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— J’en ai besoin. »

Quelques instants plus tard, Mari ferma la porte derrière elle, gagna l’étroite fenêtre au fond de la pièce et fouilla dans son sac pour en sortir son parle-au-loin. Elle contempla le boîtier imposant et lourd en repensant au nombre de fois où elle avait rêvé de le jeter dans le désert afin d’alléger son paquetage. Mais les mécaniciens n’abandonnaient jamais leur équipement. C’était exclu. Surtout pour un instrument aussi précieux qu’un parle-au-loin.

Elle fit basculer un interrupteur pour allumer l’appareil, en étira l’antenne, et le tint à côté de la fenêtre.

« Hôtel de la guilde des mécaniciens de Ringhmon, ici la maîtresse mécanicienne Mari de Caer Lyn. Je suis arrivée en ville. »

Elle relâcha un bouton et attendit.

En vain. Elle grommela rageusement et réitéra son appel.

À la troisième tentative, on lui répondit enfin, le signal était faible et grésillant.

« Ici le mécanicien émérite Stimon, superviseur de l’hôtel de la guilde de Ringhmon. Vous êtes en retard. »

Mari regarda l’appareil, bouche bée. Depuis quand les mécaniciens émérites surveillaient-ils les communications entrantes des hôtels de la guilde ? En outre, dans ce cas précis, il ne s’agissait pas d’un simple mécanicien émérite, mais de celui en charge de l’hôtel. Réceptionner les appels des parle-au-loin était un boulot d’apprenti.

« La caravane qui me transportait vers Ringhmon ayant été attaquée et détruite par des bandits, j’ai eu toutes les peines du monde à arriver ici en vie. »

La réponse de Stimon se fit attendre plus qu’elle ne l’aurait dû. Elle finit par se manifester, dépourvue de toute sympathie.

« Des bandits ? En nombre suffisant pour venir à bout des gardes de la caravane ? J’espère que vous êtes prête à fournir un rapport détaillé sur la question. »

Un rapport détaillé ? C’était tout ce que la nouvelle lui inspirait ?

« Oui. Je peux fournir un rapport détaillé, lâcha Mari en essayant de maîtriser sa voix. D’autant plus que je viens de voir une partie de la bande dans l’enceinte même de la ville. J’ai besoin d’une escorte pour rejoindre l’hôtel de la guilde. D’une escorte armée.

— Une escorte armée ? Vous êtes en sécurité à Ringhmon.

— Je ne le pense pas. Les bandits savaient que j’étais dans la caravane et ils en avaient après moi. Ils possédaient plus d’une vingtaine de fusils. Vous m’entendez ? Plus d’une vingtaine de fusils. »

Une fois de plus, la réponse de Stimon se fit trop attendre.

« Vous en êtes certaine ?

— Il n’y a pas d’autre moyen d’expliquer le nombre de coups de feu tirés. J’ai moi-même vu une de ces armes dans les mains d’un bandit mort, mais je n’ai pas été en mesure de la récupérer. Et l’un des malfrats que j’ai croisés à l’instant portait un fusil.

— Comment ces bandits ont-ils appris votre présence au sein du convoi, puisqu’elle était censée être secrète ? » Le ton de Stimon se teintait d’accents accusateurs.

Mari fusilla le parle-au-loin du regard comme s’il s’était agi de Stimon lui-même.

« Je n’en ai aucune idée. C’est l’hôtel de la guilde à Ringhmon qui a géré toutes les dispositions concernant mon contrat. Pour l’heure, ma propre sécurité m’inquiète davantage.

— Mécanicienne Mari, il n’y a aucune raison de penser que vous n’êtes pas en sécurité à Ringhmon. Vous n’avez nul besoin d’escorte. »

Mari ne répondit pas et compta jusqu’à cinq avant de parler pour que sa voix ne laissât en rien transparaître sa contrariété.

« C’est maîtresse mécanicienne Mari, le corrigea-t-elle, et je vous répète que je viens d’apercevoir certains des bandits en ville.

— Maîtresse mécanicienne Mari, reprit Stimon en donnant au titre une inflexion subtilement moqueuse. Je suis sûr que vous faites erreur.

