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Ils attendirent que la nuit tombe et que cessent les va-et-vient des bandits. Mari oscillait entre conscience et état second à cause de la chaleur rémanente, de la soif et de la fatigue. Elle vit sa meilleure amie Alli assise non loin de là, occupée à bricoler le fusil abîmé que Mari avait laissé sur le promontoire à côté des trois bandits morts. Elle n’avait pas changé au cours des deux années qui s’étaient écoulées depuis qu’elles s’étaient vues pour la dernière fois, à ceci près qu’elle portait désormais, comme Mari, la veste noire des mécaniciens.

Que fais-tu ici ? demanda silencieusement Mari.

Je répare ce fusil. Tu en as besoin, pas vrai ?

Ouais. S’il y a bien une personne qui peut réparer ce fusil, c’est toi. Tu as toujours aimé les armes, Alli.

Les armes sont moins dangereuses que les garçons, Mari. Que fabriques-tu avec l’un d’entre eux ?

Ce n’est pas un garçon. C’est un mage.

C’est un mage garçon, Mari. Pourquoi est-ce que tu traînes avec lui ?

Je n’en sais rien. Il doit forcément y avoir une raison. Pourquoi ne m’as-tu écrit que deux ou trois lettres après que j’ai quitté l’hôtel de la guilde à Caer Lyn ? Pourquoi n’as-tu jamais répondu aux miennes ?

Alli demeura muette et quand Mari s’ébroua pour recouvrer ses esprits, elle avait disparu.

La plupart des bandits levèrent le camp juste avant le crépuscule. Ils furent nombreux à s’éloigner vers l’est en suivant la piste empruntée par la caravane, mais certains partirent vers l’ouest, vers Ringhmon. Le défilé, déjà plongé dans l’ombre, s’obscurcit rapidement lorsque le soleil se coucha derrière l’horizon.

« Je vais y aller. » La voix du mage Alain était cassée par la sécheresse et n’avait rien à envier à celle qui tourmentait Mari, mais c’est d’un mouvement assuré qu’il rampa vers le rebord du promontoire, bascula par-dessus l’arête rocheuse et amorça la descente.

Mari se hissa sur les coudes pour observer sa progression. Elle avait eu raison de penser que le mage était physiquement résistant. Même après une journée d’efforts et de privation d’eau, Alain ne donnait aucune impression de faiblesse.

Il n’était pas non plus très difficile à repérer dans ses robes de mage, même dans les ténèbres grandissantes, mais, sitôt le pied posé au fond du défilé, il se volatilisa. Mari cligna des yeux en se demandant si la fatigue n’affectait pas sa vue, puis elle se laissa retomber au sol en proie au délire dû à la soif qui la tenaillait. Elle s’interrogea : avait-elle été sage de faire confiance à un mage ?

Peut-être la vendait-il à cet instant précis, indiquant aux bandits sa cachette en échange de sa vie et d’une réserve suffisante d’eau et de vivres pour rejoindre Ringhmon par ses propres moyens. Qui serait assez fou pour faire confiance à un mage ? Toi, Mari. Remarque, tu n’avais pas vraiment le choix. Et s’il est bien en train de me vendre, ces ordures ne m’auront pas facilement. Je suis incapable de fuir, mais je peux me battre.

La jeune femme s’adossa contre les rochers afin de voir la pente en contrebas, puis elle sortit son pistolet. Elle resta tapie ainsi, s’arrachant de temps en temps à sa léthargie pour guetter d’éventuelles tentatives d’escalade, mais tout était calme.

L’arme qu’elle serrait dans sa main était un instrument létal, pourtant complètement inutile face au nombre et à la puissance de feu des bandits. Si elle s’en servait ne fût-ce qu’une seule fois, tous les malfrats convergeraient sur sa position.

