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— Nous étions bien tranquilles, hier au soir, quand nous avons entendu du bruit dans l'étude... Mon père a saisi son revolver... Dans l'obscurité, il y avait un homme, mais il a eu le temps de s'enfuir par la porte-fenêtre... Mon père a compris tout de suite qu'on en voulait à ces documents... Il lui était impossible de quitter aussitôt La Rochelle... Par crainte d'un nouvel attentat, il m'a chargée... Quand il vous aura tout expliqué, vous comprendrez ma nervosité, mon angoisse... Ceux qui nous poursuivent sont implacables…

Pendant ce temps-là, Emile le roux a toujours l'air d'un brave employé qui accomplit tranquillement sa besogne. Après l'annuaire des notaires de France, après l'annuaire des téléphones de la Charente-Inférieure, c'est maintenant l'indicateur des chemins de fer qu'il consulte, sans perdre la jeune fille des yeux plus de quelques secondes.

Elle est très bien, cette jeune fille. Elle est habillée exactement comme une provinciale de bonne famille. Son tailleur gris est parfaitement coupé. Son chapeau est à la mode sans être agressif. Les gants sont en suède gris perle.

Mais il y a un détail que Torrence n'a pas pu voir, parce qu'il est trop près, il est difficile d'examiner avec toute l'attention voulue une personne qui vous parle.

Tandis qu'Emile, à son microscope, comme il appelle son judas...

Si, comme elle le raconte, elle a quitté précipitamment la Rochelle, si elle a voyagé une partie de la nuit, si elle vient seulement de débarquer et si de la gare elle a pris directement un taxi pour la cité Bergère, comment se fait-il que ce tailleur si simple et si correct ait encore ses plis bien nets, surtout le pli des manches qui se forme quand on met un vêtement dans une malle?

La Rochelle... La Rochelle-Orsay... Eh bien! Le seul train par lequel elle a pu venir de La Rochelle est arrivé à Paris à 6 h. 43 du matin...

— Tout ce que je vous demande, c'est de mettre ce document en sûreté dans votre coffre jusqu'à l'arrivée de mon père... Je vous en supplie, monsieur... Il vous expliquera... Et je suis sûre que vous ne refuserez pas de nous aider...

Elle ment bien. Elle est même émouvante. Elle va. Elle vient. Est-ce que sa nervosité elle-même est jouée?

— Si vous m'affirmez que votre père viendra cet après-midi.... grogne Torrence. J'aimerais pourtant que vous me laissiez votre adresse à Paris... Vous êtes descendue à l'hôtel?

— Pas encore... Je vais y aller... Je voulais avant tout...

— A quel hôtel descendrez-vous?

— Mais... A l'Hôtel d'Orsay... A la gare même... Vous garderez ce document, n'est-ce pas?... Je suppose qu'on peut avoir confiance dans votre coffre?... Personne n'oserait...

Elle esquisse un pâle sourire.

— Personne n'oserait, non, mademoiselle... Je vais d'ailleurs enfermer cette enveloppe sous vos yeux...

Et le bon géant Torrence se lève, tire une petite clé de sa poche, ouvre le coffre-fort. La jeune fille, machinalement, s'approche.

— Si vous saviez comme cela me soulage de voir enfin ces papiers en sûreté!... Il s'agit de l'honneur, de la vie de toute une famille...

Pendant que Torrence referme consciencieusement le coffre, Emile a décroché à nouveau le téléphone intérieur, mais cette fois il est branché sur l'appareil du garçon de bureau qui lit son journal dans l'antichambre. La conversation est brève, si on peut appeler cela une conversation. Emile, en effet, se contente de prononcer: — Chapeau...

En même temps, le jeune homme roux fronce les sourcils. Denise, le coffre refermé, s'est appuyée au bureau de Torrence et elle murmure: — Je vous demande pardon... J'ai tenu bon jusqu'ici... Les nerfs me soutenaient... Maintenant que ma tâche est presque terminée, je... je...

— Vous vous sentez mal? S’inquiète Torrence.

— Je ne sais pas... Je...

— Attention...

Elle s'est laissée aller dans ses bras. Elle a les yeux mi-clos. Elle cherche sa respiration, elle se débat contre l'évanouissement qui la menace.

