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— Et si, contrairement à ce que vous pensez, les autorités tenaient à ce qu’on déchiffre ces messages, que faire ? Comme vous le savez, vouloir n’est pas pouvoir.

— Ils pourraient amener les para-men à collaborer. Ils pourraient également envoyer des messages au para-Univers. Cela n’a jamais été fait, mais cela pourrait l’être. Un message, gravé sur une feuille de métal pourrait être dissimulé sous des paillettes de tungstène.

— Ah oui ? Parce qu’ils ont encore besoin de tungstène maintenant que les Pompes sont en activité ?

— Non : mais ils remarqueraient le tungstène et ils comprendraient que nous cherchons à attirer leur attention. Nous pourrions même graver des messages sur des feuilles de tungstène. S’ils reçoivent notre message et en tirent quelque chose, si peu que ce soit, ils nous en enverront un pour nous en informer. Peut-être même mettront-ils en regard nos mots et les leurs, ou useront-ils indifféremment des leurs et des nôtres. Cela inaugurerait une suite d’échanges, d’abord de leur côté, puis du nôtre, puis du leur, et ainsi indéfiniment.

— Eux effectuant le plus clair du travail, fit observer Bronowski.

— Exactement.

— Vous trouvez ça drôle, vous ? fit Bronowski en secouant la tête. Moi, ça ne me dit rien du tout.

— Et pourquoi ? s’exclama Lamont, sentant monter en lui la colère. Vous pensez que vous n’en tireriez pas assez de crédit ? Assez d’honneurs ? Vous vous y connaissez donc si bien en gloire ? Bon Dieu, quelle gloire vous a apporté le décryptage des inscriptions étrusques ? Vous avez damé le pion à, disons cinq ou six de vos collègues dans le monde entier. Pour eux vous êtes celui qui a réussi là où ils ont échoué et ils vous haïssent. Qu’en avez-vous de plus ? Vous traitez ce sujet devant un public clairsemé qui dès le lendemain a oublié votre nom. C’est donc cela que vous recherchez ?

— Ne dramatisons pas.

— Vous avez raison. Je n’en dirai pas davantage. Et je m’adresserai à quelqu’un d’autre. Cela prendra sans doute plus de temps, mais de toute façon, comme vous le dites vous-même, les para-men effectueront le plus clair du travail. Et si nécessaire, je m’y attaquerai moi-même.

— Avez-vous été chargé d’accomplir cette tâche ?

— Non. Et puis après ?… Serait-ce pour cela que vous ne voulez pas être mêlé à cette affaire ? Pour une simple question de discipline ? Il n’existe pas de lois interdisant le décryptage d’un texte et rien ne m’empêche d’avoir du tungstène sur ma table de travail. Je ne transmettrai pas aux autorités les messages que je recevrai en retour du tungstène et en ce sens je transgresserai notre code. Mais une fois le déchiffrage accompli, qui s’en plaindra ? Seriez-vous prêt à travailler avec moi si j’assurais votre sécurité en gardant secret votre rôle ? Vous y perdriez la gloire mais vous y gagneriez la sécurité… Oh ! et après tout, fit Lamont en haussant les épaules, si je m’attaque à cette tâche tout seul je n’aurai au moins pas à me tourmenter à l’idée que je fais courir un danger à un autre.

Il se leva, prêt à partir. Tous deux, furieux, adoptèrent l’attitude froidement polie de gens qui s’en veulent, mais tiennent à ne pas se laisser emporter.

— Je pense pouvoir compter sur vous, reprit Lamont, pour garder secret notre entretien.

— Vous pouvez y compter en effet, fit Bronowski qui s’était levé lui aussi, et les deux hommes échangèrent une brève poignée de main.

Lamont ne pensait pas entendre à nouveau parler de Bronowski. Il s’efforça de se persuader qu’il valait peut-être mieux qu’il tente seul de déchiffrer ce message.

Cependant, deux jours plus tard, Bronowski surgit dans le laboratoire de Lamont et lui dit avec une certaine brusquerie :

— Je quitte la ville, mais je serai de retour en septembre. J’ai accepté le poste qu’on m’offrait ici et si cela vous intéresse toujours, je verrai ce que je pourrai faire au sujet du texte dont vous m’avez parlé.

