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— Par qui ?

— Par les Solides.

Tritt resta muet. Que pouvait-il dire ? Jamais il n’avait entendu chose pareille. Il se refusait à concevoir une chose pareille.

— Tritt, reprit Odeen, le moment est venu pour nous de disparaître. Et maintenant j’en connais la raison. J’y ai longuement réfléchi depuis que Losten… Mais peu importe. Dua et toi devez également disparaître. Maintenant que je sais pourquoi, tu en percevras, je crois, la nécessité et j’espère que Dua la percevra elle aussi. Et il nous faut disparaître rapidement, car Dua est en train de détruire le monde.

— Ne me regarde pas comme ça, Odeen, fit Tritt en reculant. Tu me fais… tu me fais…

— Je ne te fais rien du tout, Tritt, fit Odeen tristement. Mais maintenant je sais que tu dois… Avant tout il nous faut retrouver Dua.

— Non, non, gémit Tritt qui se sentait au supplice et qui essayait de résister.

Il sentait en Odeen quelque chose de nouveau et de terrifiant, et il devinait que leur existence approchait inexorablement de sa fin. Il n’y aurait plus ni Tritt ni petite médiane. Alors que les autres Parentals conservaient longtemps leur petite médiane, Tritt allait perdre la sienne presque immédiatement.

Ce n’était pas juste ! Non, ce n’était pas juste !

— Tout cela c’est la faute de Dua, fit Tritt, haletant. Qu’elle disparaisse la première.

— Tu sais bien que c’est tous les trois que nous devons… fit Odeen avec un calme impressionnant.

Et Tritt sut qu’il en était ainsi… qu’il en était ainsi… qu’il en était ainsi…

Chapitre 6 a

Dua se sentait glacée, transparente, immatérielle. Après qu’Odeen l’y avait découverte, elle avait cessé de faire surface pour absorber les rayons du soleil. Et elle ne se nourrissait qu’irrégulièrement aux batteries des Solides. Elle n’osait quitter trop longtemps l’abri que lui offrait la roche. Elle absorbait trop rapidement l’énergie que produisaient ces batteries et n’était jamais rassasiée.

Elle éprouvait de façon continue un sentiment de faim, et se cantonner dans la roche l’épuisait. Il lui semblait parfois qu’on lui appliquait un châtiment pour s’être pendant si longtemps insuffisamment nourrie des rayons déclinants du Soleil couchant.

Si ce n’était la mission qu’elle s’était imposée, elle n’aurait pu supporter la fatigue et la faim. Il lui arrivait de souhaiter être détruite par les Solides… mais seulement lorsqu’elle aurait achevé sa tâche.

Aussi longtemps qu’elle restait enfouie dans la roche, les Solides ne pouvaient rien contre elle. Elle percevait parfois leur présence à la surface de la roche. Ils avaient peur. Elle se disait parfois qu’ils avaient peur pour elle, mais cela ne pouvait être. Comment pourraient-ils avoir peur pour elle ? Peur qu’elle disparaisse par manque de nourriture, par épuisement ? Mais il se pouvait aussi qu’ils aient peur d’elle ; peur d’une machine qui ne fonctionnait pas comme ils l’avaient prévu ; épouvantés par un tel prodige ; se sentant impuissants et emplis de terreur.

Elle les évitait soigneusement. Elle savait toujours où ils étaient, et ils ne pouvaient donc ni se saisir d’elle ni mettre fin à ses agissements.

Ils ne pouvaient pas être partout à la fois. Et elle se croyait capable d’annihiler le peu de perception qu’ils possédaient.

Elle sortit en tournoyant de la roche et se mit à étudier les doubles des messages qu’ils avaient reçus de l’autre univers. Ils ignoraient que c’était ce qu’elle recherchait. S’ils les dissimulaient, elle les retrouverait où qu’ils fussent. Et peu lui importait s’ils les détruisaient. Dua les reconstituerait de mémoire.

Au début, elle ne les comprenait pas, mais son séjour dans la roche semblait aiguiser ses sens et elle eut bientôt l’impression de les comprendre sans les comprendre. Sans même savoir ce que signifiaient ces symboles, ils éveillaient quelque chose en elle.

