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Peut-être est-ce leur intention ?

Cette mécanicienne… est différente. Je ressens une fébrilité étrange depuis ma dernière vision. Une vision centrée sur elle.

Pourquoi les doyens ont-ils réagi comme ils l’ont fait lorsque je l’ai mentionnée ?

Se sentant fatiguée et irritable après une mauvaise nuit de sommeil, Mari prit son petit-déjeuner au milieu des autres mécaniciens. Tous semblaient désormais très distants. Elle était habituée à cette attitude de la part des mécaniciens émérites, mais pas des autres. On aurait dit qu’on leur avait enjoint de ne pas lui adresser la parole.

Cara croisa son regard juste assez longtemps pour lui lancer un avertissement silencieux avant de détourner la tête.

On leur avait donc bien ordonné de ne pas lui parler.

Une mécanicienne émérite s’approcha de la table où Mari déjeunait seule et la fusilla des yeux.

« Vous devez vous rendre dans le bureau du superviseur Stimon immédiatement.

— Dès que j’aurai terminé mon repas…

— Immédiatement. »

Mari acquiesça lentement, se leva de sa chaise tout aussi lentement et se dirigea sans hâte vers la sortie du réfectoire. Puéril, se reprocha-t-elle à elle-même. Continue de te comporter comme une enfant et tout ce que tu vas réussir à faire, c’est apporter de l’eau à leur moulin. Cette réflexion, pourtant, ne la fit que très légèrement presser le pas.

Elle suivit la femme à travers l’hôtel de la guilde, longeant des couloirs ancestraux au tracé familier, bien qu’elle ne les eût jamais foulés. Tous les hôtels étaient bâtis sur le même modèle. Seuls le mobilier et les œuvres d’art qui les décoraient différaient d’un établissement à l’autre. L’unique exception, bien sûr, était la capitale impériale de Palandur, où l’on avait dû démultiplier ce plan de base afin de répondre aux exigences de l’édifice abritant le quartier général de la guilde.

Le bureau du superviseur était très vaste, comme dans n’importe quel hôtel, et très bien agencé, ce qui n’était pas toujours le cas. Le mécanicien émérite Stimon était installé derrière une table immense taillée dans un bois poli en provenance des lointains tropiques australs – une denrée rare depuis la chute du royaume de Tiae. La mécanicienne émérite fit signe à Mari d’entrer et, de l’extérieur, referma les portes derrière elle.

Stimon lui indiqua un siège de simple facture disposé devant son bureau. Mari nota qu’il ne s’était pas levé de son fauteuil confortable pour la saluer.

Il la gratifia d’un hochement de tête, comme s’ils se rencontraient pour la première fois.

« Bienvenue à Ringhmon. J’imagine que vous avez profité de l’hospitalité de ces lieux hier soir, après une arrivée sans encombre. »

Mari ressentit une bouffée de colère, mais elle parvint à maîtriser sa voix. Tu veux m’aiguillonner, c’est ça ? Voyons donc si tu aimes ça, toi aussi.

« Les chambres sont convenables, mais l’unité de refroidissement d’air ne fonctionnait pas très bien. »

Stimon se figea un court instant en entendant critiquer la tenue de son hôtel, puis il acquiesça.

« Je vais me pencher sur la question. L’œuvre, sans doute, d’un apprenti peu soigneux.

— Je suppose que vos apprentis ne travaillent que sous la supervision d’un mécanicien diplômé. »

Stimon se fondit d’un sourire forcé.

« C’est effectivement le cas, en règle générale. Je vais m’assurer que quelqu’un s’occupe des réparations.

— Je m’en suis occupée. C’était l’affaire de quelques minutes. »

Le sourire disparut.

« Sauf ordre contraire explicite, les mécaniciens sont tenus d’exercer uniquement dans leur domaine de compétence. Je suis sûr que même quelqu’un doté d’une expérience aussi limitée que la vôtre sait cela. »

Mari fixa les yeux furibonds de Stimon ; son visage conserva un calme olympien, malgré le coup bas sur son jeune âge.

« Un mécanicien émérite ne saurait ignorer, j’en suis sûre, que les maîtres mécaniciens sont autorisés à entreprendre certaines tâches de leur propre initiative. La réglementation de la guilde est très claire sur ce point. »

Les traits de Stimon s’assombrirent, mais il changea prestement de sujet.

« La guilde voulait que votre présence dans la caravane fût secrète, de manière à garantir la confidentialité du contrat passé avec Ringhmon. Mais l’information est désormais publique.

— Oui. Vous m’avez ordonné de venir au rapport dès que possible. Cela m’a obligée à traverser la ville à la vue de tous. »

Le superviseur la toisa d’un regard calculateur, qui se durcit rapidement.

« Vous avez divulgué votre présence avant cela. »

Mari prit une longue et profonde inspiration avant de répondre.

« Ainsi que je vous l’ai dit, la caravane a été attaquée par une force lourdement armée. Je devais fuir, ce qui impliquait de sortir de la voiture dans laquelle j’étais confinée.

— C’est en effet ce que vous avez dit. Vous avez ajouté que la caravane a été décimée. Une tierce personne vous a-t-elle vue, ou vu les bandits que vous avez mentionnés ? »

Mari ne répondit pas aussitôt. Un mensonge lui éviterait tout problème à très court terme, mais il pourrait être aisément découvert. Trop de gens avaient assisté à son arrivée en ville et les marchands de sel connaissaient le statut de son compagnon de voyage.

« Oui. Une personne.

— Un commun ? Qui ?

— Ce n’était pas un homme du commun.

— Aucun autre mécanicien n’était présent dans la caravane. Vous histoire ne tient pas. »

Elle le fusilla du regard pour l’avoir implicitement accusée de fausse déclaration dans son rapport.

« C’était un mage. »

Elle avait enfin réussi à entamer le sang-froid de Stimon.

« Un mage ?

— Oui. Il avait été engagé par le maître caravanier pour protéger le convoi. »

Stimon la fixa, bouche bée.

« Comment le savez-vous ? »

Damnation ! Quand donc apprendrait-elle à tourner la langue sept fois dans sa bouche avant de l’ouvrir ? C’était sans doute dans ce but que Stimon avait attisé sa colère : l’amener à parler sans réfléchir. À présent, elle n’avait d’autre choix que de lui révéler la vérité pure et simple.

« Il me l’a dit.

— Il. Vous. L’a. Dit. » Stimon se carra dans son fauteuil, l’air sonné. « Vous avez parlé à un mage ?

— Oui. » N’en dis pas plus. Stimon laissera peut-être tomber.

Mais Stimon ne laissa pas tomber.

« Pendant combien de temps avez-vous été en rapport avec ce mage ? »

Mari soupira. Allez, finissons-en.

« Trois jours environ. Enfin, enfin seule à seul. Puis nous avons rencontré des marchands de sel en route pour Ringhmon et voyagé avec eux. Je n’ai pas eu d’autre contact avec le mage après cela.

— Après cela ? Vous n’avez pas eu d’autre contact avec le mage après cela ? » Stimon dodelinait de la tête, incrédule. « Vous avez passé trois jours seule avec un mage ?

— Lui et moi étions les seuls rescapés. Les bandits étaient à mes trousses. Cette option m’a semblé préférable à la mort.

— Certains préféreraient la mort aux choses qu’un mage pourrait faire à une fille seule !