Les paroles que le professeur S’san avait prononcées au moment de lui confier l’objet demeuraient gravées dans la mémoire de Mari. « L’arme que je te donne n’est qu’un outil, un outil à utiliser dans des circonstances exceptionnelles. Tu ne dois pas y recourir en premier ressort, ni en deuxième, ni même en troisième. Tes meilleurs atouts seront toujours ta tête et ta capacité à agir en prenant les bonnes décisions. Si tu ne les emploies pas à bon escient, même ton arme ne pourra pas te sauver. N’oublie jamais ça, Mari. »

Super conseil, professeur. Comment suis-je censée l’appliquer aux circonstances présentes ?

Mari observa son arme sous tous les angles. Si elle avait tiré quand le mage était apparu de nulle part, elle l’aurait probablement tué. Puis, au cours de sa fuite, les bandits l’auraient rattrapée ou abattue. Avoir réfléchi au lieu de faire feu les avait sauvés tous les deux, au moins jusqu’à cet instant. Le pistolet était un outil des plus étranges : normalement, les outils étaient faits pour être utilisés. Cependant, celui-ci semblait plus utile si l’on ne s’en servait pas, à moins que de ne plus avoir d’autre option. J’imagine que c’est cela le sens des paroles du professeur S’san. Mais si elle me l’a donné, c’est qu’elle devait craindre que je sois confrontée à ce type de situation. Je souhaite de tout cœur ne jamais en arriver là.

Elle n’avait aucune idée du temps qu’elle avait passé seule lorsqu’une voix dépourvue d’émotion souffla : « Maîtresse mécanicienne Mari. »

Mari cligna des yeux. Le mage venait d’apparaître près du rebord de la corniche. Elle ne l’avait pas vu approcher, ce qui était plutôt curieux compte tenu de la vue dégagée qu’elle avait sur la pente. Pourtant, il était bien là, sans escorte ennemie. Mari soupira de soulagement et rangea son arme. Même avec l’esprit embrumé, elle remarqua que le mage avait moins de mal à se rappeler son rang de maîtresse mécanicienne que les mécaniciens émérites.

Le mage Alain se laissa glisser sur les rochers, les bras chargés de paquetages.

« Les plus grands tonneaux d’eau ont été brisés, mais plusieurs voitures n’ont pas encore été mises à sac. J’ai ainsi pu y récupérer quelques vivres. » Il ouvrit un des ballots, en sortit des bouteilles en argile et en déboucha une. « Tiens, de l’eau. »

Mari but, les mains tremblantes. Elle dut faire preuve d’une grande maîtrise d’elle-même pour ne pas goulûment ingurgiter d’un trait le contenu du flacon. Elle le reposa en haletant, envahie d’une intense sensation d’apaisement.

« Comment puis-je te revaloir ça ?

— Revaloir ?

— Tu sais… », commença Mari, mais le regard que lui retourna le mage semblait dire qu’il n’en savait absolument rien. « Je suis ton obligée, reprit-elle, pour l’eau. Alors, je te demande comment je peux te payer de retour.

— Payer… dit Alain en hochant la tête. C’est aux doyens qu’il incombe de gérer ce genre de considérations.

— Je ne parlais pas de te donner de l’argent. »

Il posa sur elle un regard impossible à déchiffrer.

« Je n’ai que faire de l’argent. »

Mari sentit la peur la gagner ; son expression se durcit et elle fixa Alain.

« J’espère que tu ne t’imagines pas obtenir autre chose de moi. »

Était-ce la surprise qu’elle lisait à nouveau dans les yeux du mage ?

« Je ne veux rien de toi. Pourquoi te prépares-tu à te battre ? »

Mari se rendit compte qu’elle brandissait son pistolet. Elle rangea son arme et se força à se détendre.

« Je… Désolée. » Ces nouvelles paroles lui valurent un autre regard vide. « Tu ne sais pas ce que “désolé” signifie ? »

L’ombre d’une ride stria le front du mage comme s’il luttait avec sa mémoire.

« C’est interdit, finit-il par déclarer.

— Interdit ? répéta-t-elle, incrédule. Pourquoi ?

— Ce sont les enseignements de ma guilde.