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Le Terrestre y plongea le regard. C’était un immense cylindre aux parois lisses, de couleur rose, sur lesquelles étaient disposées, comme au hasard, des barres de métal. Ici et là une de ces barres avançait à l’intérieur du cylindre et certaines le traversaient même dans toute sa largeur. Ce cylindre mesurait environ cent cinquante mètres de profondeur sur quinze à vingt de largeur.

Personne ne semblait prêter une attention particulière au terrain de jeux ou au Terrestre. Certains des assistants lui lancèrent un regard au passage, sans doute intrigués par ses vêtements inhabituels et par son visage, mais ils se détournèrent aussitôt. Quelques-uns esquissèrent un petit geste d’amitié en direction de Sélénè et se détournèrent eux aussi. On sentait nettement que tous obéissaient à une consigne.

Le Terrestre se pencha à son tour sur le profond cylindre. Dans le fond quelques minces silhouettes s’agitaient, raccourcies parce que vues d’en haut. Certaines portaient une étroite bande de tissu rouge ou bleue. Deux équipes, se dit le Terrestre. Visiblement ces bandes de tissu servaient de protection, car ces athlètes portaient également des gants, des sandales et des genouillères. Quant aux bandes de tissu rouges ou bleues, certains les portaient autour des hanches, et d’autres autour du torse.

— Tiens, murmura le Terrien. Il y a donc des garçons et des filles.

— Exactement ! dit Sélénè. Les deux sexes participent aux compétitions et ces bandes de tissu sont faites pour empêcher que les seins des filles et le pénis des garçons ne les gênent dans leur chute libre. Ces parties du corps sont spécialement vulnérables, et c’est par précaution, et non par pruderie, qu’ils les couvrent.

— Il me semble en effet avoir lu quelque chose à ce sujet, fit observer le Terrestre.

— C’est bien possible, fit Sélénè qui semblait n’y accorder aucune importance. Peu de chose de chez nous filtre à l’extérieur. Non que nous y voyions une quelconque objection, mais le gouvernement de la planète Terre ne diffuse qu’au compte-gouttes les nouvelles en provenance de la Lune.

— Pour quelle raison, Sélénè ?

— Le Terrien, c’est vous ou moi ? À vous de me le dire… Notre théorie à nous, les Lunarites, c’est que nous sommes une cause de gêne pour la Terre. Ou tout au moins pour son gouvernement.

De chaque côté du cylindre, deux athlètes grimpaient rapidement et l’on percevait un léger roulement de tambour. Au début ces athlètes semblaient gravir une échelle, échelon par échelon, mais leur vitesse s’accéléra et lorsqu’ils furent arrivés à mi-hauteur ils ne firent plus que toucher au passage les barres en produisant volontairement un claquement sonore.

— Nous serions bien incapables, sur Terre, d’effectuer un exercice avec tant de grâce, fit le Terrestre empli d’admiration. Ou même de l’exécuter, tout simplement.

— Cela n’est pas dû uniquement à une faible pesanteur, dit Sélénè. Si vous l’essayez un jour vous vous rendrez compte que cela demande des heures et des heures de pratique.

Les athlètes atteignaient maintenant la balustrade. Ils l’enjambèrent d’un saut, exécutèrent une culbute puis amorcèrent leur descente.

— Je constate qu’ils se meuvent très rapidement quand ils le désirent, fit observer le Terrestre.

— En effet, dit Sélénè haussant la voix pour couvrir les applaudissements. J’imagine que les Terrestres – je veux dire les vrais Terrestres, ceux qui ne sont jamais venus sur la Lune – ne conçoivent pas qu’on se déplace sur la Lune autrement qu’en surface, en combinaison spatiale, et lentement, bien entendu. En effet, le poids auquel vient s’ajouter celui de la combinaison est énorme, ce qui provoque une sorte d’inertie qui n’est pas contrebalancée par la très faible pesanteur.

