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Il lui arriva cependant un jour de se révolter.

— Que se passe-t-il quand nous nous unissons ? Il s’écoule des heures, parfois même des jours, avant que nous nous séparions. Que se passe-t-il pendant tout ce temps ?

— C’est toujours ainsi que cela se passe, fit Tritt, l’air outragé, et c’est ainsi que cela doit se passer.

— Je n’aime pas qu’on me réponde : « Cela doit se passer ainsi. » Je voudrais qu’on m’en explique la raison.

Odeen eut soudain l’air affreusement gêné. Il passait d’ailleurs la moitié de son temps à être gêné. Mais il dit néanmoins :

— Dua, il faut qu’il en soit ainsi. À cause de… des enfants – et il se mit à palpiter de tout son corps.

— Inutile de palpiter ainsi, fit vertement Dua. Nous ne sommes plus des enfants. Nous nous sommes interpénétrés je ne sais combien de fois et nous savons tous les trois que c’est ainsi que sont conçus les enfants. Alors pourquoi ne pas le dire tout simplement ? Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi cela dure si longtemps.

— Parce qu’il s’agit d’un processus compliqué, fit Odeen palpitant de plus belle. Un processus qui exige de l’énergie. Cela prend beaucoup de temps, Dua, de concevoir un enfant, et même quand nous y consacrons beaucoup de temps, nous n’y réussissons pas toujours. Et d’ailleurs la chose devient de plus en plus difficile… Pas seulement pour nous, ajouta-t-il vivement.

— Plus difficile ? fit Tritt, anxieux. Mais Odeen se refusa à en dire davantage.

Ils eurent enfin un enfant, un petit Rationnel, un flanc-gauche, qui savait si bien s’enfler et s’amincir que tous trois étaient en extase devant lui et qu’Odeen lui-même le prenait dans sa main, aussi longtemps que Tritt voulait bien le lui permettre, pour le voir se transformer sous ses yeux. Car c’était bien entendu Tritt qui l’avait incubé pendant sa longue gestation. Tritt qui l’avait expulsé de lui dès que l’enfant avait été en état de mener une vie indépendante. Tritt qui veillait sans arrêt sur lui.

Désormais Tritt fut moins souvent avec eux et Dua en éprouva un secret plaisir. Les assiduités de Tritt l’ennuyaient alors que celles d’Odeen, chose étrange, lui plaisaient. Elle devint chaque jour plus consciente du rôle important qu’il jouait dans sa vie. Un Rationnel avait ce privilège d’être en mesure de répondre à des questions, et Dua avait constamment des questions à lui poser. Il y répondait d’ailleurs plus volontiers en l’absence de Tritt.

— Pourquoi cela prend-il si longtemps, Odeen ? Je n’aime pas me fondre ainsi en vous et ignorer ce qui se passe pendant des jours.

— Nous ne courons aucun danger, Dua, lui affirma Odeen. Il ne nous est jamais rien arrivé, n’est-il pas vrai ? Pas plus qu’à d’autres triades. D’ailleurs tu ne devrais pas me questionner ainsi.

— Parce que je suis une Émotionnelle ? Parce que les autres Émotionnelles ne posent pas de questions ?… Eh bien, permets-moi de te dire que je ne peux pas supporter les autres Émotionnelles et que je tiens essentiellement à poser des questions.

Elle se rendit compte, à cet instant, que jamais Odeen ne l’avait trouvée plus attirante et que si Tritt avait été présent ils se seraient tous trois interpénétrés sur-le-champ. Elle s’étira et s’amincit même légèrement, par pure coquetterie.

— Je me demande si tu comprends tout ce que cela implique. Il faut une grande dépense d’énergie pour donner vie à un nouvel être, Dua.

— Tu parles souvent d’énergie. Qu’est-ce que cela représente exactement ?

— Ce que nous absorbons.

— Alors pourquoi ne parles-tu pas simplement de nourriture ?

