Выбрать главу

— Eh bien, pas moi !

— Pourquoi ? fit Tritt, pressant. Nous ne faisons rien de mal.

— À moi, ça me fait mal.

(En réalité Odeen, qui avait lancé ces mots sans réfléchir, ne ressentait aucune douleur, ou du moins aucune douleur physique. Par contre, les Solides évitaient toujours le contact des Fluides. En effet, une pénétration intempestive les blessait. Mais il ne fallait pas oublier qu’ils étaient construits différemment, tout différemment même, que les Fluides.)

Tritt qui se fiait à son instinct ne se laissa pas impressionner et dit :

— Non, cela ne fait pas mal.

— C’est possible, mais ce n’est pas bien. Ce qu’il nous faut, c’est une Émotionnelle.

Tritt, têtu, se contenta de répéter :

— Peu importe. Moi ça me plaît.

Il arriva ce qu’il devait arriver et Odeen céda. Comme toujours, d’ailleurs. C’était toujours ainsi que cela finissait avec les Rationnels, si réservés fussent-ils. Comme le disait la sagesse populaire : « Ceux qui ne reconnaissent pas l’avoir fait sont des menteurs. »

Désormais, chaque fois qu’ils se rencontraient, Tritt lui faisait des avances et le caressait, soit à l’aide de son tentacule soit en se frottant contre lui. Et finalement Odeen, cédant au plaisir qu’il ressentait, répondit à ces avances et s’efforça même de chatoyer. Il y parvenait même mieux que Tritt. Le pauvre Tritt, malgré toute la peine qu’il se donnait, ne parvenait à chatoyer que par endroits, et encore, faiblement.

Odeen, au contraire, devenait tout translucide et dissimulait sa gêne pour se mêler à Tritt. Ils parvenaient ainsi à une certaine interpénétration et Odeen, sous la dure enveloppe de Tritt, sentait vibrer ses pulsations. Il en éprouvait un plaisir mêlé de remords.

Quand ils s’éloignaient l’un de l’autre, Tritt était le plus souvent fatigué et vaguement irrité.

— Je te l’ai bien dit, Tritt, lui rappelait Odeen. Pour faire ces choses comme elles doivent l’être, il nous faut une Émotionnelle. C’est ainsi. Il faut t’y résigner.

— Bon, fit Tritt. Alors procurons-nous une Émotionnelle.

Procurons-nous une Émotionnelle ! Tritt, dans sa simplicité, ne concevait que l’action directe. Odeen, qui ne savait comment lui expliquer les complexités de la vie, lui répondit gentiment :

— Ce n’est pas aussi facile que tu as l’air de le croire, flanc-droit.

— Les Solides savent s’y prendre, fit abruptement Tritt. Toi qui es bien avec eux, demande-le-leur.

— Le leur demander ! s’exclama Odeen, scandalisé. Le temps n’est pas encore venu, ajouta-t-il, reprenant inconsciemment un ton pédant, sinon je le saurais. Et tant qu’il ne sera pas encore venu…

— Moi, je le leur demanderai, fit Tritt qui ne l’écoutait pas.

— Non ! s’écria Odeen, horrifié. Ne te mêle surtout pas de ça ! Je te répète que le moment n’est pas encore venu. Il faut d’abord que j’achève mon instruction. Il est très facile d’être un Parental et de ne rien savoir d’autre que…

Il regretta immédiatement ce qu’il venait de dire, qui d’ailleurs n’était pas exact. Mais il tenait avant tout à ne pas offenser les Solides et ne pas gâcher les rapports bénéfiques qu’il entretenait avec eux. Tritt, cependant, ne semblait nullement vexé et Odeen comprit qu’il ne tenait pas à apprendre ce qu’il ignorait et ne se considérait pas comme insulté.

En attendant, ils n’avaient toujours pas trouvé d’Émotionnelle. De temps à autre ils se livraient à une interpénétration, car avec le temps ils en ressentaient de plus en plus le besoin. Mais s’ils en éprouvaient un certain plaisir, celui-ci n’était pas totalement satisfaisant. Chaque fois Tritt réclamait une Émotionnelle. Et chaque fois Odeen se plongeait plus profondément dans ses études, comme pour éluder le problème.

