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» — Ce sont les autres pommes que je voulais... J'espère que vous ne les avez pas jetées?... Il y en avait de si savoureuses!

» Parfaitement! Il a fallu que j'aille rechercher à l'office les fruits qui...

» Non, monsieur, vous direz tout ce que vous voudrez, mais ces gens-là feraient mieux de se soigner...

— Avez-vous parlé de cet incident à votre maîtresse?

— Pourquoi? Qu'est-ce que ça peut lui faire?

— En effet... Je ne vois pas ce que... Dites-moi... J'y pense... En mordant ainsi dans des fruits, elle aurait pu y laisser son râtelier...

— Qui vous a dit que c'était un râtelier?... Vous vous trompez... Mme Pitchard n'est plus toute jeune, mais ses dents sont bien à elle, et je paierais cher pour avoir les mêmes... Désiré!... Si on jouait encore une partie?... Vous permettez, monsieur?... Les dames, c'est ma passion, et Désiré vient de me gagner par un coup de chance...

Quand Emile rentra à Paris, ce soir-là, il avait son visage grave et réfléchi de polytechnicien.

Comment répondre à toutes les questions que posait la conduite de ces dames du club?

Et d'abord, pourquoi le nommé Simson, amant de la belle Rosita, avait-il joué pendant plus d'une année le rôle difficile d'une noble et riche Panaméenne?

Que Simson fût un aventurier, c'était à peu près certain. Et un aventurier de grande classe, qui ne fréquentait que les grands palaces mondiaux en compagnie de sa maîtresse, qu'il faisait passer pour sa nièce.

Les gens de cette envergure ne s'amusent pas à des petits coups qui ne rapportent guère et qui sont dangereux. Ils attendent patiemment la belle occasion, celle qui rapportera la grosse somme, et ils mettent tout en œuvre pour réussir.

Quel coup Simson avait-il entrevu à Paris, suffisamment brillant pour expliquer de tels préparatifs et de pareilles dépenses?

Car le loyer de l'appartement de l'avenue Foch avait été régulièrement payé, les meubles aussi, tout au moins en partie.

Pourquoi, une fois dans la peau de Mme Sacramento, l'aventurier s'imposait-il la fréquentation du Club des vieilles dames?

Deux hypothèses se présentaient à l'esprit d'Emile.

Ou bien la pseudo-Sacramento ne s'était introduite au Club des vieilles dames que par hasard, en se disant qu'il y aurait des occasions possibles de ce côté.

Ou bien Simson n'était devenu Mme Sacramento que pour s'introduire au Club des vieilles dames, et ce, dans un but précis...

Ce but...

Soudain, Emile se fit conduire en taxi avenue Victor-Hugo. Il pénétra chez le pâtissier-traiteur en vogue et se fit recevoir par le gérant.

— C'est vous, n'est-ce pas, qui serviez tous les repas pris au club qui se trouve au-dessus de chez vous...

— C'est-à-dire que c'était notre personnel féminin... Car ces dames n'acceptaient pas la présence d'un garçon ou d'un maître d'hôtel... Le plus souvent, c'était Mlle Thérèse qui montait... Elle a l'âge canonique et...

— Pourrais-je échanger quelques mots avec Mlle Thérèse?

On l'appela. C'était une vieille demoiselle toute en noir.

— Je suppose, madame, qu'il vous est arrivé assez souvent de monter des fruits à ces dames du club?

— Presque chaque jour, monsieur...

— Parmi ces fruits, il y avait certainement des pommes... Réfléchissez bien avant de répondre... Avez-vous déjà vu une de ces dames mordre à même une pomme?...

Mlle Thérèse parut choquée par cette supposition.

— Mais, monsieur, ces dames sont bien élevées...

— C'est-à-dire?

— Qu'elles se servent d'un couteau pour peler les fruits... Jamais, au club, une de ces dames ne se serait permis...

