— Quoi ?
— Ne feignez pas l’ignorance ! Pas étonnant que vos vêtements aient eu besoin d’être nettoyés ! Nul doute que ce mage les avait imprégnés de sa puanteur, chacune des fois qu’il vous a forcée ! »
Mari sentit ses joues la brûler et elle bondit de son siège.
« Comment osez-vous ? Le mage ne m’a jamais touchée ! S’il avait essayé, je lui aurais explosé la tête ! »
Stimon la fixait, furieux.
« Êtes-vous en train de dire que la menace d’une arme l’a empêché de vous agresser ?
— Oui ! Non ! Je n’ai eu aucunement besoin de le menacer ! Il n’a rien tenté contre moi ! Et je suis profondément choquée par vos insinuations selon lesquelles j’aurais pu provoquer ou accepter un contact physique quelconque avec un mage !
— Que voulait-il alors ? »
Cette question n’avait jamais traversé l’esprit de Mari, tant la réponse semblait évidente.
« Que voulait-il ? Échapper aux bandits.
— Il aurait pu y parvenir seul. »
Certes. Mari sut qu’une fois de plus elle devait dire toute la vérité.
« Il se sentait obligé de me protéger.
— Un mage. Se sentir obligé. »
Oui, l’expression paraissait absurde, même à ses oreilles, et elle avait pourtant été là-bas, avec lui.
« Il avait un contrat pour protéger la caravane, et je faisais moi-même partie de la caravane. Je ne sais pas pourquoi un mage y attachait de l’importance, mais c’était bien le cas.
— Et vous y avez cru ? » Stimon s’adossa de nouveau, en secouant la tête. « Il voulait certainement nous espionner. Qu’a-t-il appris sur les arts des mécaniciens ? Que lui avez-vous dit ? »
La mise en garde que le mage lui avait adressée au sujet de son travail à Ringhmon lui revint en mémoire, mais elle ne lui avait rien dit pour susciter cela. Quel que fût le biais par lequel le mage avait eu vent de son contrat, elle n’en était pas responsable.
« Rien ! Nous avons simplement échappé à l’attaque et cherché un moyen de rejoindre un lieu sûr ensemble. »
Stimon la regarda en silence pendant un long moment.
« Avez-vous vu un de ses tours ? »
Mari hésita. Des tours. C’était tout ce que les mages étaient censés pouvoir accomplir. Mais la surchauffe du rocher avait été un tour des plus étonnants.
Cette fois, pourtant, elle prit le temps de réfléchir avant de parler. La manière dont Stimon avait posé cette question sonnait faux. Était-ce un piège ? Que voulait-il lui faire dire ?
Qu’elle avait été le témoin de quelque chose dont la guilde niait officiellement l’existence ?
Ce type pensait-il réellement que c’était à lui qu’elle irait raconter ça ? Avait-elle réellement vu quelque chose quand le mage avait utilisé son truc de surchauffe ?
« Non. »
La mâchoire du mécanicien émérite Stimon se crispa. Il marqua une pause et reprit, sur un ton d’une quiétude trompeuse.
« Seule, avec un mage, pendant des jours. Avez-vous la moindre idée de ce que cela représente en termes de violation des règles de notre guilde ? »
Mari sentit la colère monter à nouveau en elle. N’agis pas comme une enfant. C’est ce qu’il cherche. Comment le professeur S’san se comporterait-elle dans une telle situation ? La réponse apparut d’elle-même. Mari se rassit et afficha une mine interrogative.
« Quelles règles ai-je enfreintes exactement, superviseur d’hôtel de guilde ? »
Stimon la considéra d’un œil noir.
« Oseriez-vous prétendre qu’on ne vous a jamais dit de ne pas coopérer avec des mages ?
