Выбрать главу

— Des secrets de guilde ? » À peine quelques heures plus tôt, elle aurait ri en pensant que le seul secret que devait préserver la guilde des mages était que tous ses membres n’étaient que des imposteurs. Cependant, elle avait été témoin de phénomènes inexplicables depuis leur rencontre. « Est-ce que ça a quelque chose à voir avec la chaleur que tu as créée ? »

Il la dévisageait sans piper mot, sans laisser transparaître aucune émotion.

« Des secrets de guilde, se répondit Mari à elle-même. Très bien. Je comprends que tu ne puisses pas en parler. Quelles que soient tes raisons. Je ne voulais ni t’insulter ni te blesser. “Comment puis-je te revaloir ça ?”, c’est juste une expression, une autre manière de dire merci.

— Oh », lâcha le mage en vacillant avant de prendre appui sur un rocher. L’expédition semblait l’avoir épuisé, comme si sa mystérieuse manœuvre de dissimulation lui avait coûté un effort supplémentaire. « Je ne suis pas coutumier des différentes manières de… de dire merci.

— Je l’ai bien remarqué. Comment est-ce, en bas ?

— Il reste encore des bandits. J’ai réussi à m’approcher suffisamment pour capter des bribes de conversation.

— Je ne suis pas sûre que j’aurais eu le courage de faire ça », commenta Mari dans un élan de franchise. Elle vit l’étonnement déformer rapidement les traits du mage, puis une trace d’embarras. Quand le mage est fatigué, son masque se fissure. Tant mieux. Je préfère la compagnie de quelqu’un qui se comporte comme un être humain, ne serait-ce qu’a minima. Dommage qu’être fatigués et s’en sortir vivants s’excluent mutuellement.

Le mage Alain désigna du doigt la route par laquelle ils étaient arrivés le matin même.

« Ils sont persuadés que tu as volé le cheval d’un garde et que tu t’es enfuie en rebroussant chemin. La majorité d’entre eux se sont lancés à ta poursuite sur leurs montures, certains qu’ils t’auront rattrapée avant le lever du soleil. »

Un frisson parcourut Mari et elle inspira profondément.

« Ils en ont donc après moi. As-tu entendu pourquoi ?

— Non.

— Ne nous ont-ils pas pourchassés en escaladant les parois du défilé ? N’ont-ils pas trouvé l’endroit où tu as tué les trois bandits ?

— Si, ils l’ont bien trouvé, acquiesça le mage. Néanmoins, vu qu’il s’agissait clairement de magie et qu’aucune arme n’a été emportée, leurs chefs pensent que c’est le chemin que j’ai, moi, emprunté pour fuir. D’après eux, je vais bientôt mourir seul dans la Désolation et ils partent du principe que, me voyant m’engager dans cette voie, aucun mécanicien ne m’aurait emboîté le pas de son plein gré. »

Mari sourit en songeant au destin qui avait mis ses poursuivants sur une fausse piste.

« Ce n’était certes pas complètement de mon plein gré. Nous étions sous pression à ce moment-là.

— Je ne comprends pas pourquoi tu utilises le mot “nous” quand tu parles de toi et de moi, dit le mage Alain. Nous sommes ensemble, il est vrai, mais nous pouvons difficilement nous considérer comme compagnons. »

Mari inclina la tête pour la laisser reposer, le front appuyé contre une main. Elle ressentait pleinement la fatigue, maintenant que sa soif était étanchée.

« Je ne recherche que l’efficacité. “Nous” est bien plus court que “toi et moi”.

— Je vois.

— Je n’ai pas dit ça sérieusement. J’ai fait preuve de sarcasme.

— Comment puis-je savoir quand tu es sérieuse ? »

Mari se redressa pour regarder le mage. « Je m’exprime par des phrases brèves, je parle plus fort, et mon visage s’assombrit.

— Je saurai m’en souvenir », répondit le mage Alain impassible, mais parfaitement sincère.

