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— Tout ce que je vous demande, c'est d'exiger de cette jeune fille ses pièces d'identité...

— Je regrette... Tant qu'elle ne s'est pas mise dans son tort, tant qu'elle n'enfreint aucun règlement et ne provoque aucun scandale, je n'ai pas le droit de l'interpeller... Quant à ces histoires de nudités qu'on aperçoit de l'extérieur, tous les peintres sont en butte aux mêmes plaintes de la part de voisins pudibonds... Est-ce que les statues, dans les squares, sont habillées?... Non, mon vieux!... Je ne sais pas qui vous a lancé sur cette piste ridicule, mais je puis vous affirmer qu'elle ne vous mènera nulle part... Que ce Dassonville soit assez faisandé, soit!... Qu'il joue habilement des vices de ses contemporains et qu'il exerce une certaine attirance sur les jeunes filles vicieuses, soit encore!... Pour le reste, si j'ai un bon conseil à vous donner, laissez tomber...

Et, ces deux mots-là, à la PJ, ont un sens précis. Cela veut dire, en quelque sorte: « Il y a des choses que je ne puis vous dire, mais je vous assure qu'il ne serait pas prudent de vous entêter... »

— Tant pis! Soupira Emile, quand il fut mis au courant. Si seulement cette damnée pluie voulait cesser...

Par quel bout prendre l'enquête? Barbet était bien à Saint-Cloud, à surveiller la péniche. Il y avait même un taxi en permanence au carrefour le plus proche pour lui permettre de suivre Dassonville si celui-ci s'éloignait en voiture. Car on avait découvert, tout au moins, que le peintre possédait une petite auto, presque aussi ancienne que le tacot de l'Agence O, qu'il garait dans une maison voisine. On s'était servi de cette voiture récemment. Elle était entièrement maculée de boue, et Barbet, qui avait pu s'en approcher, affirmait que, dans les stries des pneus, il avait retrouvé de petits morceaux de brique pilée.

Mais où cette voiture était-elle allée ensuite? Pourquoi changer de prison le vieillard inconnu?

— S'ils l'ont tué, remarquait Torrence avec assez de justesse, pourquoi lui couper la barbe?

Et, maintenant que la police officielle refusait d'aider l'Agence O et semblait même lui ordonner la prudence, Emile, qui avait comme un poids sur les épaules, soupirait:

— Ecoutez, patron... J'avoue que je ne sais à quel saint me vouer, ni par quel bout prendre l'enquête... Cela vous ennuie fort que nous engagions des frais probablement inutiles?... Je voudrais en avoir le cœur net... Si cela ne sert à rien, ma foi...

Torrence avait accepté. Tous deux s'étaient rendus chez un entrepreneur spécialisé de Maisons-Alfort.

— Inutile de demander une autorisation qu'on nous refuserait, avait décidé Emile. D'ailleurs, je doute qu'on vienne nous déranger...

A trois heures de l'après-midi, le lendemain, une puissante motopompe, qui servait d'habitude à des fins plus crûment utilitaires, était amenée non loin de la maison de Lagny. Des ouvriers bottés jusqu'à la ceinture descendaient à la cave, et une heure plus tard celle-ci était vidée de son eau.

Ainsi qu'Emile l'avait prévu, cela n'attira pas un curieux. Il est vrai qu'il pleuvait toujours à verse.

— Et maintenant? Questionnaient les ouvriers.

On avait apporté des pelles et des pioches et, pendant une heure encore, on fouilla le sol de la cave. Emile était nerveux.

— Je me demande ce que vous espérez découvrir, lui avait dit Torrence. Vous avez affirmé vous-même qu'on n'avait pu enterrer le vieux dans cette cave puisque, depuis qu'il nous a écrit, l'inondation en a rendu l'accès impossible...

— Ce n'est pas à lui que je pense... C'est trop vague pour que je vous en parle, patron... Voyez-vous, je pars du principe que les hommes n'inventent rien, que les mêmes causes produisent les mêmes effets, que les mêmes hommes commettent à peu près les mêmes crimes... Je ne sais pas pourquoi, à bord de la péniche, j'ai pensé à une affaire vieille de cinquante ans...

Un des ouvriers venait de pousser une exclamation. Cinq minutes plus tard, on exhumait avec précaution du sol de la cave un cadavre dans un état de décomposition tel qu'il était méconnaissable.

Chose étrange, cette découverte rendit à Emile tout son sang-froid et son allant habituel.

— Donc, il tue! conclut-il.

Et on aurait pu croire qu'il en était satisfait.

— Remarquez que la police ne peut à peu près rien contre lui. Il prétendra que cette maison n'a jamais été régulièrement habitée par lui, qu'elle est isolée et que n'importe qui pourrait y pénétrer... Comme il sera à peuprès impossible d'identifier le cadavre... Je vous laisse vous occuper de ça, patron...

— J'avertis le Parquet?

— C'est indispensable, évidemment... Mais ne vous pressez pas trop... Arrangez-vous pour que nous ayons quelques heures devant nous... Les communications, d'ici, ne sont pas faciles... Pas d'excès de zèle!... Ces messieurs ne se dérangeront sans doute pas cette nuit et se contenteront d'envoyer des policiers... Vous irez d'autant moins vite que je suis obligé d'emmener la bagnole...

Et Emile, au volant de la petite auto découverte que la pluie transformait toujours en baignoire, contourna Paris et arriva avant la nuit au pont de Saint-Cloud.

Il y avait de la lumière derrière les rideaux de la péniche. Non loin de là, Barbet, une goutte d'eau tremblant au bout de chaque poil de son visage, se morfondait sur un seuil où il n'était guère à l'abri.

— Il est à bord?

— Il n'a pas quitté le bateau... La petite Japonaise est partie...

— Et la jeune fille brune?

— Toujours à bord...

— Dites-moi, Barbet, cela vous ennuierait beaucoup si, par hasard, vous étiez obligé de faire quelques jours de prison?

— Mon Dieu, patron, cela me rappellerait des souvenirs désagréables, mais si c'est nécessaire...

Alors, Emile donna à voix basse des instructions au garçon de bureau de l'Agence 0 et, montant en voiture, regagna les locaux de la cité Bergère.

— Vous êtes trempé, remarqua Mlle Berthe. Vous feriez mieux d'aller vous changer...

Il préféra se faire sécher devant le feu, et une vapeur grisâtre ne tarda pas à monter de ses vêtements. Deux heures s'écoulèrent. L'heure du dîner approchait.

— Je vais vous chercher des sandwiches?

— Si cela ne vous ennuie pas...

Elle était à peine sortie qu'on entendait dans l'escalier des pas précipités. C'était Barbet, une manche de son pardessus déchirée.

— Ouf!... J'ai bien failli, patron... Voilà!...

De dessous son manteau, il tira un sac à main, qu'il lança sur la table.

— Vous aviez raison... Il n'y a pas de domestique à bord de leur sacré Cupidon... Il paraît qu'une femme de ménage vient chaque matin pour le gros ouvrage... Bref, un peu avant 'l'heure du dîner, la jeune femme est sortie et s'est dirigée vers la rue la plus commerçante de Saint-Cloud... Cela a été si vite fait que je n'ai pas eu le temps d'agir avant qu'elle pénètre dans une charcuterie, où elle a acheté des petits plats tout préparés... Elle a pris de l'argent dans son sac à main... Je l'ai suivie chez l'épicier... Je n'avais qu'une peur, c'est que le peintre vienne à sa rencontre...

» Bref, quand elle s'est dirigée vers l'endroit où le bateau est amarré, j'ai sorti mon rasoir... D'un coup sec, j'ai coupé la poignée de son sac à main... Nous étions dans l'obscurité du quai... Je me suis mis à détaler, mais la jeune fille criait et quelqu'un m'a saisi par la manche...

» Heureusement que j'avais laissé tomber le rasoir... J'ai pu frapper du poing, sans lâcher le sac, de l'autre main...

» Ils étaient six ou sept à courir après moi... Il y avait surtout un gamin qui devrait s'inscrire dans les cross pédestres, car c'est un véritable lièvre... Tant pis pour lui!... J'ai été obligé de lui envoyer un de ces directs...

» Bref, après une poursuite assez mouvementée, qui a mis Saint-Cloud sens dessus dessous, je suis parvenu à sauter dans un autobus en marche... J'en suis descendu en plein bois de Boulogne... Métro à la Porte Dauphine... Puis...