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Il n’en reste pas moins vrai qu’on a volé le cadavre de Viaud, que ce cadavre a été trouvé quinze berges plus tard dans la banlieue de Paris et dans le coffre de sa voiture, comme l’écrirait un romancier à grosse cadence ; et qu’enfin, moi, San-Antonio, le super-as, l’homme qui débarrasse les gens d’un préjugé qui leur coûte cher puisqu’il remplace Astra, j’ai trouvé la montre de Laurent dans la tombe vide ! Si vous êtes doué pour les rébus, ne vous gênez pas, je reçois de cinq à sept au bistrot d’en face et sur rendez-vous dans ma garçonnière !

J’en ai des fourmis dans la rotonde… Bonté divine, je buterai donc jusqu’à perpète dans ce mystère ? À l’instant où je pense trouver l’éclaircie, voilà que tout devient opaque ! Au moment où je sens que le voile va se déchirer, le rideau de fer descend devant mes carreaux. Inlassablement, je me casse le pif sur ces points d’interrogation en béton armé !

Si au moins ce salopard de Carotier ne venait pas d’étrangler sa frangine ! La Lolotte aurait pu éclairer ma lanterne. Elle m’aurait renseigné au moins au sujet de la montre ! Cette fameuse breloque qui appartenait à Laurent et qu’on retrouve longtemps après sa mort dans le caveau de famille des Viaud !

Quelle bouteille à encre de Chine !

Comme le silence s’est rétabli depuis un sacré bout de temps, la mère Carotier soupire.

— Qu’est-ce que ça va faire ?

Cette petite question me rappelle aux réalités.

— Ne vous tracassez pas. Je vais vous conduire à la gendarmerie la plus proche et les pandores s’occuperont de votre second défunt…

Elle ne proteste pas. Tête basse, elle me suit jusqu’à ma bagnole, prend place à mes côtés et nous roulons dans la nuit humide jusqu’à la première succursale de bourres.

Je réveille la casba et un brigadier en pyjama, coiffé en hâte de son képi, vient délourder. Je me fais connaître, lui explique en deux mots ce qui s’est passé, sans entrer dans le chapitre espionnage, et je lui confie la mère Machin. Ensuite, il ne me reste plus qu’à regagner Grenoble.

* * *

Vous admettez que ma petite existence est plutôt mouvementée. Voilà une journée chargée en incidents, en allées et venues et en fatigue… Sans parler des émotions fortes, des stations sous la flotte et des gnons encaissés !

Voyez-vous, bande de clodos, quand on fait ce métier de chien, on a droit automatiquement à la Légion d’honneur, à la retraite des vieux, à la retraite aux flambeaux et à une place assise dans le métro !

Il est trois plombes du mat lorsque je me glisse dans les draps. Une chance que la môme Nicole se soit cassée, s’il fallait que je lui rende mes hommages nocturnes, par-dessus le marka, je serais obligé de prendre de la main-d’œuvre étrangère, parole !

Et un presse-citron, un !

Le lendemain est jour de fête, donc jour férié avec ce que cela implique de portes fermées et de chemises empesées.

Je flemmarde au pieu et sur les choses de dix heures, je tube à la réception afin de commander un bol de café fort et assez de croissants pour décorer le pavillon de la Turquie à la Foire de Paris.

Le tout m’est véhiculé par une femme de chambre en robe noire et tablier blanc des plus comestibles. Un peu gourde sur les bords, certes, mais carrossée par Ferrari.

Je lui dédicace un sourire matinal illuminé par Colgate et elle semble y être sensible.

— Je savais que Grenoble était une jolie ville, lui dis-je, mais j’étais loin de supposer que les Grenobloises avaient un pareil charme.

Elle me répond qu’elle est de Lons-le-Saunier, ce qui ruine instantanément mon madrigal.

Elle est fraîche, appétissante, jeune, et propre comme les lavandières du Portugal.

J’ai le geste auguste du semeur de caresses à l’endroit de son envers et la voilà qui glousse comme quoi je ne suis pas raisonnable ! Ce que les femmes ont à parler raison, elles qui n’en ont pas un brin, dites-moi !

