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Odeen surgit. Jamais il ne s’était propulsé aussi rapidement. Il s’était laissé guider par Tritt, dont la perception était aiguisée par la naissance de la petite médiane, mais il était maintenant assez près de Dua pour que ses sens émoussés perçoivent sa proximité. Il la sentit sur le point de perdre conscience et il s’élança en criant : « Plus vite ! Plus vite ! » à Tritt qui peinait pour rester à sa hauteur.

Odeen trouva Dua dans un état comateux ; elle n’avait plus qu’un souffle de vie et était bien loin d’atteindre le volume d’une Émotionnelle adulte.

— Tritt, dit-il, apporte la batterie. Non, n’essaie pas de transporter Dua. Elle est trop fluide. Hâte-toi. Si elle se laisse couler dans la roche…

Les Solides commencèrent de se rassembler. Avec retard, bien entendu, car ils étaient bien incapables de sentir à distance une quelconque forme de vie. S’il n’avait dépendu que d’eux jamais on n’aurait sauvé Dua. Non, elle n’aurait pas disparu ; elle aurait été réellement détruite et ce qu’elle savait, et plus encore, aurait été détruit avec elle.

Cependant elle reprenait peu à peu vie grâce à l’énergie qu’elle absorbait, entourée de Solides silencieux.

Odeen se redressa ; un nouvel Odeen qui savait exactement ce qui se passait. D’un geste impérieux il ordonna aux Solides de s’éloigner, ce qu’ils firent sans soulever la moindre objection.

Dua s’étira.

— Elle revient à elle, Odeen ? demanda Tritt.

— Tais-toi, Tritt, fit Odeen. Dua ?…

— Odeen ? soupira-t-elle en s’étirant. Je croyais avoir disparu.

— Pas encore, Dua. Pas encore. Il te faut d’abord t’alimenter et te reposer.

— Tritt est-il là, lui aussi ?

— Oui, je suis là, Dua, fit Tritt.

— N’essayez pas de me ramener à la vie, leur dit Dua. J’en ai fini. J’ai accompli ce que je voulais accomplir. La Pompe à Positons va… va bientôt cesser de fonctionner, cela j’en suis sûre. Les Solides continueront d’avoir besoin des Fluides et ils prendront soin de vous deux, ou tout au moins des enfants.

Odeen resta silencieux et il empêcha Tritt de prononcer une parole. Il laissait les rayons pénétrer lentement, très lentement, en Dua. Il les arrêtait par moment pour la laisser se reposer, puis les dirigeait de nouveau vers elle.

— Assez, assez, murmura-t-elle enfin, tandis qu’elle reprenait une certaine densité.

Mais Odeen continua de l’alimenter. Il dit enfin :

— Dua, tu te trompais. Nous ne sommes pas des machines. Je sais exactement ce que nous sommes. Je serais venu plus vite auprès de toi si je l’avais appris plus tôt, mais je ne l’ai compris que lorsque Losten m’a pressé de réfléchir. Je l’ai fait, et de toutes mes forces, et maintenant encore j’hésite presque à t’en parler.

Dua gémit. Odeen se tut un instant, puis reprit :

« Écoute-moi bien, Dua. Il n’existe au monde qu’une seule espèce douée de vie. Et seuls les Solides sont vivants. Tu l’avais compris et en cela tu avais raison. Mais cela n’implique pas que les Fluides ne soient pas eux aussi doués de vie. Nous faisons tout simplement partie de la même espèce. Les Fluides ne sont que la forme inachevée des Solides. Nous sommes d’abord enfants sous la forme fluide, puis adultes toujours sous la forme fluide, et enfin nous devenons des Solides. Me comprends-tu ?

— Hein ? Quoi ? fit Tritt, complètement perdu.

— Pas maintenant, Tritt, pas maintenant, fit Odeen. Tu comprendras plus tard. En ce moment, c’est à Dua que je m’adresse.

Tout en parlant, il observait Dua qui devenait opalescente.

