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Gentil programme, vous en conviendrez ?

Le moment est venu de me manifester si je ne veux pas aller pêcher les truites du lac en les chopant par la queue.

— Je vais voir où qu’il a mis son auto, avertit l’homme. Surveille-le, des fois qu’il n’aurait pas son compte !

Il sort. La vioque s’assied près de moi. Elle me regarde. Je sens ses yeux posés sur moi et je ne fais pas un geste. Il faut que je récupère… Ça n’est pas la première fois que je m’offre un voyage dans les vapes en classe touriste. J’en suis toujours ressorti, fier comme Bar-Tabac… Les douleurs aiguës se tassent un poil. Le gyroscope qui me détraque la pensarde arrête sa ronde…

Quelques secondes interminables s’écoulent. Je pense à la mort de Louis XVI pour me donner le temps de coordonner mes idées. Voilà un pauvre gars qui a fait l’âne mais qui a eu du son. Et sa bergère du Trianon-Dancing itou ! Pourtant c’était une bonne personne avec plein de louables intentions puisqu’elle voulait que le populo croûte de la brioche !

Ça va, je peux carburer… Je roule d’un seul bond sur le ventre, culbutant la chaise de la mère Carotier. La voilà qui, prise de court, s’affale sur le plancher. Je ne la laisse pas se relever. D’un second bond, je me retrouve agenouillé près d’elle, en train de lui arracher mon pétard qu’elle tenait à la main, chose que j’ignorais… Je parviens à mes fins au moment où le bulldozer radine…

Il jure en voyant le tableau et se précipite sur moi.

— Espèce de…, commence-t-il.

Il n’achève pas, car je viens de lui cloquer une olive dans le bureau. Il tousse vilain et s’arrête de marcher, de sacrer, et même de vivre… Il reste une fraction de seconde en équilibre puis il s’écroule. Ça soulève de la poussière, je vous prie de le croire. Quand on flingue un éléphant, on n’obtient pas plus de déplacement d’air.

La mère Carotier émet la méchante clameur vengeresse. Elle me saute sur la balustrade, les ongles en avant. Je lui montre mon artillerie de poche en accompagnant mon geste d’un regard glacé.

— Suffit ou je poursuis l’hécatombe, l’artiste n’est nullement fatigué !

Elle se laisse couler sur une chaise et des larmes ruissellent sur ses joues.

Je lis sur sa frite une grande tristesse. Ça me titille la glande émotive.

— Écoutez, madame Carotier, dites-vous bien que les jurys ne sont pas tendres pour les fratricides. Dans un sens, ils sont encore plus féroces avec eux qu’avec les parricides !

Elle m’écoute, soudain attentive, comprenant qu’elle est allée vraiment trop loin !

— Êtes-vous décidée à parler, ou bien dois-je vous faire conduire à la prison du chef-lieu ?

Elle dit, dans un souffle :

— Je vais parler…

Je réprime un sursaut de jubilation. C’est bougrement agréable d’aboutir.

Comme la vioque louche sur le défunt, je biche la nappe couvrant la table et je l’étends sur le cadavre de Carotier. Seuls ses pieds en flèche dépassent, ce qui fait plus sinistre encore.

— Ce que c’est que le destin, fais-je. Il n’a pu survivre longtemps à sa sœur… Allons-y, madame Carotier.

La porte aux confidences

Je renonce — malgré mon grand talent — à vous transcrire fidèlement cet interrogatoire syncopé. Trop de hoquets, de larmes, de sanglots, de réticences, d’échappatoires ! Je suis le fil de son récit comme un aveugle suit la rampe d’un immeuble qu’il ne connaît pas.

Une bonne heure s’écoule en phrases inachevées, en questions tortueuses, en déductions…

Seulement, au bout d’une plombe, j’ai franchi un bout de chemin appréciable. Comme je n’ai rien de caché pour vous, je vais vous bonnir un résumé pertinent et fidèle des aveux de la mère Carotier.