— Mécanicien émérite Stimon, peut-être n’ai-je pas été assez claire : tous les caravaniers ont été tués, à l’exception de moi et d’une autre personne ! »

Elle s’efforça de garder son emportement sous contrôle pour ne pas sortir de ses gonds ni fournir à cet homme des raisons de remettre en cause son professionnalisme.

« Il s’en est fallu de peu pour que nous y restions. »

Après une longue pause, la voix de Stimon grésilla dans l’appareil, empreinte de si peu d’émotion qu’elle lui rappela celle du mage.

« Un mécanicien ne devrait pas se laisser aussi aisément effrayer par la vue de quelques communs. Il semble que vous manquiez d’expérience dans la gestion de situations pourtant tout à fait classiques. »

L’expérience. Elle avait déjà compris que, dans la bouche des mécaniciens émérites, ce terme signifiait l’âge.

« Très bien, répliqua Mari d’un ton glacial. Je vais effectuer à pied le reste du trajet jusqu’à l’hôtel de la guilde des mécaniciens et je ferai également un rapport circonstancié à ce sujet au quartier général. Je ne doute pas que l’on saura apprécier à sa juste valeur la menace exercée par des communs envers un mécanicien, ainsi que le manque d’intérêt de certains pour la sécurité des membres de la guilde. »

Ses paroles ne parurent pas intimider Stimon.

« Parfait. Vous étiez attendue voilà deux jours. Venez me faire votre rapport sitôt que vous arriverez à l’hôtel. »

Mari préféra ne pas chercher à répondre à cette dernière remarque. Elle éteignit son parle-au-loin et ne décoléra pas pendant quelques minutes. Je mérite mon statut de maîtresse mécanicien, cela veut dire que je mérite aussi le respect des mécaniciens émérites. Ce n’est pas parce qu’ils dirigent la guilde et tiennent tous les postes administratifs qu’ils peuvent se permettre de traiter de la sorte des mécaniciens de terrain.

Il veut quoi, celui-là ? Que je me fasse tuer ?

Cette pensée était si outrancière qu’elle eut l’avantage de lui refroidir les sangs. La bonne conduite à adopter aurait été de trouver un endroit où se cacher jusqu’à la tombée de la nuit pour ensuite se glisser subrepticement dans l’hôtel de la guilde. Mais il était hors de question qu’elle donne à Stimon matière à pérorer avec jubilation sur une petite peureuse qui se prenait pour une maîtresse mécanicienne. Après avoir vérifié que son arme était bien en place, Mari fourra le parle-au-loin dans son paquetage, qu’elle hissa sur ses épaules, et quitta l’arrière-boutique.

Le propriétaire de l’échoppe se tenait à proximité et la regardait, l’air inquiet.

« Merci de m’avoir laissée utiliser la pièce », dit Mari en veillant à ce que sa fureur contre Stimon ne transparût pas dans son adresse au commerçant.

Ce dernier ne répondit pas et se contenta de s’incliner en guise d’au revoir quand Mari sortit de son magasin.

Une fois à l’extérieur, où le danger pouvait surgir de toute part, elle sentit son humeur s’assombrir. La précipitation inhabituelle avec laquelle les gens bondissaient hors de son chemin alors qu’elle descendait la rue lui montrait à quel point son expression était menaçante. Elle chercha des signes de bandits à cheval ou à pied, en souhaitant presque tomber nez à nez avec eux pour avoir une belle et bruyante fusillade en plein cœur de Ringhmon. Cela en remontrerait à Stimon. Mais elle ne vit aucune trace des cavaliers couverts de poussière.

L’hôtel de la guilde des mécaniciens, sis non loin des limites de la ville, était aussi vieux que Ringhmon elle-même, comme dans bon nombre de localités. L’aqueduc qui desservait la cité, en provenance des montagnes plus au nord, transitait par l’hôtel avant de poursuivre vers le centre. Les communs soupçonnaient une conspiration de la guilde pour contrôler l’approvisionnement en eau de la ville. Mari et les autres mécaniciens savaient que le flux traversait des générateurs hydroélectriques qui alimentaient non seulement l’hôtel, mais aussi les manufactures et tous les bâtiments dont les propriétaires étaient prêts à payer pour le câblage et la fourniture d’électricité.