— C’est parfaitement exact, fit le Terrien. J’ai vu sur les écrans de télévision, comme ont pu le faire tous les écoliers, les premiers astronautes faire leurs premiers pas sur la Lune. Ils donnaient l’impression de se mouvoir sous l’eau. Cette image est restée gravée en nous et nous avons peine à nous en débarrasser.

— Vous seriez surpris de voir à quelle vitesse nous nous déplaçons en surface, revêtus de nos combinaisons. Et ici, en sous-sol, et sans nos combinaisons, nous nous mouvons aussi rapidement que sur Terre. Nous remédions au manque de pesanteur par un usage approprié de nos muscles.

— Mais vous savez aussi vous mouvoir au ralenti, fit le Terrestre, qui observait les athlètes. Montés à toute allure, ils redescendaient maintenant avec une lenteur calculée. Ils semblaient effectuer la descente en chute libre, frappant les barres du plat de la main, en passant, bien plus pour ralentir leur allure que pour l’accélérer. À peine avaient-ils touché le fond que deux autres athlètes s’élançaient. Puis deux autres encore, et ainsi de suite, chaque équipe s’efforçant de faire preuve de plus d’agilité encore que la précédente.

Ils s’élançaient par couple, s’élevaient dans les airs puis retombaient selon un dessin plus élaboré. Deux par deux, ils prenaient leur élan d’un coup de pied, s’élevaient dans le cylindre en une lente spirale, chacun saisissant une barre au moment où celui qui le précédait l’abandonnait, et se dépassaient dans les airs sans même s’effleurer, ce qui soulevait des applaudissements nourris.

— J’imagine que je ne suis pas assez calé, fit le Terrestre, pour apprécier à leur juste valeur leurs prouesses. Sont-ils tous des Lunarites d’origine ?

— Il ne peut en être autrement, dit Sélénè. Ce gymnase est ouvert à tous les Lunarites, mais tout bien considéré, certains Immigrants ne sont pas mauvais du tout. Cependant, pour arriver à une telle virtuosité, il faut être né sur la Lune. Ces authentiques Lunarites sont physiquement mieux adaptés que les Lunarites nés sur Terre et ils subissent dès l’enfance l’entraînement voulu. La plupart de ces athlètes ont d’ailleurs moins de dix-huit ans.

— J’imagine que même sous la faible pesanteur lunaire, leurs performances sont dangereuses.

— Il n’est pas rare qu’ils se cassent un bras ou une jambe. Je ne pense pas qu’il y ait eu des accidents mortels mais je connais un cas de paralysie à la suite d’une rupture de la colonne vertébrale. Un terrible accident auquel j’ai assisté… Ah ! regardez bien, ils vont procéder maintenant à des exercices ad libitum.

— Ad libitum ?

— Oui. Jusque-là ils se pliaient à certaines règles. La montée se faisait selon un plan préétabli.

Les instruments de percussion se firent plus sourds tandis qu’un athlète s’élevait jusqu’à mi-hauteur du cylindre. Il s’agrippa d’une main à une barre transversale, exécuta un moulinet, puis lâcha la barre.

— Stupéfiant ! s’exclama le Terrien, fasciné : Il virevolte autour de cette barre comme un véritable gibbon.

— Un quoi ? fit Sélénè.

— Un gibbon. C’est une sorte de singe ; en fait le seul qui existe encore à l’état sauvage. Ils… – Il s’arrêta brusquement devant l’expression de la jeune femme et dit : Ne prenez surtout pas cette comparaison pour une insulte, Sélénè. Ce sont des bêtes extrêmement gracieuses.

— J’ai déjà vu des photos représentant des singes, fit Sélénè en fronçant le sourcil.

— Mais vous n’avez sans doute pas vu de gibbons volant de branche en branche… possible que certains Terriens puissent, en appelant les Lunarites des gibbons, y mettre une intention peu aimable, tout comme vous lorsque vous nous traitez de « Terriens », mais ce n’est pas dans ce sens que je l’entendais.

Il s’accouda sur la balustrade et regarda évoluer les athlètes, qui semblaient danser dans les airs.