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— Oui, fais-je, et aussi à ramoner le pif des tordus qui la ramènent inconsidérément.

Ça l’amuse.

— Alors, cette enquête ?

Son œil pétille comme un feu de sarments.

— Elle est close…

— Pour cause de décès ?

— Oui…

Et de rire parce que c’est le propre de l’homme.

— Dis donc, San-Antonio, je t’ai mis sur une chouette affaire, tu pourrais avoir la politesse de me raconter l’histoire !

Je ricane.

— Hé ben voilà, c’est un Nègre qui entre dans un bureau de tabac. Il dit à la buraliste : « Donnez-moi un paquet de gris-gris et une boîte d’amulettes… »

Fernand reste de marbre.

— À force de prendre les gens pour des c…, tu finiras par te faire des relations, affirme-t-il.

Je lui flanque une bourrade.

— Fais pas cette bouille, je vais éclairer ta lanterne japonaise.

Pour la n-ième fois je me livre au résumé des chapitres précédents. Il m’écoute, bouche bée, captivé par le récit.

— Tu parles d’une épopée, murmure-t-il de temps à autre.

Lorsque j’ai achevé, il murmure :

— Alors tu crois que Carotier avait enlevé le corps, et qu’il avait planqué la voiture jusqu’au jour où celle-ci a été volée ?

Je hausse les épaules.

— Non, c’est mon supérieur hiérarchique qui s’en tient à cette version. Mais elle ne satisfait pas le célèbre San-Antonio, l’homme qui remplace le beurre et les maris en voyage ! Que Carotier ait enlevé le corps, c’est possible, et même probable. Ce gars a bien été capable d’étrangler sa frangine parce qu’elle le menaçait de le dénoncer… Mais il n’aurait pas laissé le cadavre dans une bagnole et la bagnole dans un hangar, c’eût été contraire à ses principes.

— Tu parles !

— C’était le genre de gros tas qui aurait enterré le bonhomme dans son jardin histoire de donner de l’azote à ses rosiers nains…

— Tu parles, répète Fernand qui à ses heures manque de conversation.

— D’autre part, m’obstiné-je, il est impensable que quelqu’un ait eu envie de voler un os pareil… Un voleur de bagnole choisit de préférence un truc capable de rouler…

Mon pote, le roi de la mesure industrielle (le luxe de Dizimieu-les-Tronches et des Champs-Élysées réunis) me met la main sur l’épaule.

— Ce qui revient à dire que je suis dans le vrai !

Je le toise, comme s’il passait le conseil de révision.

— Cesse un peu de faire le mystérieux, Fernand, et déballe ton plat de résistance…

Il fait signe au barman de remettre le couvert. Lors, s’étant re-gazéifié la gargante, il attaque, d’un ton précis :

— Voilà… Lorsque tu as été parti, l’autre jour, ainsi que tes illustres collègues, je me suis mis à réfléchir…

— Ça a dû te donner de la température, coupé-je.

Mon intervention lui cavale sur le grand zygomatique.

— Je t’en prie ! proteste-t-il.

Et il poursuit, imperturbable :

— Ce long week-end se présentait, je n’avais rien à fiche et ce cas m’intéressait d’autant plus que c’était moi qui l’avais découvert…

— Très joli préambule, tu devrais le faire peindre en jaune…

— J’ai donc décidé de faire mon enquête, moi aussi…

— Voyez-vous ! Le peigné-pure-laine ne suffit plus à mossieur !

— J’aime les romans policiers et j’ai toujours rêvé d’être détective.

— Alors tu as pris une bouteille de scotch dans ta poche et tu t’es mis à faire de l’œil à toutes les nanas de passage en leur disant : « Hello poupée ! » C’est ainsi que procèdent tous les détectives de roman.

— Non, dit Albo. J’ai fait travailler mes…

— Cellules grises ? Signé Hercule, avec un H, comme Poirot !

— Oui. Vois-tu, je savais que tes collègues et toi alliez chercher l’origine du mort, celle de l’auto… Que vous alliez enquêter sur les lieux de départ de l’un et de l’autre… Bref…

— Bref ?

— Que vous alliez négliger, provisoirement du moins, le lieu d’arrivée.

Je vide mon verre. Il me semble brusquement qu’on fait éclater un sac en papier à mes oreilles. Qu’est-ce à dire ? Le gars Fernand qui vient me donner des cours du soir à prix de faveur ?

Pourtant, ses dernières paroles m’ont branché en direct sur les grandes ondes. Je fronce les sourcils, ce qui est une façon conventionnelle peut-être, mais efficace, pour marquer l’intérêt.

— Le lieu d’arrivée, Fernoche ?

— Oui. Je me suis dit : « Et si cette voiture et son chargement ne se trouvaient pas ici par un simple résultat du hasard ? Et si on les y avait amenés dans un but déterminé ? »

— Tu t’es dit tout ça, Fernand ?

— Oui, San-Antonio ! Tu n’as pas le privilège des déductions profondes.

— T’as dû te bourrer de Kalmine pour en arriver là, non ?

— Pas nécessairement… J’en prends seulement lorsque je te quitte !

Je ricane.

— Et alors, qu’a donné cet éminent raisonnement ?

Il soupire.

— Quelque chose qui pourrait bien être un résultat. C’est du moins ce que je crois depuis que tu m’as raconté ce que tu as appris… Je t’ai dit, l’autre jour, dans ce même bar, que la voiture insolite se trouvait dans une propriété dont la construction s’est trouvée interrompue par la mort de son propriétaire ?

— Je sais, il est allé embrasser un pylône…

— Je me suis renseigné à la mairie de mon bled sur le personnage…

— Alors ?

— C’est un certain Aristide Veller… Un sujet britannique fixé en France depuis très peu de temps.

— Tiens, tiens !

— Tu commences à t’intéresser à mes exploits à la Sherlock, non ?

— Un peu, continue !

— Sais-tu où il s’était fait domicilier depuis son arrivée en France ?

— Non ?

— À l’adresse de la maison non construite… Il a planté un poteau avec une boîte aux lettres sur le terrain dont il s’était rendu acquéreur et il s’y est fait adresser son courrier.

— Voyez-vous !

Je demande :

— Il avait quel âge, ce citoyen ?

— Une bonne cinquantaine.

— Voyez-vous !

Et des initiales qui me bottent : A. V. ! Auguste Viaud !

Fernand paraît tout émoustillé par l’intérêt qu’il provoque.

— Il y a mieux, déclare-t-il.

— Quoi, mon fils ?

— La boîte aux lettres subsistait sur le chantier. Rouillée, bien sûr, et le pieu qui la soutient est à demi couché… Mais elle contenait du courrier…

Il se fouille et retire de sa poche une lettre dont l’écriture est décolorée par l’humidité. Le papier est mou, spongieux, auréolé de taches brunes… Fernand l’a déjà éventré. Je retire une lettre dont l’écriture pointue est d’une pâleur cadavérique. Les pluies l’ont diluée et il faut se cramponner aux voyelles pour la ligoter.

Fernand glousse d’aise en me voyant bouquiner la missive. Il scrute mes réactions d’un œil gourmand et triomphant.

Je lis :

Cher A… ristide !

Je suis au regret de t’informer que je ne te donnerai pas un sou de mieux. En voilà assez. Fais ce que tu voudras ! N’oublie pas en tout cas que les temps ont changé. Même si le mariage était cassé on continuerait d’habiter ensemble, elle et moi. Quant au reste, ça resterait à prouver. Que tu aies eu le mal du pays ça se comprend, mais ça n’est pas une raison pour em… le monde !