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Les poulardins, deux robustes brutes, le conduisent au commissariat. Il connaît le commissaire. D’abord parce que dans une ville de province tout le monde se connaît, et puis aussi parce que le fonctionnaire est l’amant notoire de la sœur de son meilleur ami. Ça rend les choses plus faciles, plus humaines. Viaud s’allonge, écroulé, il bonnit la vérité à Laurent. Laurent est salement emmouscaillé. Que faire ? Il ne peut étouffer le scandale qui a pris instantanément d’énormes proportions étant donné le nombre de gens qui l’ont découvert. Il dit à Viaud d’avoir du cran et d’épargner sa femme et son ami…

Viaud dit gi-go ! Il a sur lui quelque chose d’important ; je m’excuse d’employer une formule aussi vague, mais vraiment je ne vois pas ce que ça peut être. Ce quelque chose, il avait l’intention de le planquer, la preuve c’est qu’au moment de son arrestation, il a demandé aux cognes la permission de se fringuer. Il espérait pouvoir faire disparaître l’objet… Se voyant perdu, Viaud donne le quelque chose à Laurent. Laurent le glisse dans le boîtier de sa montre…

Je stoppe mon vagabondage intellectuel… Un quelque chose de dur qu’on pourrait glisser à l’intérieur d’un boîtier ! Ça doit être chinois !

Bast, ne nous arrêtons pas sur un détail…

Ensuite ?

Je me gratte le nez… Ensuite, quoi ? Laurent est détenteur de l’objet. Il livre son client aux autorités militaires puisqu’il ne peut faire autrement… Et il parle de l’objet à quelqu’un qui le tuera pour se l’approprier et lui volera sa montre.

Plus tard, le quelqu’un aura besoin du cadavre de Viaud… Voilà que je redéraille ! Ce que c’est empoisonnant, nom d’une pipe ! Comme dirait une hirondelle, y a de quoi prendre un martinet pour s’en faire foutre un coup !

Je me mords les ongles. J’ai envie de tout casser… L’incompréhension me rend dingue… Ce qu’il y a d’affolant dans cette histoire, comprenez-le, c’est qu’on ne peut échafauder d’hypothèse cohérente. On construit une version, et puis, soudain, crac, elle tombe en miettes, fusillée à bout portant par la logique.

Quels sont les personnages de l’affaire encore disponibles actuellement ? Charlotte est morte, Carotier aussi… Laurent est mort… Viaud est mort… La veuve m’a dit tout ce qu’elle savait et ça n’est pas suffisant pour éclairer ma lanterne.

Alors ?

Ah si, il me reste tout de même le brigadier. Vous savez, l’agent de mauvaises liaisons ? Lui a vécu le drame… Témoin indifférent, bien sûr, stupide, c’est certain, mais témoin tout de même…

Je roule jusqu’au poste de police. J’ai du bol car je tombe sur le moustachu au moment où il quitte l’établissement bignolon, son service terminé.

Je le hèle :

— Hep ! brigadier !

Il me reconnaît, s’humidifie et radine en louvoyant, les yeux bons.

— M’sieur l’com’saire !

Cet homme est une vivante contraction.

— Vous rentrez chez vous, brigadier ?

— Tout doucement… J’étais de nuit…

— Montez, je vais vous reconduire !

Il est cisaillé, le gnaf…

— Mais…

— J’ai le temps, nous bavarderons…

Et nous bavardons en effet.

— Comment vous appelez-vous ?

— Bazin !

— Oh ! c’est vrai… Où avais-je la tête… Vous êtes parent avec les écrivains ?

Il hoche la tête :

— Mon père était facteur…

— Ce serait un indice en faveur du oui… Dites, vieux, j’aimerais que vous me parliez de Laurent… Quel genre d’homme était-ce ?

Il hésite…

— Allez, j’écoute, vous pouvez vous déboutonner devant moi, je suis un homme compréhensif…

Bazin introduit un ongle noir et long dans son tuyau auditif et butine un chargement de miel dans ses portugaises… Il regarde son butin, s’essuie après la banquette de ma calèche et hausse les épaules.

— Écoutez, déclare-t-il. J’suis t’un homme carré !

J’approuve.

— Il m’a semblé…

— Alors je vous dis l’authentique vérité, s’pas ?

— Merci.

— Eh ben, l’Laurent c’tétait z’une vraie peau de vache !

Libéré par cette révélation, il se met à puiser dans ses fosses nasales. Le résultat est plus substantiel que celui des étiquettes.

— Qu’appelez-vous une peau de vache, Bazin ?

Il me considère non sans surprise.

— Vous voyez ce que je veux dire ? Mauvais avec les inférieurs et une vraie m… avec les supérieurs, quoi !

— Je vois…

— Sa gonzesse, la Charlotte, le faisait grimper au mur rien qu’en z’élevant la voix !

Il brame :

— Arrêtez, j’suis t’arrivé !

Je stoppe devant un bistrot à la terrasse accueillante. D’autant plus accueillante qu’elle est déserte.

— On boit un petit apéro ?

Il sursaute :

— Vous z’alors, v’z’êtes pas fier !

— Il n’y a pas de quoi l’être non plus, riposté-je avec sincérité.

Nous nous attablons. Lorsque le taulier vient prendre la commande, c’est d’une voix ostentatoire que Bazin me demande :

— Qu’est-ce que vous z’allez prendre, monsieur le commissaire ?

Manière de montrer à son bistrot qu’il est noté chez les huiles !

— Un petit Cinzano, dis-je.

— Et pour moi un coup de rouquin, décide-t-il.

Il me sourit.

— C’est pas Laurent qu’aurait trinqué avec z’un subordonné. Et pourtant il n’avait pas de quoi faire le fiérot… Parce que sur le plan n’honnêteté !..

— Ah ! oui…

— Je voudrais pas z’êtes méchant ; d’autant plus qu’il est mort… Mais c’était un combinard… La petite enveloppe, il aimait ça… Vous voyez ce que je veux dire ? Accommodant z’il était avec les ceusses qu’avaient de quoi cramer !

Tiens, tiens, tiens, comme font les gens qui ont de la conversation… Voilà qui jette un jour intéressant sur la personnalité de mon défunt collègue.

Je vide mon godet, imité par Bazin et j’ordonne au patron de changer les draps.

— Dites-moi, Bazin, cette histoire Viaud…

— Oui ?

— Elle me tracasse. Vous avez, votre collègue et vous-même…

— Mathieu !

— Quoi ?

— Mon collègue : il s’appelait Mathieu !

— On s’appelle comme on peut ! Vous avez, disais-je, amené l’espion à Laurent. Qu’a dit celui-ci en vous voyant entrer ?

Bazin réfléchit.

— Il a demandé ce dont quoi qu’il s’agissait.

— Et vous le lui avez dit ?

— … turellement !

— Et alors ?

— Il nous a demandé de sortir… L’est resté seul avec Viaud… Et un sacré moment, je vous l’annonce…

— Et z’après ?

— Il nous a dit de ne pas z’ébruiter, comme je vous l’ai dit hier…

— Et les autorités militaires sont venues prendre livraison du client ?

Bazin secoue la tête.

— Non… C’est Laurent qui l’a emmené en voiture…

— Il était seul ?

— Seul avec Viaud, oui, confirme le moustachu en trempant son balai-brosse dans de l’aramon.