Выбрать главу

Ses doigts étaient aussi durs que des étaux. Torrence, qui ne s'y attendait pas, n'avait eu aucune riposte.

— Lâche!... Lâche!... Lâche!... hurla par trois fois le vieux médecin.

Pendant ce temps, Lucas et un inspecteur s'efforçaient de lui faire lâcher prise. Quand on y arriva, Torrence avait deux marques violettes à la gorge et son faux col était en piteux état.

Lucas, encore essoufflé par l'effort, articula les mots fatidiques:

— Au Dépôt!

Et, se penchant sur son bureau, il mit un nom sur le mandat d'arrêt en blanc.

— Dès qu'il sera parti, introduisez la Pedretti...

III

Où Carmen Pedretti fait de troublantes confessions

cependant qu'Emile, à Joinville, parle tout seul

Evidemment, Carmen Pedretti, quand elle pénétra dans le bureau de Lucas, ne se doutait pas de l'arrestation de son amant, sinon sans doute n'aurait-elle pas gardé ce calme presque souriant qui faisait partie de son caractère.

Elle n'était, malgré son nom et son prénom, ni Espagnole, ni Italienne, mais originaire des environs de Nîmes. C'était une grande belle femme, bien en chair sans être grasse, le type de ce qu'on aurait appelé jadis une beauté opulente.

Elle ne se laissa pas troubler par ces trois hommes qui l'attendaient en guettant ses réactions. De même ne s'était-elle pas impatientée malgré une longue attente qu'on lui avait fait subir à dessein.

— Croyez-vous vraiment, messieurs, que je puisse vous être de quelque utilité?

Du regard, elle cherchait le docteur Maupin et elle parut étonnée qu'il fût parti sans l'attendre. Elle l'eût été bien davantage si elle avait pu le voir remplissant les pénibles et humiliantes formalités d'écrou.

— Vous connaissiez Elisabeth Goron? Questionna Lucas à brûle-pourpoint.

Elle hésita. Elle n'essaya pas de cacher son hésitation. Elle sourit.

— Je vais peut-être vous dire le contraire de ce que vous a déclaré le docteur, mais je la connaissais...

— Depuis quand?

— Depuis lundi... J'étais chez le docteur Maupin, qui est mon ami, quand elle est arrivée. Jusqu'alors, j'avais souvent entendu le docteur parler d'elle. Je l'avais même guettée de ma fenêtre, car je suis curieuse. Mais j'habite le quatrième étage, si bien que je connaissais davantage son chapeau que son visage.

— Vous aviez autant de curiosité à l'égard de toutes les clientes de votre amant?

Le mot ne la choqua pas et elle regarda Lucas avec indulgence, en femme qui a beaucoup vécu et qui sait que les hommes ne peuvent comprendre certaines nuances.

— Mme Goron n'était pas seulement une cliente, répondit-elle sans se départir de sa douceur sereine. C'était une vieille amie du docteur. Jadis, ils avaient été presque fiancés. Il subsistait encore entre eux une amitié non exempte de tendresse et il m'est arrivé d'en être presque jalouse...

— Soupçonniez-vous certaines relations plus étroites entre le docteur et Mme Goron?

— Mais non, monsieur le commissaire... Vous m'avez mal comprise... Le docteur avait près de soixante ans... Mme Goron en avait cinquante-cinq... A cet âge-là, l'amitié se colore presque toujours d'une grande tendresse et moi, qui n'ai que quarante-deux ans, je me suis surprise à en prendre ombrage...

— Si nos renseignements sont exacts, vous êtes sans fortune personnelle?

— Je suppose qu'on peut tout dire à la police, n'est-ce pas? Pendant vingt ans, j'ai été la maîtresse d'un homme marié qui m'a entretenue confortablement, pour employer le terme banal. Il m'aimait et je l'aimais. Je n'ai jamais voulu penser à mon avenir. Quand il est mort, je suis restée sans ressources, avec seulement quelques bijoux de prix, des meubles, des bibelots... C'est alors que j'ai rencontré le docteur... Il m'a aidée à vivre... Mais c'est un bohème, lui aussi, et il a trop le mépris de l'argent pour en mettre de côté...

