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Bien entendu, de cette façon, les mécaniciens avaient la mainmise sur l’approvisionnement de Ringhmon, tant en eau qu’en électricité.

Le soleil se couchait lorsque Mari atteignit l’esplanade devant l’hôtel des mécaniciens, aux allures de forteresse. La longue marche dans la chaleur n’avait en rien adouci son humeur. Ses talons résonnèrent sur les pavés tandis qu’elle traversait la place pour gravir les marches de l’escalier monumental et rejoindre les lourdes portes.

Un apprenti en faction à l’entrée étudiait un texte, comme c’était la coutume quand il n’y avait pas de visiteurs à accueillir. Aussi ne la vit-il que lorsqu’elle fut presque sur lui. Il la dévisagea et ses lèvres s’étirèrent en un large sourire.

« Salut, princesse. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? »

Mari s’arrêta aussitôt, puis elle réalisa que, pour cet apprenti, quelqu’un de son âge ne pouvait être qu’un autre apprenti. Cela calma son indignation passagère.

Une seconde plus tard, l’horreur se dessina sur les traits de son interlocuteur qui, baissant les yeux, venait de constater qu’elle portait la veste noire des mécaniciens.

« D…dame mécanicienne. Pardonnez-moi. Je… je ne…

— De toute évidence, oui », acquiesça Mari. L’erreur naturelle de l’apprenti et sa terreur apaisèrent sa colère. « Je suis la maîtresse mécanicienne Mari de…

— M…maîtresse mécanicienne ? » Le garçon la fixait d’un air désemparé. « Ma dame, s’il vous plaît, je ne savais pas. »

L’angoisse dans sa voix était si intense que Mari le regarda droit dans les yeux.

« Oui. Tu ne savais pas. Maintenant, tu sais. Détends-toi. »

L’apprenti, toujours livide, s’inclina devant elle.

« J’implore votre pardon, dame maîtresse mécanicienne. »

La jeune femme l’examina avec plus d’attention en sentant son irritation faire place à l’inquiétude. Repensant au comportement du mécanicien émérite Stimon à son encontre, elle se demanda ce que subissaient les apprentis dans cet hôtel de la guilde. Tous les apprentis enduraient brimades et harcèlement de la part des mécaniciens, mais Mari avait entendu dire que certains hôtels étaient pires que d’autres.

« Apprenti, dit-elle fermement, je te pardonne. C’est compris ? Nul besoin d’autres excuses. »

Le garçon releva la tête, la regarda à nouveau dans les yeux et opina. « Oui, ma dame. Merci. Je ferai un rapport complet à propos de cet incident à mon chef d’équipe afin qu’il puisse…

— Tu ne feras rien de tel ! J’ai accepté tes excuses, l’affaire est close. C’est oublié.

— Mais, ma dame…

— Ceci est un ordre d’une maîtresse mécanicienne, compris ?

— Oui, ma dame. Je vous en remercie. » Le soulagement le laissait presque sans voix. « Si j’avais su que vous arriviez…

— Ne t’a-t-on pas informé de ma venue ? » Une rebuffade de plus signée Stimon, qui allait jusqu’à lui refuser la plus élémentaire des courtoisies.

« Non, madame », dit l’apprenti en se raidissant alors que les traits de Mari se durcissaient de nouveau.

Elle s’obligea à se détendre. « Ce n’est pas non plus de ta faute. J’ai besoin d’une chambre.

— Bien entendu, maîtresse mécanicienne ! »

L’apprenti faillit s’étaler de tout son long en appelant un collègue à la rescousse pour accompagner Mari jusqu’à sa chambre et y porter ses bagages.

Une fois la porte refermée derrière elle, la mécanicienne soupira longuement et se tint immobile pour laisser redescendre sa colère, avant de fusiller le système de climatisation du regard. Un mince filet d’air s’en échappait péniblement. Mari asséna à l’appareil un coup sec qui le fit crachoter. Tu me cherches, espèce de tas de ferraille bon pour la casse ? J’ai réparé, les yeux fermés, des trucs bien plus compliqués que toi ! Elle plongea la main dans son sac, en sortit sa trousse à outils, fit sauter le panneau frontal de l’unité et en examina l’intérieur. Comme elle s’y attendait, la vis censée maintenir un des fils d’alimentation du moteur était desserrée. La jeune femme saisit un tournevis, rectifia la connexion défaillante – ce qui fit repartir le ventilateur à plein régime –, et remboîta la façade en la martelant avec le manche de son outil.

Cette réparation simple lui apporta une réelle satisfaction. Elle pensa à la tâche qui l’attendait le lendemain et sentit son humeur embellir. Je fais partie de la poignée de mécaniciens capables de s’acquitter de cette mission. Ils me traitent comme si j’étais une gamine ? Eh bien, attendons qu’ils me voient donc à l’œuvre. Après, ils me donneront tous du Dame, sans rechigner.

Pendant quelques secondes, elle songea à se laver. À se faire toute petite, à agir selon ce qui était attendu d’elle, dans le strict respect des convenances. Elle avait passé des années à prendre en considération ces choses-là, des années à filer relativement doux en s’efforçant de ne pas faire de vagues, sans grand succès, il est vrai. Elle avait toujours posé trop de questions, elle s’était toujours rebiffée contre les règles qu’elle jugeait absurdes, et les autres apprentis – comme, plus tard, les autres mécaniciens – avaient pris l’habitude de se tourner vers elle en toute circonstance. Cela lui avait valu son rang de maîtresse mécanicienne, une rencontre manquée avec la mort quelques jours plus tôt, et des comportements détestables de la part des mécaniciens émérites.

Mari ajusta sa veste poussiéreuse, passa la main dans ses cheveux sales, serra les dents et partit à la recherche du mécanicien émérite Stimon.

L’heure du dîner ayant sonné, elle se dirigea vers le réfectoire. Elle y trouva Stimon, présidant la table des mécaniciens émérites, comme le prévoyait son statut de superviseur. Mari traversa la salle d’un pas sec, parfaitement consciente que ses bottes laissaient des empreintes crasseuses sur le sol et que l’ensemble des mécaniciens présents avaient les yeux rivés sur elle. Elle s’arrêta devant la table du superviseur.

« Maîtresse mécanicienne Mari au rapport. »

Tous les mécaniciens émérites la toisèrent d’un œil désapprobateur. Stimon se leva. Il avait le crâne rasé, un ventre imposant et un froncement de sourcils réellement impressionnant. Les conversations dans le réfectoire s’étant instantanément interrompues, la voix de Stimon porta jusque dans les moindres recoins.

« Oser vous présenter dans une tenue pareille requiert sans doute quelques explications.

— Je vous ai informé plus tôt dans la soirée que ma caravane a été attaquée et entièrement détruite. J’ai été contrainte de rejoindre cette ville par mes propres moyens en traversant le désert. J’ai utilisé le peu d’eau dont je disposais pour ne pas mourir de soif, aussi n’ai-je malheureusement pas été en mesure de faire ma toilette tous les soirs. Néanmoins, vous m’avez enjoint de me présenter au rapport dès mon arrivée, je me conforme donc à vos instructions. »

Mari releva brusquement la tête pour chasser une mèche de cheveux tombée devant ses yeux, provoquant la formation d’un fin nuage de poussière qui flotta vers l’aréopage de mécaniciens émérites.

« Mécanicienne Mari…

— Maîtresse mécanicienne Mari. »

Stimon se rassit et ses doigts tambourinèrent sur la table.

« Il me semble que les efforts fournis pendant votre voyage ont eu raison de vous. »