» J'ai tourné de l'œil... Paraît que ce qui a attiré les flics dans le terrain vague, ce matin, c'est que je poussais des gémissements, comme une bête malade, qu'ils ont dit...
Barbet examina la photographie qu'Emile lui tendait.
— C'est bien lui... Sauf qu'il est plus maigre encore à l'heure qu'il est... Malheureusement, ils ont dû mettre les bouts de bois...
La sonnerie du téléphone retentissait. Emile ne bougeait pas. Ce fut Barbet qui lui rappela:
— Vous oubliez que Mlle Berthe est chez le coiffeur?... Vous feriez peut-être bien de répondre, patron...
— Allô!... C'est vous, Torrence? Faisait une voix au bout du fil.
— M. Torrence est absent... Ici, Emile, son employé... Un gros rire.
— Vous êtes modeste, monsieur Emile, et je voudrais avoir beaucoup d'employés comme vous... Ici, le directeur de la PJ... On me signale à l'instant la présence de Vatissard dans un petit bar du boulevard de Courcelles... Un agent l'a formellement reconnu... Il attend des instructions... J'avais pensé qu'après ce qui s'est passé, Torrence serait heureux de procéder lui-même à...
— Je vais y aller... On le surveille, n'est-ce pas?...
— Ne craignez rien... Aucune chance pour lui de nous échapper... J'ai déjà donné des instructions à mes inspecteurs...
Emile saisit son chapeau, négligea son pardessus, et il se précipitait dehors quand il se heurta à Mlle Berthe.
— Monsieur Emile!... Monsieur Emile!...
— Impossible!...
— Monsieur Emile!... Je vous en supplie!... C'est très important...
Trop tard. Emile était déjà au bas de l'escalier. Il sautait dans le premier taxi venu.
— Boulevard de Courcelles!... En vitesse!... Vous en faites pas pour les contraventions...
Alors Mlle Berthe s'approcha de Barbet à demi étendu sur le divan du bureau.
— Vous avez un revolver, Barbet?
- Chut!... Le patron m'avait fait promettre de ne pas être armé... Il est vrai que, pour ce que ça m'a servi...
Et il tendit à la jeune fille un gros revolver d'ordonnance. — Où allez-vous?... Qu'est-ce que vous faites?...
A son tour, elle avait déjà disparu.
Décidément, ce vendredi-là, l'Agence O était comme prise de folie.
IV
Où le bon Torrence, ému jusqu'aux larmes une fois de plus,
à l'air de présider à une distribution de prix à des élèves
modèles
Quand Emile arriva boulevard de Courcelles, non loin du pont du chemin de fer, il eut une désillusion et il en voulut au chef de la police. En effet, un car officiel était arrêté devant le petit bistrot qu'on lui avait désigné et la foule s'était déjà amassée. Ainsi donc, on ne l'avait pas attendu pour procéder à l'arrestation de Vatissard!
Mais, quand il s'approcha, son humeur se transforma en stupeur. C'était en effet Torrence qui sortait du petit bar, poussant devant lui un jeune homme maigre aux mains chargées de menottes.
— Vous aussi? S’étonna Torrence en apercevant Emile.
— Et vous, patron, comment se fait-il que... Je vous croyais rue du Mont-Cenis...
— J'y étais encore il y a une demi-heure... Figurez-vous que, dans la bicoque d'où les oiseaux s'étaient envolés et que je visitais à tout hasard, j'ai trouvé un vieux dixième de la Loterie nationale... Sur ce billet, il y avait, au tampon, le nom et l'adresse d'un petit café du boulevard de Courcelles... Je me suis souvenu que c'était une agence de pari mutuel et que nos lascars jouaient aux courses... Je suis venu et j'ai trouvé ces messieurs qui nous attendaient...
Il désignait les inspecteurs de la PJ.
