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— Ce que je ne comprends pas, si vous voulez que je vous dise toute la vérité, c'est que vous ne veniez même pas jeter un coup d'œil à l'Hôtel Majestic... Je sais bien que Barbet laisse rarement échapper un indice... Moi-même, j'ai tout examiné...

Emile ne bronche pas. Entend-il seulement la voix de Torrence? On pourrait en douter.

— En somme, quelle est la situation?... Nous avons la preuve que le voleur ou la voleuse...

— La voleuse... soupire Emile.

Et il n'ose pas ajouter que tout à l'heure, en dansant, il l'a serrée d'assez près pour être sûr que c'était une femme qu'il tenait dans ses bras.

— Soit... Si vous y tenez... Donc, nous avons la preuve que les vols de bijoux ont été commis par une femme, que cette femme vivait au Majestic sous le nom de Dolly Marisson et sous celui de son frère James, ce qui est assez pratique, car cela lui permettait de sortir tantôt sous les apparences d'une jeune fille et tantôt sous celles d'un jeune homme...Personne, dans un grand hôtel comme le Majestic, ne s'est étonné de ne jamais voir ensemble le frère et la sœur... Quant à savoir si la demoiselle est vraiment la fille de Ted le Chauve... Toujours est-il qu'elle nous a échappé... Une question se pose, la seule qui ait encore de l'importance... Où sont cachés les bijoux?... Car il est certain qu'elle ira là où sont les bijoux... Le Majestic est surveillé... Nous n'avons rien trouvé dans les deux appartements... Rien non plus n'a été déposé dans le coffre de l'hôtel...

Emile murmure d'une voix de rêve:

— Ce que voue pouvez être bavard, Torrence, pour un policier!

— Et vous, ce que vous pouvez être apathique! Enfin, je me demande si vous vous rendez compte que les heures passent... Certes, j'ai porté à la police officielle la photographie de notre inconnue et, à l'heure qu'il est, toutes les gares, tous les ports...

— Ecoutez, Torrence, si vous continuez à faire tant de bruit, je vais m'étendre sur le palier...

Voyons... Etant donné que... A cause de ce Torrence, il faut sans cesse reprendre le raisonnement... Etant donné que cette femme a volé par treize fois des bijoux... Etant donné qu'elle occupe deux appartements dans un grand hôtel de Paris... Etant donné que les bijoux n'ont pas été vendus... Etant donné qu'ils ne paraissent pas se trouver dans l'hôtel...

— Dormez-moi une tasse de café, Torrence !...

Que faisait Ted le Chauve en pareil cas? C'est ce qu'on ignore, car il n'a jamais parlé de ses méthodes à personne. Emile est persuadé que, sur un point au moins, la jeune fille n'a pas menti. Elle est bien la fille de Ted le Chauve. Sans doute même n'a-t-elle entrepris cette série de cambriolages que pour réunir une somme importante lui permettant de faire évader son père.

Tout cela se tient... Cela sonne vrai...

Bon !... La voilà à Paris... Elle réussit un premier coup, celui du boulevard de Strasbourg... Puis les cambriolages se succèdent, presque de semaine en semaine...

Que fait-elle des bijoux? Tout est là... Que fait-elle des bijoux en attendant d'en avoir pour une somme suffisante et daller les revendre a l'étranger?

Comme s'il devinait le cours des pensées de son chef, Torrence prononce en préparant une nouvelle cafetière de café: — Elle a sûrement un second domicile à Paris...

— Je jurerais que non...

Pourquoi? D'abord parce qu'elle est extrêmement Intelligente. Ensuite parce qu'elle emploie des méthodes que son père, qui n'a été arrêté qu'une seule fois au cours d'une longue carrière, a mis tous ses soins à polir.

Or, si Ted le Chauve est en prison depuis plusieurs mois, la police américaine n'a pas encore réussi à mettre la main sur les bijoux qu'il a volés!

D'autre part, au Majestic, dans le double fond d'une malle, on a retrouvé une trousse complète de cambrioleur. Si la jeune fille avait un autre domicile, il est probable qu'elle y aurait laissé cette trousse compromettante...

— Cela ne vous ferait rien de vous asseoir au lieu d'aller et venir comme un ours de cirque?

— J'essaie de ne pas m'endormir, grogne Torrence. Si nous devons passer la nuit ici...

Allons! Recommençons... Cette fois, Emile pense à la première personne... C'est lui la jeune fille... C'est lui la voleuse... Il vient de réussir son premier coup... II a les bijoux dans sa poche... Ce n'est pas très volumineux... Il ne s'intéresse qu'aux bijoux de valeur, et de préférence aux diamants...

Que va-t-il en faire?

Une grande ride barre son front. Il fixe toujours la même tache du plafond, qui devient une obsession.

Il faut, il est indispensable que ces bijoux soient en lieu sûr pendant des semaines, voire des mois...

Il faut que si, par accident, je suis arrêtée, ou suivie... que si on découvre mon domicile...

Il sent qu'il approche de la vérité. Parbleu! Qu'on la soupçonne, qu'on la file, qu'on fouille ses bagages, ce qui compte, c'est qu'on ne découvre aucune preuve contre elle...

— Vous comprenez, mon petit Torrence?

Un petit Torrence d'un mètre quatre-vingt-cinq, qui regarde son maigre patron avec des yeux ronds.

— Qu'est-ce que je comprends?

— Combien existe-t-il de bureaux de poste à Paris?

— Une centaine, je pense...

— Quelle heure est-il?

— Quatre heures et demie du matin...

— Cela vous ennuierait-il d'éveiller le chef de la Police judiciaire?... Il ne peut rien refuser à l'ancien collaborateur du commissaire Maigret... Demandez-lui, pour une heure, demain matin, autant d'hommes qu'il peut vous en fournir... Vous ne vous imaginez pas à quel point c'est urgent... Les bureaux de poste ouvrent à huit heures, n'est-ce pas?... Il faudrait que, dans chacun d'eux... Vous avez compris?... Qu'on tire le nombre voulu de photographies... Rien que la tête... Sans les vêtements... Non plus de café, merci! Je vais essayer de dormir, en attendant…

Paris commence à vivre. Le brouillard s'est liquéfié, transformé en une pluie fine et glacée. Les rues sont comme laquées. Des hommes encore endormis et maussades se présentent au même moment dans la plupart des bureaux de poste, où les employés viennent d'arriver.

— Police judiciaire... Pourriez-vous me dire, si ces derniers temps, une personne ressemblant à cette photographie...

Emile ronfle. On ne pourrait jamais imaginer qu'un jeune homme aussi maigre puisse faire autant de bruit en dormant. Il est un peu moins de neuf heures quand Torrence le secoue.

— Patron!... Patron!...

— Où? Questionne Emile en reprenant aussitôt ses esprits.

— Dunkerque... Hôtel Franco-Belge...

— Au téléphone! Vite...

— L'hôtel?

— L'hôtel et la police de Dunkerque... En vitesse!...

Ils sont encore tous les deux en smoking. Les plastrons sont moins éblouissants, les barbes ont poussé. Torrence, en outre, a secoué partout les cendres de sa pipe. Cela sent le lendemain d'une nuit de veille, avec des tasses sales, des restes de croissants sur les bureaux.