Lamont avait à peine eu le temps d’exprimer surprise et remerciements que Bronowski était déjà parti, visiblement plus furieux d’avoir cédé que d’avoir résisté.

Avec le temps les deux hommes devinrent amis ; et en temps utile Lamont apprit pourquoi Bronowski avait changé d’avis. Le lendemain de leur entretien, Bronowski déjeuna au club de l’université avec un groupe de hautes personnalités, y compris le président lui-même. Bronowski leur annonça qu’il acceptait le poste qu’on lui faisait l’honneur de lui confier et qu’il enverrait ultérieurement une lettre officielle d’acceptation et de remerciements.

— Ce sera un honneur pour notre université d’accueillir dans son sein le célèbre décrypteur des inscriptions itascanes et nous en sommes très fiers.

Personne, bien entendu, ne releva l’erreur et Bronowski garda le sourire, un sourire un peu figé. Par la suite, le doyen de la faculté d’Histoire ancienne lui expliqua que le président était plus un citoyen du Minnesota qu’un lettré, et que le Mississippi prenant naissance dans le lac Itasca, le lapsus s’expliquait tout naturellement.

Mais venant s’ajouter aux sarcasmes de Lamont sur le peu d’étendue de sa gloire, ce lapsus indisposa fort Bronowski.

Lorsqu’il lui relata l’incident Lamont ne put s’empêcher d’en rire.

— Ne vous frappez pas, dit-il. J’ai moi aussi passé par là. Vous avez certainement dû vous dire : « Par Dieu, je montrerai au monde de quoi je suis capable et même cet imbécile le comprendra. »

— Il y a un peu de ça, avoua Bronowski.

Chapitre 5

Cependant une année entière de travail ne leur apporta que de maigres résultats. Il y avait eu pourtant échange de messages. Mais cela ne les avait menés à rien.

— Formulez des hypothèses ! avait dit fiévreusement Lamont à Bronowski. Si folles soient-elles. Vous verrez bien leurs réactions.

— C’est exactement ce que je fais, Pete. Pourquoi es-tu si nerveux et si impatient, en ce moment ? J’ai mis douze ans à déchiffrer les inscriptions étrusques. T’imagines-tu par hasard qu’il nous en faudra moins pour découvrir la signification de ces symboles ?

— Mais bon Dieu, Mike, nous ne pouvons pas attendre douze ans !

— Et pourquoi pas ? Il ne m’a pas échappé, Pete, qu’il y a quelque chose de changé en toi depuis quelque temps. Ce dernier mois tu t’es montré impossible à vivre. Je croyais qu’il était entendu entre nous depuis le début qu’il s’agissait d’un travail de longue haleine et que nous devions nous armer de patience. Et je croyais aussi qu’il était bien entendu entre nous que je devais consacrer une partie de mon temps à la chaire que j’occupe à l’université. Cette question, je te l’ai posée à plusieurs reprises, mais laisse-moi te la poser à nouveau. Pourquoi une telle hâte ?

— Parce que j’ai hâte d’arriver à un résultat, fit brutalement Lamont. Parce que je suis à bout de patience.

— Bravo, fit sèchement Bronowski. Figure-toi que j’en ai autant à t’offrir. Dis-moi, tu ne te saurais pas condamné, par hasard ? Ton médecin ne t’aurait pas dit que tu es atteint d’un de ces cancers qui ne pardonnent pas ?

— Absolument pas, grommela Lamont.

— Alors ?

— Bon, n’en parlons plus, fit Lamont en quittant brusquement son ami.

Lorsque Lamont avait tenté pour la première fois d’embarquer Bronowski dans cette aventure, il n’en avait qu’à Hallam, auquel il reprochait de se refuser, par mesquinerie, à reconnaître que les para-men étaient les plus intelligents. C’est dans cet esprit, et dans cet esprit uniquement, que Lamont cherchait à ouvrir une brèche dans la théorie d’Hallam. Ce fut au début son unique objectif.