieux de la manière dont Hallam l’avait traité.

Chapitre 6 (fin)

— J’ai au moins déblayé le terrain, déclara Lamont. Je voulais tout lui expliquer. Il a refusé de m’écouter. Je passe donc à l’étape suivante.

— Et quelle est-elle ? demanda Bronowski.

— Je vais demander à être reçu par le sénateur Burt.

— Tu veux dire le président du Comité de la Technologie et de l’Environnement ?

— Lui-même. À ce que je comprends, tu en as entendu parler ?

— Je me demande bien qui n’a pas entendu parler de lui. Mais quel est ton but, Pete ? Qu’as-tu à lui communiquer qui puisse l’intéresser ? Il ne s’agit quand même pas du décryptage. Alors, encore une fois, qu’as-tu en tête ?

— Je ne peux pas te l’expliquer. Tu ignores tout de la para-théorie.

— Parce que tu crois que le sénateur Burt y connaît quelque chose ?

— En tout cas plus que toi.

— Pete, s’exclama Bronowski en lui fourrant son doigt sous le nez, ne tournons pas autour du pot ! Je sais peut-être des choses que tu ignores. Nous ne pourrons pas continuer à collaborer si nous travaillons l’un contre l’autre. Suis-je ou ne suis-je pas un membre à part entière de notre petite équipe qui n’en comprend que deux ? Dis-moi ce que tu as dans la tête, et moi en échange je t’apprendrai quelque chose. Sinon restons-en là.

— C’est bon, fit Lamont en haussant les épaules. Puisque tu insistes, je vais m’exécuter. Cela vaut peut-être mieux, d’ailleurs, maintenant que j’en ai fini avec Hallam. Le fait est que la Pompe à Électrons transgresse une loi naturelle. Dans le para-univers la puissance d’interaction est cent fois supérieure à ce qu’elle est ici, ce qui revient à dire qu’une fission nucléaire a plus de chances de se produire ici que là-bas, mais qu’en revanche la fusion nucléaire a plus de chances de se produire là-bas qu’ici. Si la Pompe à Électrons continue à fonctionner assez longtemps, on aboutira à un équilibre où la puissance d’interaction nucléaire sera égale dans les deux Univers, c’est-à-dire dix fois plus élevée qu’elle ne l’est ici actuellement et un dixième de ce qu’elle est là-bas actuellement.

— Personne ne savait donc cela ?

— Bien au contraire tout le monde le savait. Cela est apparu presque dès le début. Hallam lui-même s’en est rendu compte. C’est bien ce qui l’a exaspéré, ce salaud. Je me suis mis à lui décrire la situation en détail comme s’il en ignorait tout et c’est ce qui l’a fait sortir de ses gonds.

— Mais alors que veux-tu dire exactement ? Serait-il dangereux que l’interaction devienne intermédiaire ?

— Mais naturellement ! Qu’est-ce que tu imagines ?

— Moi ? Je n’imagine rien du tout. Quand deviendra-t-elle intermédiaire ?

— Au taux actuel dans 1030 ans environ.

— Ça représente quoi, ça ?

— Une assez longue durée pour qu’un trillion de trillions d’Univers comme le nôtre naissent, vivent, vieillissent et meurent les uns après les autres.

— Que diable, Pete ! Dans ce cas cela n’a aucune espèce d’importance.

— Cela en a une, fit Lamont en pesant ses mots, car pour arriver à ce chiffre qui a été émis officiellement, on s’est basé sur une hypothèse qui à mon avis est fausse. Mais en revanche si nous avançons une autre hypothèse que pour ma part j’estime exacte, alors c’est maintenant que le danger nous menace.

— Quelle sorte de danger ?

— Imagine que la Terre se transforme en quelque cinq minutes en une bouffée de gaz. Estimerais-tu cela dangereux ?

— En raison du pompage ?

— En raison du pompage !

— Et qu’adviendrait-il du monde des para-men ? Seraient-ils eux aussi en danger ?

— Incontestablement ! Un danger d’une autre sorte, mais un danger quand même.

Bronowski se leva et se mit à arpenter la pièce. Il portait longs ses épais cheveux bruns, à la Buster Brown, comme cette mode s’appela à un moment donné. Fourrageant dans sa chevelure, il dit :

— Si les para-men sont plus intelligents que nous, pourquoi continuent-ils à user de la Pompe ? Ils ont dû se rendre compte bien avant nous du danger qu’elle présente.

— J’y ai pensé, dit Lamont. À mon avis, ils ont entrepris le pompage, et tout comme nous ils n’ont eu en vue que le côté bénéfique de l’opération, remettant à plus tard de s’inquiéter des conséquences.

— Mais tu affirmes les connaître, ces conséquences. Ils seraient donc plus lents que nous à réagir ?

— Reste à savoir si et quand ils ont envisagé ces conséquences. Cette Pompe est d’une trop inestimable valeur pour qu’on imagine de gaieté de cœur de la détruire. Je n’aurais pas moi-même envisagé cette éventualité si je n’avais pas… mais pourquoi toutes ces questions, Mike ?