« Écoute encore, Dua, reprit-il. Chaque fois que nous nous interpénétrons, que la triade s’interpénètre, nous nous transformons en un Solide. Le Solide est trois en un, et c’est pour cette raison même qu’il est un Solide. Au cours de la période inconsciente de l’interpénétration nous sommes un Solide, mais cet état est temporaire et nous n’en gardons pas le souvenir. Nous ne pouvons conserver longuement cet état de Solides ; il nous faut revenir à notre état précédent. Mais au cours de notre vie nous ne cessons de nous développer, et cette vie est marquée par d’importantes étapes. Ainsi la naissance de chacun des enfants est une de ces étapes. Mais la naissance du troisième, c’est-à-dire de l’Émotionnelle, marque l’étape finale. C’est alors que le Rationnel, le Rationnel seul, se souvient par éclairs d’avoir été à un moment donné un Solide. Et c’est alors, et alors seulement, qu’il provoquera fusion parfaite qui fera d’eux trois, et pour toujours, un Solide. La triade connaîtra désormais une vie nouvelle, toute vouée à l’étude et à la connaissance. Je vous ai dit un jour que disparaître équivalait à renaître. Je tâtonnais à la recherche de quelque chose que je comprenais mal, mais que maintenant je conçois clairement. »

Dua le regardait, s’efforçant de sourire.

— Comment peux-tu croire cela, Odeen ? demanda-t-elle. S’il en était ainsi, ne penses-tu pas que les Solides te l’auraient dit depuis longtemps ? Nous l’auraient dit à nous trois ?

— Ils ne le pouvaient pas, Dua. Il fut un temps, il y a de cela des siècles, où la fusion consistait uniquement à réunir les atomes des corps. Mais l’évolution développa peu à peu les esprits. Écoute-moi bien, Dua. L’interpénétration consiste également à faire fusionner les esprits, ce qui est plus difficile et infiniment plus délicat. Pour les unir de façon totale et définitive, le Rationnel doit atteindre un certain niveau de son développement. Il l’atteint lorsqu’il découvre par lui-même ce qu’il en est, lorsque son esprit est suffisamment aiguisé pour se souvenir de ce qui s’est passé au cours des fusions momentanées que provoquent les interpénétrations. Si les Rationnels le savaient d’avance, leur développement en serait arrêté et le moment exact de l’union parfaite ne pourrait être déterminé. Il en résulterait un Solide imparfait. Losten prenait un grand risque en me pressant de réfléchir. Cela aurait même pu… mais j’espère que non…

« Tout ce que je viens de te dire s’adapte particulièrement bien à notre cas, Dua. Pendant de nombreuses générations les Solides ont formé avec énormément de soins des triades chargées de donner naissance à des Solides particulièrement doués. Mais jamais ils n’avaient obtenu une triade aussi parfaite que la nôtre. Et tu en es le fleuron, Dua. Oui, le fleuron. Tu fus autrefois la médiane de la triade de Losten. Il fut donc en partie ton Parental. Il savait ce que tu valais et c’est pourquoi il t’a amenée à Tritt et à moi.

Dua se redressa et dit d’une voix presque normale :

— Odeen, serais-tu en train d’inventer tout cela pour m’amadouer ?

— Non, Dua, fit Tritt intervenant. Il a raison. Je ne saurais dire exactement en quoi, mais je sens qu’il a raison.

— Tu vois, Dua, fit Odeen. Toi aussi tu te rendras à mes raisons. Ne commences-tu pas à te souvenir d’avoir été un Solide au cours de nos fusions ? Ne veux-tu pas que nous nous interpénétrions pour la dernière fois ? Oui, pour la dernière fois ?

Il la souleva. Elle était fiévreuse, et bien que se débattant, elle ne se mit pas moins à s’épandre.

— Si ce que tu dis est vrai, Odeen, fit-elle haletante, si nous devons finir par former un Solide, alors il me semble, d’après ce que tu dis, que nous serons un Solide appelé à jouer un rôle important. Est-ce bien ça ?

— Le plus important de tous. Le meilleur qui ait été jamais joué… Tritt mets-toi là. Ce n’est pas un adieu, Tritt. Nous resterons ensemble, comme nous l’avons toujours désiré. Et Dua aussi. Oui, Dua, toi aussi.

— Nous persuaderons alors Estwald que la Pompe doit cesser de fonctionner, dit Dua. Nous l’obligerons à…