— Non, superviseur d’hôtel de guilde. Je vous demande quelles règles de la guilde précisent la conduite à tenir face à un mage. Je n’ai pas connaissance d’une instruction écrite ni d’ordres à validité permanente sur ce point. En revanche, je sais que, conformément au règlement de notre guilde, je suis dans l’obligation de protéger mes outils et d’exécuter mes contrats. Si j’avais trouvé la mort dans la Désolation, mes outils auraient été perdus et mon contrat dénoncé. » Mari offrit à Stimon sa meilleure moue de subalterne obéissante. « Je n’ai rien fait d’autre que suivre les règles de la guilde pour servir au mieux ses intérêts. »
Le mécanicien émérite se contenta de la regarder, l’incrédulité sur ses traits se muait peu à peu en une rage impuissante. Soudain, il sourit.
« Naturellement, je suis tenu de vous prier de me fournir la preuve de l’attaque de la caravane. Je vous saurai gré de ne pas nous faire l’insulte de citer le mage en témoin. Que pouvez-vous me dire au sujet des bandits ? Avez-vous pu voir leurs visages ? Entendu quelque chose qui permettrait de les identifier ? »
Mari secoua la tête, en se demandant ce que mijotait Stimon.
« Ils portaient les vêtements des hommes du désert, et le bas de leur visage était couvert. Du reste, je les ai surtout vus de loin. Le seul détail dont je sois certaine, c’est qu’ils étaient équipés d’un modèle standard de fusil à répétition qui sortait tout droit de nos manufactures de Danalee.
— Êtes-vous sûre de cela ?
— Oui. J’en ai examiné un de près.
— Vous dites en avoir eu un en votre possession et vous ne l’avez pas rapporté ?
— À ce moment-là, j’étais pourchassée par des bandits et l’arme était hors d’usage ! » Mari s’efforça une fois de plus de garder son sang-froid. « En outre, mon paquetage était déjà tellement lourd que j’ai eu toutes les peines du monde à m’en sortir. »
Stimon grimaça en branlant du chef.
« J’imagine qu’on ne pouvait rien attendre de plus de la part d’une…
— D’une quoi ? Je suis maîtresse mécanicienne et j’insiste pour être traitée comme telle. »
Les mots de Mari résonnèrent pendant quelque temps, puis Stimon sourit à nouveau.
« Il est fâcheux que ladite maîtresse mécanicienne n’ait pu relever aucun détail utile concernant ces bandits. Rien que nous ne puissions exploiter pour vérifier son histoire.
— Pensez-vous que j’aie décidé d’aller crapahuter dans le désert pour le plaisir ? Vous savez que la caravane n’est pas arrivée dans les délais prévus. Envoyez quelqu’un jusqu’au défilé et il y trouvera un immense cratère et un monceau de cadavres.
— Les caravanes sont souvent en retard et n’arrivent parfois jamais à destination pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les bandits. Je ne peux m’octroyer le luxe de missionner un mécanicien jusqu’à je ne sais quand afin d’enquêter sur une histoire dont rien n’atteste la véracité. » Stimon eut un geste de regret. « En l’absence d’éléments justificatifs, je me vois donc contraint d’enregistrer le retard dans votre engagement contractuel et de le déclarer non autorisé.
— Vous… » Mari dut se faire violence pour ne pas lui hurler dessus. « J’exige – j’en ai le droit – que soient enregistrés en retour une objection et un commentaire.
— C’est en effet votre droit le plus strict », concéda volontiers le superviseur.
Il sait que les autres mécaniciens émérites ne tiendront aucun compte de mes remarques. Il me sacque. Il me sacque dès mon premier contrat pour avoir failli me faire tuer en me rendant au boulot. Mari fusilla Stimon du regard.
« La parole d’un maître mécanicien ne sera pas remise en cause à Palandur.
— Vous n’êtes pas à Palandur. Ici, c’est Ringhmon. Je suis à la tête de cet hôtel. Et même à Palandur, la guilde est dirigée par des mécaniciens émérites. Vous feriez mieux de ne jamais l’oublier. » Stimon tambourina sur la table pendant un long moment, le visage rayonnant de satisfaction. « Vous pouvez rejoindre le palais du gouvernement de Ringhmon pour exécuter votre contrat. »