— Par exemple, nous avons travaillé trop vite. Vatissard venait de pénétrer dans la cabine téléphonique et de mettre un jeton dans l'appareil... Or nous ne lui avons pas donné le temps de demander son numéro... A qui voulait-il téléphoner?... Pourquoi, avant de fuir, est-il venu ici?... Dans une situation aussi difficile que la sienne, il a fallu un mobile grave... Je suis une vieille bête, Emile!... Quand je pense qu'il suffisait d'attendre quelques secondes derrière la porte de la cabine...
Inspecteurs de la PJ et directeurs de l'Agence O accompagnèrent les deux prisonniers, Vatissard et un vague comparse, jusqu'au quai des Orfèvres.
Le comparse plaisantait avec bonne humeur. De toute évidence, il se croyait tranquille, car il n'avait fait, comme il disait, que donner asile à un copain dans la débine. Savait-il que Vatissard était sorti de la bicoque, la nuit, pour donner un coup de couteau à Barbet?
Les deux hommes furent fouillés et on trouva sur l'ancien clerc de notaire, plus pâle que jamais, un portefeuille contenant quinze mille francs, ce qui restait, évidemment, des vingt mille francs extorqués au sculpteur T...
— Vous voulez l'interroger vous-même, Torrence? proposa aimablement le directeur de la PJ. Dans ce cas, je vous adjoindrai Lucas, afin de donner une consécration officielle à...
— Patron! s'écria soudain Emile.
— Quoi?
— J'y pense tout à coup... Lorsque je suis sorti, Mlle Berthe a essayé en vain de me retenir... J'étais pressé... Elle paraissait fort émue...
— Allez donc cité Bergère...
Emile entra en coup de vent, n'aperçut que Barbet, qui avait, en son absence, vidé la bouteille de rhum et qui ronflait. Il le secoua.
— Où est Mlle Berthe?
— Hein?... Quoi?...
— Où est-elle?... Tout à l'heure elle était nerveuse et...
— Vous en faites pas patron, elle est armée...
— Hein?... Mais vous êtes ivre, Barbet!...
— Je crois bien que oui... Pour ce qui est... enfin de la demoiselle, elle m'a demandé mon revolver et...
— Elle vous a dit où elle allait?
— Non... Elle est partie aussi vite que vous... Ce ne serait pas un effet de votre bonté que de me donner un verre d'eau?...
— Mais, sacrebleu, Barbet, vous ne vous rendez pas compte que Mlle Berthe est peut-être tombée dans un piège?... Ce sera votre faute si...
A ce moment, Emile dressa l'oreille.
— On frappe quelque part... dit-il.
— Vous croyez?
— Silence... Ecoutez...
Ce n'était pas à la porte et il fallut quelques instants pour s'apercevoir qu'on frappait au plancher.
Une fois encore, Barbet resta seul, et il était écrit qu'il attendrait longtemps son verre d'eau. Emile s'était précipité. Il faisait irruption dans le salon de coiffure du rez-de chaussée.
— Qu'est-ce qu'il y a à l'entresol? Questionnait-il. Et Adolphe, qui faisait une barbe, de répondre sans s'émouvoir:
— Je crois que votre secrétaire y est justement... Depuis un mois, j'ai aménagé, au-dessus du salon pour hommes, un salon pour dames, et votre secrétaire est devenue notre cliente...
Un escalier en colimaçon permettait de gagner directement l'étage Emile poussa une porte.
— Ah! Je suis bien contente que vous ayez entendu... murmura Mlle Berthe, qui tenait à la main un gros revolver d'ordonnance. Je ne savais plus que faire, patron... J'espérais bien que vous entendriez les coups que j'ai frappés avec le manche d'un balai sur le plafond... Moi, j'entendais tout ce que vous disiez à Barbet...
Elle rougit et il rougit. Elle rougissait de joie, car elle s'était rendu compte de l'émoi d'Emile, et il rougissait, de son côté, de savoir qu'elle avait pu surprendre cet émoi.
— Mais qu'est-ce que vous faites?...
Un côté de la pièce était composé de petits boxes séparés les uns des autres par des tentures. Mlle Berthe écarta ces tentures. Dans un des boxes, on vit une jeune manucure qui venait de s'évanouir; dans l'autre, le coiffeur pour dames engagé par Adolphe, et qui bégaya: