Выбрать главу

Un des assistants (selon toute probabilité Antoine-Jérôme Lapin, mais le compte rendu n’est pas très clair à ce sujet) demanda au professeur Hallam s’il suggérait par là qu’un agent du para-Univers, doué d’une grande intelligence, avait délibérément procédé à cet échange afin d’obtenir une source d’énergie. C’est ainsi que fut adoptée l’expression « para-Univers », abréviation d’Univers parallèle, formulée pour la première fois au cours de cette séance.

Un silence plana, puis Hallam, plus audacieux que jamais – et c’est en cela que consiste sa Géniale Illumination –, déclara :

« Oui, je le pense, et je pense aussi que cette source d’énergie ne peut être utilisée que si l’Univers et le para-Univers travaillent de concert, chacun à une des extrémités d’une pompe, eux nous transmettant à travers elle de l’énergie, et nous, en faisant autant à l’autre extrémité, exploitant ainsi, à notre avantage à tous, les différences que présentent les lois naturelles de ces deux Univers. » Hallam venait non seulement d’adopter l’expression « para-Univers », mais il l’avait faite sienne. Par la suite il fut regardé comme le premier à user du mot pompe – désormais écrit invariablement avec une majuscule – chaque fois qu’il était question de cette étonnante découverte.

Le rapport officiel a tendance à laisser croire que la suggestion d’Hallam fut accueillie avec enthousiasme. En réalité, il n’en fut rien. Ceux qui se prêtèrent à cette discussion se contentèrent de dire qu’ils ne voyaient là qu’une amusante spéculation. Quant à Kantrovitch, il n’ouvrit pas la bouche. Et ces réactions jouèrent en faveur de la carrière d’Hallam.

En effet, Hallam ne pouvait accomplir seul, en théorie et en pratique, tout ce qu’impliquait sa suggestion. Il lui fallait donc former une équipe, ce qu’il fit. Mais aucun des membres de cette équipe ne collabora ouvertement dès le début à ses travaux. Et lorsque vint le succès, un succès éclatant, le public en attribua tout le mérite à Hallam, et à Hallam seul. Pour le monde entier, ce fut Hallam, et Hallam seul, qui découvrit le premier ce fameux corps ; qui eut et transmit sa Géniale Illumination : Hallam qui devint de ce fait le Père de la Pompe à Électrons.

On se livra alors, dans divers laboratoires, à des expériences sur des paillettes de tungstène. Une fois sur dix la transmutation s’effectua et on obtint ainsi de nouvelles réserves de plutonium-186. On tenta, mais sans succès, la même expérience avec d’autres corps… Mais quels que fussent le laboratoire où ces expériences avaient lieu et le savant qui s’y livrait, les nouvelles réserves de plutonium-186 ainsi obtenues venaient enrichir l’Organisme central de Recherches travaillant sur la question, et pour le public ce n’était qu’un peu de tungstène d’Hallam de plus.

Ce fut également Hallam qui avec beaucoup de bonheur exposa au grand public quelques aspects de sa théorie. À sa propre surprise (comme il devait l’avouer par la suite) il se découvrit des dons d’écrivain et trouva plaisir à faire œuvre de vulgarisation. Le succès vous impose d’ailleurs certaines obligations et le public n’acceptait de s’entendre exposer cette théorie que par Hallam lui-même.

Dans un article devenu célèbre et qui parut dans le North American Sunday Tele-Times Weekly, il déclarait : « Nous ne sommes pas encore en mesure de dire en combien de points les lois du para-Univers diffèrent de celles de notre propre Univers, mais il nous est permis de supposer sans trop risquer de nous tromper que la puissante interaction nucléaire, la force la plus puissante que connaisse actuellement notre Univers, est plus puissante encore dans le para-Univers, peut-être même cent fois plus puissante. Ce qui signifie que les protons résistent plus aisément à leur propre attraction électrostatique et que par conséquent il faut au noyau moins de neutrons pour parvenir à un état de stabilité.

