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À part Grand-Chutes.

Je ne suis pas une traîtresse. Je suis parfaitement loyale à la guilde. On ne m’y enverrait pas.

On y a envoyé Rindal.

Le boulot, Mari. Concentre-toi sur le boulot. Il doit être sacrément difficile, sinon on ne t’aurait pas fait faire tant de chemin pour assurer cette réparation.

« Prends garde à ce qui pense, mais ne vit pas. » Qu’est-ce qui inquiétait le mage Alain à propos de mon contrat de demain ?

Chapitre 7

Le lendemain matin, à peine Alain eut-il fini son petit-déjeuner, nourrissant mais sans saveur, qu’un acolyte vint l’informer que sa présence était requise dans une autre partie de l’hôtel. Alain suivit le messager, peu pressé de faire un rapport complet sur le sort de la caravane.

Il fut conduit dans une pièce sombre. L’acolyte recula, plié en deux, et referma les portes en laissant Alain seul face aux vagues silhouettes des mages assis devant lui. Il ne pouvait distinguer leurs traits, mais eux le voyaient parfaitement grâce à une lampe posée tout près de son visage. Alain n’avait jamais été soumis à la Question auparavant, mais il était évident que ses doyens attendaient de lui qu’il répondît de son échec.

Une voix impassible de femme jaillit de la pénombre.

« Nous avons été informés que tu as été en compagnie d’une mécanicienne pendant plusieurs jours.

— Une mécanicienne a échappé à la destruction de la caravane comme moi, confirma Alain, surpris que son interrogatoire commençât par ce point.

— Pourquoi ?

— Elle tentait de se protéger des bandits.

— Ne te moque pas de nous, jeune mage ! » La voix impassible réussit à se parer d’intonations tranchantes. « Pourquoi cette mécanicienne t’a-t-elle accompagné ? Pourquoi a-t-elle cherché secours auprès de toi ?

— Elle… » m’a ordonné de la suivre ? Non. Je ne devrais pas préciser cela. « Nous étions les seuls rescapés. Elle a dit qu’elle pensait que nos chances de survie seraient plus élevées si nous restions ensemble.

— Tu lui as parlé. » Ces mots neutres portaient en eux tout le poids d’une condamnation.

« Oui. C’est une ombre. Que je lui aie parlé ou non importe peu, puisqu’elle n’est rien. » Qu’ils aillent donc condamner ça !

La pause qui s’ensuivit semblait indiquer qu’on cherchait des bases afin de réfuter son raisonnement, mais qu’on n’en trouvait pas.

« La mécanicienne n’a-t-elle donné aucune autre raison pour rester avec toi ? »

Inventer un mensonge aurait nécessité un temps d’hésitation que les doyens auraient aisément repéré. Aussi Alain répliqua-t-il du tac au tac, un ton imperturbable : « Elle a déclaré refuser de me voir mourir.

— Un mensonge éhonté, commenta une voix d’homme. Aucun mécanicien ne se serait préoccupé du sort d’un mage. N’as-tu pas vu que c’était un mensonge ? »

Moins il en dirait, mieux il se porterait. Alain ne voulait pas révéler à ces doyens à quel point la mécanicienne l’avait troublé.

« Non. Je n’ai vu nulle duplicité en elle quand elle a prononcé ces paroles.

— Trop jeune, grommela le doyen. Un mage digne de ce nom aurait perçu la tromperie. La mécanicienne escomptait sûrement quelque chose. Que t’a-t-elle demandé ? »

Alain, qui ne s’en souvenait plus, dut cette fois réfléchir avant de répondre.

« Elle a voulu savoir comment je parvenais à créer du feu. Elle ne comprenait pas le procédé. Je ne le lui ai pas dévoilé. »

La troisième silhouette se fit entendre ; sa voix était celle d’un vieil homme.

« Bien sûr, qu’elle ne comprenait pas ! J’espère que tu as eu assez de jugeote pour ne pas perdre ton temps à inculquer la sagesse à une mécanicienne. Que lui as-tu dit d’autre ? Que voulait-elle ? »

Le ton accusateur du vieux mage laissait poindre son émotion.