— Encore une question... Mme Pitchard invitait une de ses amies, à chaque week-end... Elle suivait, pour ces invitations, la liste alphabétique des membres... A votre connaissance, une exception a-t-elle jamais été faite à la règle?...

— Jamais!

Le lendemain matin, à l'étonnement de Torrence, Emile reprenait sa place dans son cagibi de l'Agence O.

— Je suis à votre disposition, patron... annonçait-il. Il y a du travail?...

— Je croyais que vous poursuiviez votre enquête chez vos vieilles femmes?...

— Mon Dieu, patron, répliqua modestement Emile, je crois que mon enquête est finie...

— Vous avez découvert...

— Rien encore, mais j'ai envoyé un certain nombre de câbles dans différents pays du monde... Combien de moyens connaissez-vous d'identifier quelqu'un?...

— Mais... il y a d'abord les empreintes digitales...

— A condition qu'il s'agisse d'un personnage dont on possède la fiche dactyloscopique...

— Il y a les témoignages...

— A condition que les témoins possibles ne soient pas à l'autre bout du monde...

— Il y a les signes particuliers...

— A condition que la personne à identifier ait une cicatrice, un grain de beauté ou quelque irrégularité facile à repérer...

— Dans ce cas...

— Souvenez-vous du cambriolage qui a eu lieu voilà dix ans dans une villa des environs de Lyon... Le cambrioleur, avant de quitter les lieux, a mangé copieusement, comme c'est de tradition chez ces messieurs...

— Je crois que je me rappelle... Il avait laissé une pomme dans laquelle il avait mordu...

— C'est cela... Vous avez bonne mémoire... Un dentiste, examinant les traces laissées dans la pomme, a retrouvé la marque d'un travail de prothèse assez spécial qui avait été fait à la mâchoire du cambrioleur... Une note adressée à tous les dentistes de France et...

— Vous avez découvert une pomme chez Mme Sacramento?

— Non... Mais Mme Sacramento, qui s'appelle Simson, a travaillé pendant un an dans des conditions coûteuses et difficiles pour se procurer une pomme...

Torrence, qui n'y comprenait rien, soupira en attirant un dossier à lui:

— C'est très intéressant... Dites donc!... Il y a encore eu un vol de bijoux boulevard Bonne-Nouvelle, et la compagnie d'assurances nous demande de...

IV

Où Emile fait preuve d'une patience de plus en plus

angélique, et où, cependant, l'enquête se poursuit sans lui,

comme par la force acquise

Torrence n'en revenait pas. De temps en temps, il regardait Barbet. Barbet le regardait de la même manière, et tous deux échangeaient un clin d'œil.

Depuis huit jours, en effet, on ne reconnaissait pas Emile, qui se chargeait avec le sourire de tous les dossiers ennuyeux de l'Agence O, des enquêtes sans intérêt, des vérifications futiles, qu'en d'autres temps il aurait dédaignés.

Pour un peu, tant était grande sa fièvre de travail, il aurait collé lui-même les timbres sur les enveloppes et porté le courrier à la poste!

Pas un mot du Club des vieilles dames, ni de Mme Pitchard, ni de Mme Sacramento. Pas un mot non plus de la belle Rosita, qui lui rappelait à la fois de si voluptueux et si humiliants souvenirs.

Parfois il recevait une dépêche à son nom personnel. Il y jetait à peine un coup d'œil et la jetait dans un tiroir, qu'il fermait soigneusement à clé.

— Je crois, dit un jour Mlle Berthe, que M. Emile a pris un coup dur... Pauvre garçon!...

On l'observait. On le plaignait. On évitait la moindre allusion à l'enquête qu'il avait si piteusement ratée et qui, si le récit en avait été publié dans les journaux, l'aurait sans doute couvert de ridicule.

Ce fut seulement le quinzième jour qu'Emile, qui s'était pris de passion pour la Bourse et qui lisait chaque jour deux ou trois journaux financiers, montra la cote à Torrence, qui n'y connaissait rien.

— Qu'est-ce que je dois regarder?