— Parce que nourriture et énergie ne sont pas exactement semblables. C’est le Soleil qui nous fournit notre nourriture, qui est une sorte d’énergie ; mais il existe d’autres sources d’énergie qui ne se trouvent pas dans notre alimentation. Pour nous nourrir, nous nous étirons afin de mieux absorber la lumière, processus difficile pour les Émotionnelles, qui sont beaucoup plus transparentes que nous. La lumière, au lieu de les nourrir, a tendance à passer à travers elles…

C’est merveilleux, se dit Dua, de s’entendre expliquer les choses. En réalité, ces choses, elle les savait, mais elle n’aurait pu les exprimer. Il lui manquait cette science des mots qu’Odeen maniait si bien. Et tout ce qui lui arrivait en prenait plus de relief et de signification.

À l’occasion, maintenant qu’elle était adulte, qu’elle ne redoutait plus leurs puériles taquineries, car faire partie de la triade d’Odeen lui donnait du prestige, Dua tentait de se mêler aux autres Émotionnelles, de s’habituer à leur constante agitation et à leurs futiles bavardages. Elle éprouvait parfois le besoin de faire un repas plus substantiel, ce qui, elle le savait, favorisait la fusion. Il y avait quelque chose de grisant – et Dua partageait presque le plaisir que ses compagnes en tiraient visiblement – à manœuvrer pour mieux s’exposer au soleil ; à s’épandre voluptueusement, puis à se contracter pour mieux en absorber la chaleur.

Mais Dua en avait vite assez alors que les autres ne semblaient jamais rassasiées. Il y avait chez elles une sorte de gloutonnerie que Dua ne partageait pas et qui à la longue lui était insupportable.

On trouvait rarement en surface Rationnels et Parentals. Leur densité leur permettait d’absorber rapidement leur dose de nourriture et de ne pas s’attarder. Les Émotionnelles s’enroulaient, se déroulaient au soleil pendant des heures, car si elles se nourrissaient plus lentement, il leur fallait plus d’énergie qu’aux autres… tout au moins pour procéder à l’interpénétration.

C’est l’Émotionnelle qui fournit l’énergie, lui avait expliqué Odeen en palpitant si fort qu’elle le comprenait à peine ; le Rationnel, la semence ; et le Parental, l’incubateur.

Lorsque Dua eut compris cela, un certain amusement se mêla au mépris qu’elle éprouvait à voir les autres Émotionnelles se gorger de soleil rougeoyant. Comme elles ne posaient jamais de questions, elles ignoraient, Dua en était persuadée, la raison de leur comportement ; ce qu’avaient d’obscène leurs palpitantes contorsions et leur précipitation à aller, toutes gorgées d’énergie, au-devant d’une féconde interpénétration.

Elle comprenait aussi la contrariété que manifestait Tritt lorsqu’elle redescendait sans avoir atteint l’opacité, la densité qui résultent d’une bonne absorption de soleil. Mais en somme de quoi se plaignaient-ils ? Sa minceur, sa souplesse leur assuraient une plus intime fusion. Non pas l’amalgame gluant et baveux des autres triades mais une union éthérée, à son avis infiniment plus parfaite. Après tout, n’avaient-ils pas donné naissance à un petit flanc-gauche et à un petit flanc-droit ?

Évidemment le point crucial restait la petite Émotionnelle, l’enfant médiane. Il fallait pour la concevoir plus d’énergie que pour les deux autres, et Dua n’en fournissait jamais assez.

Odeen lui-même commença d’y faire allusion.

— Tu n’absorbes pas assez de soleil, Dua.

— Mais si ! fit vivement Dua.

— La triade de Genia vient de concevoir une Émotionnelle.

Dua n’aimait pas Genia. Elle ne l’avait jamais aimée. Elle la trouvait plus sotte et plus frivole encore que ses compagnes.

— Je parie qu’elle le proclame, fit Dua d’un ton méprisant. Elle n’a aucun tact. Je crois l’entendre déclarer : « Je ne devrais pas t’en parler, ma chère, mais tu ne peux pas savoir à quel point mon flanc-gauche et mon flanc-droit se sont appliqués et ingéniés…»

Elle imitait si bien la voix niaise de Genia qu’Odeen s’en amusa secrètement, ce qui ne l’empêcha pas de répondre :