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Or, ce n'est pas du tout ce qu'Emile pense et, s'il fronce les sourcils, c'est qu'il se demande: « Pourquoi diable, pendant le peu de temps que nous avons passé dans la cabane, ce monsieur a-t-il éprouvé le besoin de changer de bottes, alors que celles qu'il portait ce matin n'étaient ni mouillées, ni sales? »

Et il essaie de se souvenir des premières bottes, qui étaient à lacer, tandis que celles-ci sont des bottes d'équitation.

Il y aurait bien une explication... Si M. Dossin a eu tout à coup l'idée de monter à cheval, il est possible qu'il ait préféré changer de bottes... Les cavaliers sont gens qui aiment les traditions, la correction dans la tenue...

— ... ce qui vous explique, messieurs, la vie retirée et assez farouche qu'on mène dans...

Il tressaille, car Emile vient de prendre la parole au moment où on s'y attendait le moins. Et c'est pour demander d'un air innocent, pour ne pas dire stupide: — Vous avez des chevaux?

— Non... Je ne vois pas en quoi...

— Cela n'a pas d'importance... Continuez...

Puisque ce n'est pas pour monter à cheval, pourquoi, diantre, a-t-il changé de bottes?

II

Où un médecin de famille vient à point, et où certain faisan

viendrait plus à point encore s'il n'était accompagné d'une visite

Maigret travaillait volontiers à la bière, ou au gros rouge. Torrence, qui a été son élève pendant si longtemps, travaille indifféremment à tout ce qui se boit, et le bon feu de bûches ne lui vaut rien, ni le fauteuil profond dans lequel il s'enlise. A-t-il seulement entendu que la cloche d'entrée retentissait? On gratte à la porte. Celle-ci s'ouvre. L'hôte se lève.

— Vous permettez?

A peine reste-t-il quelques secondes dans le vestibule et, quand il revient, il est encore plus grave que précédemment.

— Le docteur... annonce-t-il. Il est monté chez ma femme... Vous voyez, messieurs, que je ne vous fais aucun mystère... C'est une situation pénible, difficile...

Cet homme est parfait. Avec sa barbe à peu près carrée, il pourrait jouer des personnages historiques, toujours des personnages honnêtes, des hommes au grand cœur. Torrence, qui lutte mal contre l'engourdissement, et dont les semelles sont léchées par les flammes du foyer, murmure sans conviction: — Et votre ami Jean Marchons?... Y a-t-il longtemps que vous ne l'avez pas vu?

— Plusieurs jours... Il habite Pithiviers... Il vient assez rarement nous voir...

Bon! Voilà déjà le docteur qui redescend. Cette fois, on l'introduit sans mystère dans la bibliothèque, et il y apporte une atmosphère de conte d'enfants. Ce n'est pas un docteur, c'est un gnome, c'est un lutin, dont le visage rond et rose, la barbiche d'un blanc éblouissant, les petits yeux qui pétillent semblent faits pour inspirer la plus absolue confiance.

— Entrez, docteur... Ces messieurs viennent de Paris... Permettez que je vous présente... Le célèbre détective Torrence, de l'Agence 0, et son aide, monsieur... monsieur...

— Emile!

— Voulez-vous, docteur, leur dire ce que vous savez de ma femme... Messieurs, je vous avertis que le docteur Aberton est notre médecin de campagne, qu'il vit ici, à Sully, c'est-à-dire à huit kilomètres, depuis sa plus tendre enfance... Dites-leur, docteur.

— Eh bien! Messieurs, je suis obligé, puisque mon estimé client me relève du secret professionnel, de vous avouer que Mme Dossin, qui est depuis longtemps ma malade, fait depuis un certain temps des troubles mentaux et...

— Une goutte d'armagnac, docteur?...

— Volontiers... D'autant plus que voilà qu'il neige... C'est un remède que nous ne mettons pas souvent sur nos ordonnances, mais que nos malades prennent sans nous consulter... Ha! Ha!...