Elle prit les signes et les disposa à l’endroit même d’où ils seraient envoyés dans l’autre Univers. Ces signes formaient le mot P-E-U-R. Ce que cela pouvait bien vouloir dire elle n’en avait aucune idée, mais cela éveillait en elle un sentiment de peur et elle fit de son mieux pour imprégner son message de ce même sentiment de peur. Peut-être les êtres-autres, en les scrutant, éprouveraient-ils eux aussi de la peur.

Quand vinrent les réponses, Dua y puisa de l’excitation. Elles ne lui parvenaient pas toutes. Parfois les Solides les découvraient avant elle. Ils devaient sans aucun doute savoir ce qu’elle était en train de faire. Mais ils étaient incapables de déchiffrer ces messages, et les sentiments qu’ils exprimaient.

Peu lui importait ! Rien ne l’empêcherait d’accomplir jusqu’au bout sa mission… quoi que pussent découvrir les Solides.

Elle attendait avec impatience le message qui répondrait à ses sentiments. Et il vint : P-O-M-P-E N-É-F-A-S-T-E.

Il exprimait, comme elle l’avait désiré, peur et haine. Elle le renvoya sous une forme plus complète, et plus chargé encore de peur et de haine. Maintenant enfin les habitants de l’autre Univers comprendraient. Maintenant enfin ils cesseraient de faire fonctionner la Pompe. Les Solides se verraient obligés de trouver un autre moyen, une autre source d’énergie. Mais ils ne l’obtiendraient pas au prix de la vie de milliers et de milliers d’habitants de l’autre Univers.

Elle restait trop longtemps enfouie dans la roche et tombait dans une sorte de stupeur. Elle éprouvait un besoin désespéré de s’alimenter et guettait le moment de pouvoir quitter son abri. Si elle souhaitait désespérément s’alimenter à la batterie de réserve, elle souhaitait plus désespérément encore la voir s’épuiser. Elle aurait aimé en aspirer les dernières gorgées, avoir la certitude qu’elle l’avait vraiment épuisée et que sa tâche était accomplie.

Elle émergea enfin à la surface et s’y attarda longuement, aspirant le contenu d’une des batteries. Elle aurait aimé la vider jusqu’à la dernière goutte, s’assurer qu’elle n’émettait plus d’énergie, mais sa source était inépuisable… inépuisable… inépuisable.

Découragée, elle s’étira et s’éloigna de la batterie. La Pompe à Positons fonctionnait donc toujours. Ses messages ne seraient-ils donc pas parvenus à persuader les habitants de l’autre univers de mettre fin au fonctionnement de la Pompe ? Ou ne les auraient-ils pas reçus ? Ou encore n’en auraient-ils pas compris le sens ?

Il lui fallait effectuer une dernière tentative. Rendre son message plus compréhensible encore. Elle y inclurait toutes les combinaisons de signes qui lui semblaient contenir la notion de danger ; toutes les combinaisons qui les persuaderaient enfin qu’un danger les menaçait.

Elle se mit frénétiquement à graver les caractères dans le métal, puisant sans réserve dans l’énergie qu’elle venait d’absorber dans la batterie, jusqu’à épuisement, et luttant contre une terrible lassitude : POMPE PAS ARRÊTÉE PAS ARRÊTÉE ARRÊTONS PAS POMPE NE PRESSENTONS PAS DANGER NE PRESSENTONS PAS NE PRESSENTONS PAS VOUS PRIONS ARRÊTER POMPAGE ARRÊTERONS AUSSI METTEZ FIN DANGER DANGER DANGER ARRÊTEZ ARRÊTEZ POMPAGE.

Elle ne pouvait rien faire de plus. Et elle n’était plus que douleur. Elle plaça le message à l’endroit où il aurait dû être transmis et n’attendit pas que les Solides s’en chargent. À peine consciente, elle actionna les manettes comme elle le leur avait vu faire, dans un dernier sursaut d’énergie.

Le message disparut, tout comme la caverne, dans un pourpre et vertigineux chatoiement. Épuisée, elle se dissolvait…

Odeen… Tri…

Chapitre 6 b