Toute l’affaire a démarré à l’époque où Auguste Viaud voyageait pour le compte de sa maison chleuh. Ses fréquents voyages dans une Allemagne en pleine puissance le troublèrent, puis il fut séduit par l’organisation du troisième Reich. Esprit méthodique, l’ordre d’outre-Rhin chanta en son cœur de zig positif… Bref, il devint nazi et, ayant beaucoup de relations au pays de la souris grise, entra dans l’espionnage boche.

Lorsqu’il était chez lui, il se livrait à une propagande effrénée auprès de ses intimes, c’est-à-dire auprès de sa femme et de son meilleur ami, le gros Carotier. Carotier, depuis toujours, était l’amant de la mère Viaud. Il est intéressant de noter que les femmes préfèrent le boucher au Viaud. C’est dans leur tempérament. Le gros, malgré sa brioche, devait s’expliquer au plumard ! Quoi qu’en dise le proverbe, les mahousses aiment les jeux de l’amour et du lézard. Le louchébem culbutait la femme de son pote, mais ce respect de la tradition ne l’empêchait pas d’avoir une vaste considération pour Viaud. Il lui emboîta le pas aussi sec et se mit à fricoter avec lui. Je ne sais trop l’utilité que peut avoir un boucher pour un réseau d’espionnage, mais je pense que le rôle de Carotier a surtout consisté à héberger des gens qui avaient intérêt à se planquer.

Un sale matin, Viaud s’est fait poisser bêtement, dans les circonstances que l’on sait, et il a été conduit au commissariat.

Comme le commissaire était l’amant de la sœur de son ami, il a voulu faire jouer la république des copains. Seulement le commissaire était honnête à sa façon. Il a dit à Viaud qu’il devait se taire et tout prendre sur ses épaules pour éviter que sa femme et son ami soient compromis. Viaud a accepté. Laurent a prévenu sa poule, Lolotte, pour qu’elle fasse le nécessaire auprès de son frangin…

Carotier a pu se tirer de l’impasse. Mais, le lendemain, Laurent a été écrasé par un chauffard inconnu. D’après la mère Carotier, le boucher n’était pour rien dans l’accident. Au contraire, il avait tout intérêt à se ménager un homme qui venait de lui sauver la mise, qui était presque son beau-frère et qui, de par ses fonctions, pouvait encore lui donner un sérieux coup d’épaule en cas de coups durs.

Je demande à la vioque ce qu’elle pense, elle, de cet accident. Elle me dit qu’à son avis il s’agit d’une malheureuse coïncidence et je ne suis pas loin d’admettre la possibilité de cette hypothèse.

Ceci exposé, elle se tait.

— Bon, fais-je et ensuite ?

Elle me bigle de ses yeux indécis lavés par le chagrin.

— Comment, ensuite ?

— La voiture disparue, le cadavre enlevé…

On dirait que je lui parle hindoustan.

— Je vous ai dit que la voiture avait été volée… Qu’est-ce que c’est, le cadavre ?

— Rien ! Vous ne le savez pas que le cadavre de votre premier mari a été kidnappé ?

La pauvre dame en a la bouche tordue par l’incrédulité.

— Qu’est-ce que vous me racontez ?

Je dois bien me rendre à l’évidence : elle n’est pas au courant du rapt. J’en suis estomaqué. Saperlipopette, cette piste se terminerait-elle dans une impasse ?

Je la travaille au foie, au citron, au battant, mais inscrivez motus ! Elle est formelle. Une fois Viaud arrêté, l’affaire a été achevée en ce qui concernait Carotier et elle.

Excepté la visite des Boches, quelques mois plus tard, elle n’a plus jamais entendu parler de rien. Les deux amants se sont mariés, ils ont espacé les relations avec Charlotte parce que celle-ci s’était mis dans le crâne que son frère avait écrasé son amant par mesure de sécurité, et ils ont mené une vie paisible…

Douze ans de turbin chez les Établissements Poulet m’ont appris à reconnaître la vérité du mensonge et il est bien rare que je me file le doigt dans les cocards. Ici, je sens que la vioque bonnit la vérité. Et je le crois d’autant plus que Carotier était un individu fruste, sans intelligence. Un petzouille colérique qui a étranglé sa frangine parce qu’elle le traitait d’assassin ! Un vrai poème, avouez-le !