L’épuisement, la tension, le soulagement d’avoir de l’eau, le retour du mage sain et sauf, et l’absurdité totale de leur situation eurent raison d’elle. Mari se mit à rire, la main collée sur la bouche pour étouffer le bruit, mais incapable de s’arrêter. Le mage l’observait, patientant en silence.

« Désolée, fit Mari. Je… Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Penses-tu que la route vers Ringhmon sera sûre avec tous les bandits partis à ma recherche dans l’autre direction ? »

Après quelques instants de réflexion, il secoua la tête.

« Je doute qu’elle le soit. D’après ce que nous savons », il fit une pause et la gratifia d’un long regard imperturbable avant de continuer, « ils sont assez nombreux pour écumer la piste dans les deux sens.

— Que faire alors ? Couper droit devant ? » Elle agita la main vers le terrain accidenté qui s’étendait face à eux. « Nous mettrions des semaines à nous frayer un chemin et, à moins que je ne me trompe, nos réserves d’eau ne dureront que quelques jours. » Mari tambourina sur la bouteille à côté d’elle. « Tu as dit avoir vu la carte du maître caravanier. Quelle distance devrons-nous parcourir avant de trouver quelqu’un susceptible de nous aider ? »

Le mage fronça imperceptiblement les sourcils, pas assez pour révéler ses émotions, mais suffisamment pour montrer sa concentration.

« Il y a des puits le long de la route qu’empruntent les caravanes, mais je suis incapable de me rappeler leurs emplacements exacts. Je dirais que le premier se situe à mi-chemin entre ici et Ringhmon.

— Nous devions atteindre Ringhmon dans six jours. Donc cela fait au moins trois ou quatre jours de marche avant d’arriver au premier puits, c’est bien ça ?

— Au bas mot, oui. En vérité, je dirais même cinq jours si nous suivons la route.

— Et nous devons l’éviter. Des idées ? »

Le mage Alain secoua de nouveau la tête.

« Pas pour le moment. Pourquoi me demandes-tu mon opinion ? Tu es une mécanicienne. Je sais que les mécaniciens n’ont aucun respect pour les mages.

— Tu sembles savoir des choses sur tout ça, la survie, le combat. Tu as dit qu’on te les avait enseignées. Aucun de ces sujets n’a fait partie de ma formation. De plus… j’aime savoir ce que pensent les autres. Même s’ils s’en remettent à moi pour prendre les décisions, je veux connaître leur avis. Je déteste qu’on fasse des choix qui me concernent sans me consulter au préalable, alors je ne vais certainement pas infliger ça aux autres.

— Pourquoi pas ? »

Comment cette question pouvait-elle être sincère ?

« Parce que je veux les traiter correctement.

— Est-ce que tu parles de la manière de se comporter envers les ombres ? Elles ne sont rien. » Elle aussi n’était qu’une ombre, selon les enseignements de la guilde des mages. Elle non plus n’était rien. Pourtant, il se sentait réticent à le lui dire une fois de plus. « Que signifie “correctement” ? »

Elle inspira profondément.

« Écoute… je n’aime pas qu’on me maltraite et je ne prends aucun plaisir à maltraiter autrui. Quand j’étais apprentie, à plusieurs reprises, j’ai essayé de me montrer dure avec ceux qui étaient plus jeunes que moi, car c’était ce qu’on attendait de tous ceux qui montaient en grade. Je n’ai pas aimé le faire et ne l’ai plus refait depuis. C’est ce que j’entends par “traiter les autres correctement”. »

Le mage Alain réfléchit quelques minutes à ce qu’elle venait de dire.

« Pourquoi en faire pareil cas ?

— Parce que c’est important. Pour moi. » Mari se demanda pourquoi elle ne ressentait pas de colère vis-à-vis du mage et réalisa que c’était parce qu’il semblait éprouver un étonnement authentique.

« Tous les mécaniciens pensent-ils de cette façon ? »

Mari baissa les yeux et se mordit la lèvre. Elle ne voulait pas admettre la vérité, pas devant un mage, une vérité que tout le monde connaissait sur Dematr.