Je pousse un peu mes avantages. Je fais l’avion avec ma dextre. D’abord un piqué, puis une remontée en chandelle sous les jupes. La transporteuse de café crème s’affale sur le lit… Je prends le bol de caoua brûlant sur les valseuses, ce qui freine net mes ardeurs ! Accident du travail, les gars ! La soubrette est désolée. Et puis, comme tout cela est du plus haut comique, on éclate de rire l’un et l’autre et elle retourne me chercher un déjeuner.

Je me loque pendant ce temps. Elle me promet de venir me rejoindre cette nuit, je lui allonge un pourliche qui va lui permettre de venir en aide à sa pauvre vieille moman et je breakfaste avec appétit.

Au moment de passer le seuil de l’hôtel, j’ai la satisfaction de voir du soleil plein Grenoble. Dans les proches lointains, si j’ose m’exprimer ainsi, les glaciers de l’Alpe traîtresse étincelle comme si on les avait passés au Miror !

Bonno !

Je me dirige vers ma bagnole mais, au moment de grimper dedans, je m’arrête, indécis. Où vais-je, où cours-je ? Je n’ai pas la moindre idée de l’orientation à donner à mon enquête !

D’autre part, nous sommes mardi et il faut que je sois jeudi à Pantruche : rancard avec le Vieux pour une affaire ! Comme il ne faut jamais laisser un geste en suspens, je finis d’ouvrir la lourde de ma tire et, comme la voici ouverte, je prends place à l’intérieur.

Puis j’allume une cigarette et, tout en regardant passer les ménagères et les bonnes gens qui reviennent de la messe, je réfléchis.

Au lieu de tirer à hue et à dia, je dois m’atteler à l’un de mes mystères et le dénoyauter.

Je décide de choisir le mystère numéro 3, celui de la montre. Au diable l’ordre chronologique, et même l’ordre tout court !

Voyons, la première question qui se pose concernant l’oignon d’argent, c’est : qui l’a pris à Laurent après sa mort ?… Comment le bijou est-il parvenu dans le gousset de celui qui, par la suite, est allé kidnapper le cadavre de Viaud ?

Charlotte aurait sûrement pu m’éclairer sur ce point délicat. Allez donc maintenant, après quinze années écoulées — et quelles années, madame ? — faire la lumière sur un point aussi obscur, aussi mièvre !

Je sors la montrouze de ma pocket afin de l’examiner une fois de plus.

Je la fais sautiller dans ma dextre.

— Toi, si tu pouvais parler, tu en aurais à raconter, hein, ma belle ? lui dis-je.

Et voilà que la montre se met à bavasser.

En la regardant de très près, je m’aperçois que le milieu du boîtier fait comme une bosse, derrière… Cette bosse ne provient pas du fait que le bijou a été piétiné… Au contraire, l’écrasement l’aurait aplati alors que là il y a une protubérance… Je passe mon doigt. J’ai le sens tactile développé, comme les aveugles. Je sens le creux par-dessous l’inscription gravée. Et les rouages sont enfoncés vers le centre du mouvement. Bref, j’ai la certitude qu’on a glissé à l’intérieur de la breloque un petit objet dur qui a mutilé rouages et boîtier.

Je remets la montre en place et je balance mon mégot par la portière. Un vieux zig qui passe à vélo le prend sur la main et se met à me traiter de tous les noms. Ses invectives ne me font pas décrocher. Je suis mon raisonnement. Ce qu’il faut, en toute circonstance, c’est se mettre dans la peau des gens. Filons en arrière et revenons à l’arrestation de Viaud. Cet homme a été nazifié. Il est gonflé de principes politiques et il travaille contre son pays. Je suppose que sa conscience le taquinait un peu tout de même. Pourtant, il s’accommodait fort bien des objections qu’elle pouvait lui faire. Et puis un jour : la tuile… Il est démasqué. Du coup, sa conscience se met à crier aux petits pois. C’est fou ce que les hommes prennent conscience de leurs responsabilités lorsque la police se met après eux !