« Elle voulait survivre », répéta Alain, incapable de saisir ce qu’ils souhaitaient l’entendre dire. Elle avait refusé de boire ce qui leur restait d’eau, refusé de l’abandonner. Lui-même ne comprenait toujours pas son geste. Comment aurait-il pu l’expliquer à ces doyens ?

La femme reprit la parole, des notes soupçonneuses teintant sa voix égale. « Cette mécanicienne était-elle jeune ?

— Oui, doyenne.

— Tu es jeune, toi aussi.

— Oui, doyenne.

— Qu’a-t-elle essayé de te faire ? A-t-elle tenté de te piéger ?

— Me piéger ? demanda Alain, incertain de ce qu’elle voulait dire.

— A-t-elle cherché à te séduire, imbécile, alors que vous étiez seuls dans le désert ? »

Alain ne se rappelait pas quand il avait ri pour la dernière fois. Cela remontait à très longtemps. Néanmoins, l’absurdité de la question faillit lui arracher une exclamation qui aurait pu ressembler à un éclat de rire et provoquer une ire sans précédent chez les doyens. Il lui fallut mobiliser toute sa volonté pour étouffer ce son avant qu’il ne franchît ses lèvres.

« Non, doyenne. La mécanicienne n’a jamais rien fait de tel.

— Elle ne t’a jamais touché ?

— Une fois. Elle m’a touché une seule fois. » Autant qu’il s’en souvînt, la mécanicienne n’avait effectivement pris cette initiative qu’une fois, et il eût été le roi des imbéciles de leur dire spontanément qu’il lui avait pour sa part tendu la main à deux reprises.

« Une fois ? » La doyenne se jeta sur cet aveu.

« Le grand nombre de sorts lancés pour tuer nos assaillants m’avait affaibli. Elle m’a saisi par le bras pour m’aider à me relever. »

Le silence s’éternisa. Puis un des doyens lâcha un seul mot : « Aider ? »

Alain pria pour qu’aucune émotion ne transparût sur son visage.

« C’est ainsi qu’elle a qualifié son geste. »

Ce n’était pas un mensonge. Non. Il venait de relater exactement ce qui s’était passé. Allaient-ils pousser l’interrogatoire pour savoir s’il connaissait le sens de ce terme ?

S’ensuivit une autre longue pause, à l’issue de laquelle les doyens semblèrent avoir décidé de ne pas continuer dans cette voie. Sans doute craignaient-ils de réveiller chez Alain des souvenirs importuns.

« Elle t’a donc touché pour te mettre en appétit, puis elle t’a refusé ses charmes, reprit la doyenne. S’est-elle exhibée par la suite ? T’a-t-elle promis d’être plus généreuse ultérieurement ?

— Exhibée ? » Quel était le sens de ce mot ?

« A-t-elle fait étalage de ses charmes devant toi ? » insista-t-elle.

Quels faits et gestes de la mécanicienne auraient pu être qualifiés d’étalage ? Alain n’aurait su le dire. De plus, il n’était pas tout à fait certain de ce que la doyenne mettait derrière ce terme. Les seules femmes qu’il eût côtoyées depuis son plus jeune âge étaient des mages ou des acolytes ; aucune ne dérogeait aux enseignements de la guilde quant au peu d’importance à accorder à l’apparence et aux désirs physiques. « Exhiber » devait donc signifier autre chose.

La mécanicienne n’avait pas l’air très différente. Elle devait se laver et changer de vêtements quand elle n’était pas occupée à fuir des bandits dans le désert, mais elle ne portait pas l’épaisse couche de maquillage dont se paraient certaines femmes du commun. Cet artifice reflétait les tentatives des gens du peuple de créer leur propre illusion de beauté, avait confié un doyen à Alain avant que ce dernier ne quittât l’hôtel de la guilde d’Ihris.

Pourtant, aucune de ces femmes, qui avaient montré bien plus de chair nue qu’il n’en avait vu chez la mécanicienne, n’avait semblé aussi… intéressante. Pourquoi ne lui avaient-elles laissé qu’un très vague souvenir, alors que l’image de Mari demeurait limpide dans sa mémoire ?