Il lui arrivait pourtant d’être tenté, à l’occasion, d’en parler à Losten.

Losten était, de tous les Solides, celui qu’il connaissait le mieux ; celui qui s’intéressait le plus à lui. Les Solides se ressemblaient tous, c’en était même lassant, et s’ils ne changeaient pas, c’est que leur forme était fixée une fois pour toutes. Leurs yeux ne changeaient jamais de place et celle-ci était pour tous la même. Leur peau, sans être spécialement dure, était opaque, jamais chatoyante, jamais mouvante et jamais pénétrable par une peau du même type.

Ils n’étaient pas plus « importants » que les Fluides, mais plus lourds. Leur substance était plus dense et ils devaient traiter avec précaution les souples et mouvantes formes des Fluides.

Lorsqu’il était encore petit, tout petit, et que son corps se mouvait aussi librement que celui de sa sœur, Odeen vit un Solide s’approcher de lui. Il ne sut jamais qui il était, mais il apprit par la suite que les Solides s’intéressaient tout spécialement aux bébés-Rationnels. Odeen, par pure curiosité, voulut toucher le Solide, qui fit un bond en arrière. Le Parental d’Odeen, apprenant la chose, le gronda sévèrement pour avoir tenté de toucher un Solide.

La semonce avait été si sévère qu’Odeen ne l’oublia jamais. Il apprit, lorsqu’il fut plus grand, que les Solides, dont les tissus étaient formés d’atomes plus compacts, ressentaient de la douleur à être pénétrés par des Fluides. Odeen se demanda si les Fluides éprouvaient eux aussi de la douleur à entrer en contact avec un Solide. Un jeune Rationnel lui raconta qu’un jour il s’était heurté à un Solide et que ledit Solide s’était plié en deux de souffrance alors que lui-même n’avait rien ressenti… mais Odeen se demanda si ce jeune Rationnel ne se vantait pas.

D’autres choses lui étaient interdites. Ainsi il aimait à se frotter contre les parois de la caverne. Il éprouvait en pénétrant la roche une sensation agréable et chaude. Les jeunes enfants le faisaient tous, mais en grandissant cela lui devint plus difficile. Il y parvenait tout au moins à fleur de roche, mais son Parental le surprit un jour à se livrer à ce genre d’exercice et le gronda. Et comme il objectait avoir vu sa sœur en faire autant, son Parental lui répondit qu’il en allait tout différemment pour une Émotionnelle.

Une autre fois, alors qu’Odeen absorbait un enregistrement – il était déjà plus âgé –, il forma nonchalamment une double projection tellement immatérielle qu’il parvint à faire passer l’une dans l’autre. Cela devint chez lui une habitude. Il en retirait une plaisante et piquante sensation qui lui facilitait l’audition et le plongeait ensuite dans une agréable somnolence.

Son Parental le surprit en train de se livrer à ce petit jeu et Odeen ne se rappela jamais sans malaise ce qu’il lui avait dit à ce moment-là.

Personne ne lui expliqua vraiment en quoi consistait l’interpénétration. On lui faisait ingurgiter du savoir et on l’instruisait d’à peu près tout sauf du rôle exact d’une triade. On n’en avait pas dit plus à Tritt, mais étant un Parental, il savait d’instinct ces choses-là. Bien entendu, lorsque enfin surgit Dua tout s’éclaircit, bien qu’elle semblât en savoir sur ces questions encore moins qu’Odeen.

Mais ils ne la durent pas à l’intervention d’Odeen. Ce fut Tritt qui organisa la chose, ce Tritt qui généralement redoutait les Solides et les fuyait ; Tritt qui n’avait nullement l’assurance d’Odeen sauf sur cette question ; Tritt qui obéissait à son instinct ; Tritt… Tritt… Tritt…

Odeen soupira. Si Tritt envahissait ainsi ses pensées, c’était qu’il approchait. Et d’avance Odeen savait qu’il se montrerait, comme toujours, exigeant et pressant. Et cela juste au moment où Odeen disposait de si peu de temps pour réfléchir et pour mettre de l’ordre dans ses pensées.

— C’est toi, Tritt ? dit-il.