Torrence veut appeler. Elle proteste.

— Non... Pardonnez-moi... Ce n'est rien... Une défaillance...

Elle s'efforce de sourire, un pauvre sourire qui émeut l'épais Torrence.

— Vous serez ici à quatre heures, n'est-ce pas?... Je viendrai avec mon père... Vous saurez tout... Je suis certaine, maintenant, que vous ne nous refuserez pas votre aide...

Elle est debout au milieu du bureau. Elle se baisse.

Mon gant... Au revoir, monsieur... Croyez que...

Barbet, le garçon de bureau qu'on appelle ainsi à cause de sa face velue, aux poils en friche, se lève pour la reconduire jusqu'au palier. Dès qu'elle est dans l'escalier, il se coiffe d'un melon verdâtre, célèbre cité Bergère, endosse son pardessus et, sortant par une autre issue, arrive faubourg Montmartre avant la visiteuse.

Quant à Torrence, il s'est tourné vers la vitre et s'est contenté de faire un clin d'œil. Emile quitte le bureau et pénètre chez le patron.

— Qu'est-ce que vous dites de cette petite?

Alors l'employé au complet étriqué n'hésite pas à prononcer sur un ton qui n'admet pas de réplique:

-- Je dis que vous êtes un idiot!

Tous ceux qui ont mis les pieds à l'Agence O, tous ceux qui, en des circonstances difficiles ou dramatiques, ont fait appel au célèbre détective Torrence, seraient bien étonnés s'ils pouvaient le voir, confus, tête baissée, bafouillant en face de ce jeune homme qu'il présente tantôt comme son employé, tantôt comme son photographe, parfois comme son chauffeur.

Il est vrai qu'Emile a changé. Certes, son costume n'est devenu ni plus grand ni plus large. Ses cheveux ne sont pas d'un roux moins ardent et il a toujours des taches de son aux alentours du nez, des yeux de myope sous les lunettes d'écaille.

Pourtant il paraît moins jeune. Vingt-cinq ans? Trente-cinq? Bien malin qui pourrait le dire. Sa voix est sèche, tranchante.

— Qu'est-ce que vous aviez mis dans la poche gauche de votre veston? Questionne-t-il.

Torrence fouille ses poches.

— Mon Dieu...

— Oui, « mon Dieu! » Si vous croyez que c'est par plaisir qu'une jeune fille se jette dans vos bras.

— Mais... elle était...

Torrence est abattu, navré, humilié.

— Je vous demande pardon, patron... elle avait fini par m'émouvoir... Je ne suis qu'un idiot, vous avez raison... Quant à ce qu'elle m'a pris... C'est une catastrophe... Il faut courir après... Il faut la retrouver coûte que coûte...

— Barbet est sur ses talons...

Torrence a beau être habitué, il est émerveillé, une fois de plus.

— Le mouchoir, n'est-ce pas? Questionne Emile.

— Oui... Vous vous souvenez... Je l'avais mis précieusement dans une vieille enveloppe... Je comptais, cet après-midi...

— Ouvrez vite le coffre, idiot...

— Que je... que j'ouvre...

— Dépêchez-vous...

Torrence obéit. Malgré sa taille et sa carrure, il n'est qu'un petit garçon en face de ce maigre jeune homme à lunettes.

— Vous ne comprenez pas encore?

— Comprendre quoi?

— Retirez l'enveloppe... Posez-la sur votre bureau... Non, sur le plancher, c'est plus prudent...

Allons donc! Cette fois, le patron exagère. Torrence ne voit pas en quoi une enveloppe qui contient tout au plus une dizaine de feuilles de papier... Il existe des bombes de petites dimensions, c'est vrai, mais tout de même pas à ce point-là...

— Pourvu qu'elle ne parvienne pas à semer Barbet...

Cette fois, c'est le comble, et Torrence en a les yeux ronds. Semer Barbet! Est-ce que quelqu'un est jamais arrivé à semer Barbet?

— Vous vous souvenez, Torrence, de la définition d'un bon caporal? Grand, fort et bête... Eh bien! Si cela continue, je vais être obligé de vous nommer caporal...

— Qu'est-ce que vous voulez que je réponde?