» Les gens ne croient pas toujours nécessaire de payer leur médecin... Il y avait des moments difficiles... Il était naturel qu'à ces moments-là je fasse bouillir la marmite, comme on dit vulgairement... C'est ainsi que, lundi, j'ai envoyé quelques bibelots à la Salle des Ventes...

— Et, comme par hasard, alors que les caisses étaient prêtes dans votre appartement, vous êtes descendue chez le docteur peu avant l'arrivée de Mme Goron...

-- C'est exact... Le docteur m'a présentée à elle... Nous nous sommes regardées avec curiosité, car, si je savais son histoire, elle était au courant de la mienne et de mes relations avec Maupin...

- Etiez-vous comme deux rivales?

--- Plutôt comme deux femmes qui vont devenir amies...

— Le docteur a-t-il fait une piqûre hypodermique à Elisabeth Goron?

— Je l'ignore... Il a pénétré avec elle dans, son cabinet et je ne les ai pas suivis...

— Avez-vous revu ensuite Mme Goron?

— Oui... Quelques instants...

- Etait-elle toujours dans son état normal?

— Je n'ai rien remarqué de particulier...

— Lorsque vous êtes remontée chez vous, le docteur et sa cliente étaient-ils toujours ensemble?

— Oui...

— Ce n'est qu'une heure plus tard environ qu'on est venu chercher les caisses... Vous paraissez vigoureuse... Vous auriez été capable, n'est-ce pas, de porter une de ces caisses?

— Peut-être, mais pas de descendre quatre étages avec...

— Qu'avez-vous fait, une fois les caisses parties?

— Je me suis rendue rue Drouot, à la Salle des Ventes.

— Pourquoi, puisque, la vente de vos bibelots ne devait avoir lieu que le surlendemain?

— Parce qu'il y avait des objets fragiles et que je voulais m'assurer qu'ils étaient arrivés en bon état...

— Saviez-vous que le docteur jouait aux courses?

— Oui...

— Saviez-vous qu'il avait des dettes?

— II ne le cachait pas. C'était un philosophe à sa manière et il affectait, je le répète, le plus grand mépris pour l'argent.

— Vous a-t-il parfois dit qu'il comptait hériter d'Elisabeth Goron?

— Je crois qu'il ne l'a jamais pensé... Il n'y avait aucune raison pour cela, puisque cette darne avait une nièce qui était son héritière naturelle...

— Vous êtes-vous rendue à Joinville?

— Jamais...

Alors Lucas, après un coup d'œil d'intelligence à Torrence, se décida à frapper le grand coup.

— J'ai le regret de vous annoncer, madame, que le docteur Maupin, connu dans le quartier sous le nom de docteur Tant-Pis, est sous les verrous et qu'il sera inculpé de l'assassinat de sa cliente, Mme Goron...

Elle tressaillit, fronça les sourcils, mais bientôt le sourire reparut sur son beau visage aux traits pleins.

— C'est trop stupide pour que je puisse le croire.

— C'est pourtant la vérité et le docteur a avoué. Elle secoua la tête, sans se démonter.

— Non, monsieur le commissaire, dit-elle simplement. J'ai lu assez de récits policiers pour savoir que vous plaidez le faux pour savoir le vrai. Jamais Charles... C'est le prénom du docteur... jamais Charles, dis-je, n'a pu faire un aveu pareil...

— Savez-vous que vous serez vraisemblablement poursuivie comme complice?

— Le docteur est innocent et je le suis aussi.

— Vous refusez de nous dire où le cadavre de Mme Goron a été caché entre le lundi à trois heures de l'après-midi et le mercredi soir?

— Je l'ignore...

— Veuillez passer dans le bureau voisin...

Et, resté seul avec un inspecteur et avec Torrence, Lucas se gratta le menton.