« Le plutonium-186, stable dans leur Univers, contient infiniment trop de protons, ou pas assez de neutrons, pour être stable dans notre Univers où l’interaction nucléaire est moins active. Lorsqu’il pénètre dans notre Univers, le plutonium-186 émet des positons, produisant ainsi de l’énergie, et à chaque positon émis, un des protons contenus dans le noyau se transforme en un neutron. C’est ainsi que vingt protons par noyau ayant été convertis en neutrons, le plutonium-186 est devenu le tungstène-186, corps stable selon les lois de notre propre Univers. Au cours de ce processus, vingt positons par noyau ont été éliminés. Ces positons s’amalgament à vingt électrons, qu’ils annihilent, produisant ainsi de l’énergie supplémentaire. Voilà pourquoi, à chaque noyau de plutonium-186 qui nous parvient correspond dans notre Univers une diminution de vingt électrons.

« En revanche, le tungstène-186 qui pénètre dans le para-Univers est instable pour la raison opposée. Selon les lois qui le régissent, le para-Univers renferme trop de neutrons, ou pas assez de protons. Le noyau de tungstène-186 émet des électrons, produisant ainsi de l’énergie, et à chaque électron émis un neutron se transforme en un proton, ce qui donne finalement du plutonium-186. Chaque fois qu’un noyau de tungstène-186 parvient dans le para-Univers, ce dernier s’accroît de vingt électrons.

« Le plutonium/tungstène peut ainsi effectuer indéfiniment un cycle entre l’Univers et le para-Univers, produisant de l’énergie d’abord dans l’un, puis dans l’autre, avec pour résultat un transfert de vingt électrons par noyau de notre Univers vers le leur. Ces deux Univers peuvent donc être alimentés en énergie par ce qui est en fait la Pompe à Électrons inter-Univers. »

La mise en pratique de cette théorie, c’est-à-dire la mise en marche de la Pompe à Électrons, source d’énergie, s’effectua avec une incroyable rapidité, et chacune des étapes menant au succès rehaussa encore le prestige d’Hallam.

Chapitre 3

Lamont n’avait aucune raison de mettre en doute l’origine de ce prestige et c’est empli d’un certain culte de la brillante personnalité d’Hallam (culte dont le souvenir le gêna par la suite et qu’il s’efforça, y réussissant dans une certaine mesure, d’effacer de sa mémoire) qu’il le pria de lui accorder un entretien en vue de l’étude qu’il se proposait d’écrire.

Hallam s’y plia de bonne grâce. L’incroyable prestige dont il jouissait depuis trente années auprès du grand public avait de quoi le griser. Avec l’âge, il avait sinon embelli, du moins gagné en prestance. Sa corpulence lui donnait moralement du poids et si ses traits étaient plutôt grossiers ils exprimaient la sérénité du savant satisfait de lui-même. Cependant il rougissait encore pour un oui ou pour un non et il était d’une susceptibilité proverbiale.

Avant de recevoir Lamont, il avait pris le soin de se faire remettre sur lui une courte notice.

— Docteur Peter Lamont ? dit-il en l’accueillant. Vous avez, à ce que j’ai appris, fait un excellent travail sur la para-théorie. Je me souviens de votre communication. Elle traitait de la para-fusion, non ?

— En effet, Monsieur.

— Soyez assez aimable pour me rafraîchir la mémoire. Donnez-moi de votre étude un rapide aperçu. En termes simples, comme si vous vous adressiez à un profane. Après tout, dans une certaine mesure, j’en suis un, ajouta-t-il avec un petit rire. Moi, ma spécialité, c’est la radiochimie, et je ne me vante pas d’être un grand théoricien, si l’on excepte les quelques concepts que j’ai eus à l’occasion.

À l’époque, Lamont prit ces mots pour du bon argent, et il est possible d’ailleurs qu’Hallam ne se soit pas montré aussi condescendant que le jeune savant le raconta par la suite. Mais, comme il ne tarda pas à le découvrir, Hallam avait employé avec lui sa méthode habituelle qui consistait à extraire des autres l’essentiel de leurs travaux. Il développait ensuite le sujet, ne se montrant pas trop sourcilleux – et même pas sourcilleux du tout – sur la source d’où il le tenait.