Torrence est là comme un coq en pâte, les pieds au feu, un verre qu'on ne lui laisse jamais vide entre les mains. Existe-t-il quelque part de plus braves gens et une maison meilleure? Il se détend. Il va même jusqu'à expliquer: — Vous savez, nous avons l'habitude, dans notre métier, des dénonciations de femmes, et nous savons ce qu'il faut en penser...

Emile est moins aimable, et lui arrive de murmurer:

— N'oubliez pas, patron, que vous étiez venu pour avoir une conversation en tête à tête avec Mme Dossin...

M. Dossin et le docteur se regardent.

— C'est son médecin qui décidera... fait enfin M. Dossin. Dans l'état où elle est, avec la crise qu'elle a eue ce matin, je ne sais pas si...

— Certainement pas! déclare le docteur. Si même la police officielle me demandait mon avis, je lui dirais: « A moins d'un cas d'une gravité extrême, j'insiste pour que ma cliente soit laissée en paix... »

— Je vous remercie, docteur... Il ne me reste, monsieur, qu'à prendre congé, et à...

— Une dernière goutte d'armagnac?...

Les voilà à nouveau dans leur petite auto, Torrence et Emile.

— Vous n'avez pas honte, patron?

— De quoi?

— Vous avez bu trois pleins verres d'alcool, et vous en avez les yeux humides... Quant aux bottes...

— Quelles bottes?

— Celles que M. Dossin a enlevées...

— Vous n'allez pas prétendre qu'il a retiré ses bottes sans que je m'en aperçoive...

— II les a changées avant notre arrivée... Peu importe... Arrêtez-vous à Ingrannes...

Ils ne s'adressent plus, cette fois, à la tenancière de l'auberge, dont ils se méfient, mais à un homme qui coltine les fagots sur la route.

— Où peut-on manger et coucher dans le pays?

— A Sully, monsieur...

Le bureau de poste, lui aussi, est à Sully. La neige tombe à petits flocons serrés, qui vous glissent entre le cou et le col du pardessus et se liquéfient dans votre dos.

— Qu'est-ce que je disais, ce matin? Exulte Torrence. Une plaisanterie ou une folle... Eh bien! C’est une folle... A moins que ce médecin de campagne soit un figurant qui Joue son rôle à la perfection, on ne me fera pas croire...

Ils atteignent Sully, près d'un canal...Ils descendent dans une auberge plus confortable que celle d'Ingrannes.

— Vous pourriez nous servir à déjeuner, et éventuellement nous coucher pour la nuit?...

— Je vais demander au patron...

Une demi-heure après, on leur sert à déjeuner un superbe faisan qui a certainement été pris au collet, car la chasse est fermée.

— Vous savez, messieurs, les pintades, Par ici, ressemblent beaucoup aux faisans...

Le patron leur lance un clin d'œil.

— Vous connaissez le docteur Aberton?

— Parbleu! C'est le meilleur homme de la terre. Si on manquait de saint Joseph pour la crèche de Noël, c'est lui qu'on y mettrait avec l'âne et le bœuf...

— C'est un ami des gens du château, n'est-ce pas?

— C'est l'ami de tout le monde... Il rend service à tout le monde... Et, pour ce qui est d'apprécier un bon petit verre...

— Que pensez-vous de Mme Dossin?

— Hum!

— Pardon... Je n'ai pas très bien compris... Vous avez dit?

— J'ai dit: « Hum! »

— Ce qui signifie?

— Cela signifie « Hum... » Comme j'ai l'honneur de vous le dire. Encore une aile?... Mais si ! Vous comprenez, dans le pays, nous n'aimons pas beaucoup les créatures...

— Les quoi?

— Les créatures... Alors, quand ce pauvre M. Dossin a ramené cette... cette: " Hum!...»

— Un instant... Voulez-vous dire que Mme Dossin a un amant...

L'aubergiste devient plus grave.

— Tout le monde vous le dira, oui, monsieur.

— Est-ce que son amant s'appelle Jean Marchons?...