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— 3) Tombe de Viaud.

a) On y a « volé » le corps du fusillé.

b) L’un des ravisseurs a vraisemblablement perdu sa montre au cours de l’enlèvement.

Je vais prendre le bijou dans la poche de mon costar souillé. Oui, c’est sans aucun doute l’un des profanateurs de tombeaux qui l’a perdue. Lorsqu’il a sauté dans la fosse, sa montre est sortie de son gousset et lorsqu’il a fait un rétablissement pour en remonter, l’objet s’est coincé entre lui et la paroi et la chaînette qui le tenait s’est rompue.

Je tourne le bijou entre mes doigts. J’ouvre avec peine le boîtier et, sur la face interne, je constate que des mots y sont gravés.

Je lis cette émouvante dédicace :

À mon cher Jean
sa petite « C »

Voilà qui présente un intérêt certain, y a pas de doute. Nicole, qui en a classe de jouer la Muette, s’approche.

— Alors, mon loup, où en es-tu ?

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais une chose me cavale sur le saint-fiacre, c’est bien cette manie qu’ont les pétasses de vous affubler de petits noms crétins.

Déjà qu’elles vous rendent ridicules en jouant au sifflet dans la tirelire avec votre meilleur pote ou avec le livreur de l’épicemar ! Mon loup ! tu te rends compte, vicomte ?

— Écrase, chérie, avec tes carnassiers !

Outragée, elle empoigne le Marie Claire de service et disparaît dans un fauteuil. Moi, je reprends un à un les éléments que je viens de noter. Chacun contient en soi une signification à dégager. Au boulot, mon pote !

Bon : la bagnole. Ce qui compte, ça n’est pas qu’elle contienne le corps de l’espion, c’est qu’on se soit servi d’elle pour véhiculer le cadavre, vous reniflez le distinguo avec votre nez bouché et votre vue basse ?

Qu’on ait volé l’auto, ça pouvait être une chose. Qu’on ait kidnappé le défunt, ça pouvait en être une autre. Mais que l’enlèvement du second ait eu lieu avec la première, c’est ça le monumental point d’interrogation. Ça m’inciterait à croire que le rapt du cadavre a été accompli par un intime ! Poussons le raisonnement : oh ! hisse.

Nous avons une alternative concernant la date de l’enlèvement. Celui-ci a eu lieu : soit avant l’invasion allemande, soit après ! La Palisse n’aurait pas de conclusion plus pertinente. Seulement, s’il a eu lieu après il faudrait admettre que l’auto avait un permis de circuler puisque les véhicules à essence ne pouvaient circuler sans autorisation.

Fiévreusement, j’écris sur une feuille de carnet :

Vérifier dans archives préfectorales si l’auto de Viaud a eu un permis de circuler temporaire après la défaite.

J’arrive à la veuve maintenant. Qu’elle n’ait pas porté plainte après avoir constaté le vol de l’auto se conçoit en partie, elle m’a fourni une explication qui est très valable. Mais ignorait-elle qu’elle était civilement responsable du véhicule lui appartenant ? Si la guinde occasionnait un sinistre quelconque, c’était elle qui l’avait dans le baigneur ! À notre époque, personne n’ignore ça… Alors ?

Je reste sur mon point d’interrogation.

Qu’elle se soit remariée avec un bon gros louchébem m’inclinerait à la croire lavée de tout soupçon. C’est la réaction logique d’une personne honnête qui veut se laver de l’opprobre…

Je continue à inventorier ma liste. Ah oui : la visite des sulfatés. Ça peut être la clé de toute l’affaire. Pourquoi voulaient-ils savoir les noms des flics ayant arrêté le premier mari de la mère Carotier ? Parce que Viaud avait quelque chose ou un secret en sa possession et qu’ils voulaient rentrer en possession dudit quelque chose. Pourquoi n’ont-ils pas questionné la veuve ni fouillé l’appartement ? Pourquoi lui demander les noms des poulets, comme si une personne qu’on arrête se préoccupait de l’état civil de ceux qui lui passent le cabriolet ! Gros mystère, mes frères ! Si je pouvais l’élucider, je ferais un pas de géant dans ce paquet de cirage !

Je me lève et fais quelques pas en rond dans la piaule. Miss Production de navets me considère avec anxiété. Elle n’ose m’interroger. C’est moi qui parle. Pas pour l’affranchir, je m’en moque qu’elle clabote de curiosité, mais pour m’entendre énoncer des mots précis.

« Je dois moi aussi retrouver ces flics puisque les Chleuhs voulaient leur parler ! »

Je passe ma veste.

— On sort ?

— Non, je sors ; toi, tu m’attends là…

Elle rouscaille !

— Eh bien, heureusement que je ne suis pas mariée avec toi ! Tu as une façon de traiter les femmes !

Je m’approche d’elle et lui mets une grosse caresse sur l’armoire normande.

— Te plains pas, Nicole, tu peux même te vanter d’avoir droit au régime de faveur !

L’époque épique !

Au moment où je franchis la porte du commissariat, on y amène justement un malabar complètement chlass qui crie « mort aux vaches » avec une surprenante voix de basse noble.

Les petits camarades de la maison Poulman essaient de lui faire changer d’avis en lui balanstiquant des grands coups de chaussettes à clous dans la partie de sa géographie qu’il dépose ordinairement sur une chaise. Mais le gros truand se moque des gnons et continue de clamer sa façon de penser.

L’arrivée d’un quidam en pareille conjoncture indispose toujours les archers de chez Plumeau.

Un brigadoche à moustaches me saute sur le derme.

— Qu’c’qu’v’v’lez ? barrit-il.

Comme il a proféré cette phrase déshydratée sur le mode interrogateur, ma politesse proverbiale m’oblige censément d’y fournir une réponse.

— J’v’voir l’com’saire ! riposté-je.

Il bouge l’oreille droite à la façon des lapins.

— Quoi ?

— J’v’voir l’com’saire ! répété-je.

— Le commissaire ? C’est à quel sujet ?

— J’ai perdu ma vertu et comme ça ne fait pas un an et un jour, je viens voir si personne ne la lui aurait rapportée !

Il manque en mourir. Son visage pénible tourne au violet. Ses hommes froncent les sourcils tant et si bien que leurs regards ne forment plus qu’un trait continu. Le gros malabar se fend l’ecchymose.

— V’lez m’ain sr’la gueule ? s’informe le brigadier d’une voix expirante.

Je lui adresse un sourire désarmant.

— Pas la peine, j’emploie toujours Cadum, autrement je choperais des boutons. J’ai la peau délicate !

La horde des bourdilles m’encercle lorsque je dévoile mon identité. Du coup, changement à vue, comme sur une scène tournante.

On se croirait au Châtelet. Ces messieurs les marchands de ramponneaux deviennent mielleux comme des sucettes.

— On prévient M. le commissaire, m’sieur le commissaire ! m’avertit un sous-brigadier dont le visage est un cran plus expressif que celui des autres.

Quatre secondes trois dixièmes plus tard, je franchis le seuil d’une pièce administrative dans laquelle un homme jeune, blond et élégant signe des paperasses.

Il se lève.

— Vous êtes commissaire ?

Je lui téléphone ma carte.

— San-Antonio ! C’est pas possible !

Du coup, je respire. Ça fait plaisir d’être connu et reconnu ! Du reste, il n’y a que les gens connus qui sont reconnus ; c’est connu[3].

— Asseyez-vous, s’empresse-t-il. J’ai tellement entendu parler de vous ! Alors, c’est vous ?

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3

Une phrase aussi originale dans sa sobriété n’administre-t-elle pas la preuve que l’auteur est en pleine possession de sa langue ? Ne montre-t-elle point que ledit auteur contrôle son style comme un employé de la RATP contrôle les billets de première lorsqu’il porte une casquette adéquate ?