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Ça, c'est pour Torrence, puissant et sanguin. Quant au patron de l'Agence O. la célèbre agence de détectives, le monde entier serait bien étonné d'apprendre qu'il n'est autre qu'Emile, le photographe, toujours humble et râpé.

— Ou bien ce coup de téléphone est une mystification, grogne Torrence, qui s'est levé du mauvais pied ce matin-là, ou bien nous allons nous trouver en présence d'une vieille folle...

Drôle de coup de téléphone, en tout cas. Torrence était bien au chaud dans son bureau. Dans le petit bureau de derrière, d'où il peut tout voir et tout entendre, Emile taillait méticuleusement un crayon. La sonnerie a retenti. Ils ont décroché ensemble car deux appareils sont branchés sur la ligne.

— Allô!... L'agence O?... Je voudrais parler à l'inspecteur Torrence...

Car les gens continuent à donner à Torrence son ancien titre de la Police judiciaire, où il a été longtemps le collaborateur préféré de Maigret.

— Allô! C’est lui-même à l'appareil...

— Attendez que je m'assure qu'il est toujours là...

— Allô!... De qui parlez-vous?...

— Le temps de jeter un coup d'œil par la fenêtre... Oui... Je le vois... Si notre conversation est soudain interrompue, ne vous étonnez pas, et surtout ne rappelez pas... Ici, Marie Dossin... Oui, avec deux s... Maison du Lac par Ingrannes, dans la forêt d'Orléans... Les gens du pays disent le château du Lac... Il faut que vous veniez, mais vous devez me promettre de ne rien dire à la police officielle... Ce matin, j'ai découvert un cadavre dans la cabane en bois... Allô!...

— J'écoute...

Pendant ce temps-là, Emile, qui aime la précision en tout, sténographie cet étrange message.

— Allô !... Il ne faut pas que mon mari sache que je vous téléphone... C'est lui que je surveille par la fenêtre... Il ignore que je sais, comprenez-vous?

— De qui est le cadavre?

— Je crois... Je l'ai mal vu, dans la demi-obscurité, mais je crois que c'est celui de Jean Marchons, un de nos amis... Il est pendu à une poutre...

— Hum... Il s'agit donc d'un suicide?

— Je ne sais pas... Je ne crois pas... Venez... Avant de vous présenter au château, essayez de pénétrer dans la cabane en bois qui est au bord de l'étang... Vous trouverez facilement... La porte n'est pas fermée... J'ai peur... Attention!... Je crois qu'il rentre...

Arpajon... Etampes... Pithiviers... Ils ont l'impression d'être seuls sur la route, et quand une voiture les dépasse, par aventure, ce sont des Parisiens qui vont à la chasse au canard. La forêt est aussi peu engageante que possible, avec ses troncs noirs qui se dessinent sur le blanc du ciel. L'auto s'arrête en face de l'église d'Ingrannes, et les deux hommes entrent à l'auberge.

Peut-être, à d'autres moments, le pays est-il plus sympathique, mais, par ce temps, tout se découpe en blanc et noir comme une lettre mortuaire, et la bonne femme qui leur sert du rhum n'est guère avenante.

— Le château du Lac?... Prenez le deuxième chemin à gauche, dans le bois du Loup-Pendu...

Tiens! Tiens! Même les loups qu'on pend, dans le pays!

— Vous connaissez M. Dossin?

— Pourquoi ne le connaîtrais-je pas?

Les deux hommes échangent un coup d'œil à cette réponse pour le moins inattendue.

— Et Mme Dossin?...

— Qu'est-ce que vous lui voulez, à Mme Dossin?

— Rien... Nous irons peut-être lui rendre visite... Il y a longtemps qu'ils habitent le pays?

— Peut-être bien que oui...

— C'est un de leurs amis, M. Jean Marchons, qui nous a dit...

Elle ne bronche pas les deux mains sur un ventre rondouillard.

— Vous connaissez M. Marchons? Insiste Torrence.

— On ne peut connaître tout le monde.

Après un pareil succès, les voilà qui engagent la petite auto dans les chemins forestiers tout craquants de neige durcie. Le radiateur fume comme une locomotive. De temps en temps, les pneus patinent sur la glace.

— Vous voyez un château, vous?

Une demi-heure durant, ils tournent en rond, et ils se retrouvent sur la place d'Ingrannes, où ils décident de lutter contre le froid en buvant un second verre de rhum.

— Eh bien! Vous l'avez vu? Questionne la patronne de l'auberge, qui ne doit sourire qu'une fois l'an.

— Qui?

— M. Dossin... Il sort d'ici à l'instant...

— Il était seul?

— Pourquoi ne serait-il pas seul, cet homme? Je lui ai annoncé qu'il aurait de la visite...

Cette fois, ils se renseignent plus minutieusement et, quelques minutes plus tard, ils aperçoivent la surface glacée d'un assez grand étang, à qui on a donné le nom plus pompeux de lac. A droite de l'étang, derrière un bois de sapins, on découvre des toits d'ardoise et on devine une propriété importante, où un chien aboie en entendant le moteur.

Torrence n'est pas en train. Il questionne sans courage:

— Qu'est-ce qu'on fait?

L'illustre détective, ce matin-là, ne paie décidément pas de mine, et Emile n'est guère plus brillant que lui.

— On sonne... décide Emile. Du moment que la vieille a averti de notre arrivée...

— Cependant, au téléphone, Mme Dossin a recommandé...

Emile hausse les épaules, descend de voiture et va sonner à une grille en fer forgé. Un chien s'en vient, furieux, de l'autre côté de cette grille, et fait tous ses efforts pour happer un pan du pardessus d'Emile.

— Quelqu'un! hurle celui-ci. Il n'y a donc personne, là-dedans?

Deux fois, trois fois, il sonne, sans résultat, ou plutôt avec le seul résultat de rendre le chien littéralement enragé. Soudain, une voix fait, tout près de lui, si près qu'il sursaute: — Vous désirez?

L'homme qui est là ne vient pas de la maison, mais des bois. C'est un homme de cinquante ans peut-être davantage, aux moustaches et à la barbe poivre et sel. Il est botté, vêtu d'un costume de chasse, et il porte une courte veste doublée de fourrure qui lui donne l'air très châtelain.

— C'est mon patron qui désire... balbutie Emile, en se tournant vers la petite auto dont le moteur tourne toujours.

Qu'est-ce que Torrence va bien pouvoir raconter? Il descend de voiture. Il tousse. Il commence: — J'aurais voulu avoir l'honneur de rencontrer Mme Dossin, pour qui je suis chargé de...

— Ma femme est au lit... laisse tomber assez sèchement le maître du château du Lac.

— Je suis désolé d'apprendre que Mme Dossin est malade. J'espère que ce n'est pas grave?

Le châtelain ne répond pas, mais son attitude dit clairement: Je ne vois pas en quoi la santé de ma femme vous regarde...

Et il attend.

— Patron... intervient Fraie, qui voit le moment où Torrence, désemparé, va faire demi-tour... Vous connaissez ma passion pour les sites pittoresques. Puisque vous êtes un ami, je veux dire, puisque vous avez connu jadis Mme Dossin, peut-être pourriez-vous demander à son mari la permission de photographier cette cabane en bois que j'aperçois au bord du lac?... Avec cette lumière glauque, ces reflets sur la glace, je crois que je...

M. Dossin les observe l'un après l'autre, en fronçant les sourcils, et, la main sur la clé qu'il vient d'introduire dans la serrure de la grille, il laisse tomber: — Photographiez tout ce que vous voudrez.

Bon! Il n'a pas lâché le chien sur leurs talons. C'est déjà ça! Sans plus s'inquiéter d'eux il traverse la cour assez vaste, et on le voit gravir lentement, gravement, les marches du perron.

— Drôle de maison... grogne Torrence. Qu'est-ce qu'on fait?

— On photographie, parbleu...