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Gerd souffla des ordres à ses subordonnés en ponctuant ses paroles de mouvements rageurs. Puis il s’inclina en direction de Mari et l’invita d’un geste à pénétrer dans le bâtiment. Elle lui emboîta le pas, en s’efforçant de prendre une démarche assurée. La plupart des mécaniciens adoptaient une sorte de démarche chaloupée, façon pour eux de mettre l’accent sur la supériorité de leur statut, mais Mari n’avait jamais réussi à imiter convenablement ce déhanchement. À chaque fois qu’elle s’y était essayée, elle donnait l’impression de se dandiner pour aguicher maladroitement le chaland. Ce n’était pas exactement l’image de professionnalisme que Mari souhaitait cultiver, aussi avait-elle décidé de laisser la démarche chaloupée aux autres.

Ayant secrètement toujours trouvé ce trémoussement quelque peu ridicule, elle s’était tenue à sa décision, en dépit des railleries de certains mécaniciens sur son allure, à leurs yeux trop proche du commun. De toute manière, ces mécaniciens-là ne faisaient pas partie de ceux dont l’opinion l’intéressait.

Gerd la conduisit jusqu’à une porte dépourvue d’ornement et, après avoir dégluti nerveusement, il annonça leur présence aux occupants des lieux.

L’administrateur Polder était un homme petit, à la calvitie marquée, au visage pointu et au sourire tranchant. Mari se demanda pourquoi il lui rappelait le superviseur Stimon, pourtant plus grand et plus costaud que lui, avant de se rendre compte que le sourire affiché par Polder était aussi faux que celui que Stimon avait arboré à plusieurs reprises. Ces deux-là étaient faits pour s’entendre.

Mari vit Polder congédier le chef des gardes avec l’aisance routinière des individus rompus à l’exercice du pouvoir. Elle nota également que ses vêtements étaient d’une confection soignée sans être ostentatoires. Sa puissance semblait telle qu’il ne ressentait pas la nécessité d’en remontrer. Un écho inquiétant à la posture des mécaniciens.

Polder l’entraîna plus avant dans les méandres du bâtiment.

« Comment s’est passé votre voyage vers Ringhmon, dame mécanicienne ? »

N’étant pas d’humeur à se remémorer les rudesses qu’elle avait endurées, Mari répondit froidement.

« J’ai connu mieux. Ma caravane a été détruite par des bandits. »

Le sourire faux de Polder ne fléchit pas.

« La Désolation est un endroit effroyable. L’Empire ne fait pas grand-chose pour le maintien de l’ordre de son côté de la frontière ; les brigands qui y sévissent attaquent bien trop souvent les caravanes sur le territoire de Ringhmon et ils prennent la fuite avant que nos forces armées puissent leur faire payer leurs exactions. Il est heureux que ces marchands de sel vous soient venus en aide. »

Il n’y avait rien d’étonnant à ce que l’administrateur ait eu vent de l’arrivée en ville d’une mécanicienne véhiculée par lesdits marchands. Mais pourquoi avait-il éprouvé le besoin de lui indiquer qu’il le savait ?

« Si j’ai bien compris, vous n’étiez pas la seule survivante à être ainsi secourue. »

Nous y étions. Il voulait en savoir davantage sur le mage qui, selon les dires des marchands, l’accompagnait. Mari fit un geste vague pour signifier son indifférence.

« Il y avait en effet un mage dans cette même caravane. Il s’est manifesté quand j’ai repéré le convoi marchand.

— Vous ne voyagiez pas ensemble ? »

Mari se tourna vers Polder, les sourcils froncés. Inutile de mentir, en l’occurrence. Dis seulement ce que tout le monde s’attend à entendre.

« Un mécanicien voyageant avec un mage ? Votre question est-elle sérieuse ?

— Non, dame mécanicienne, bien sûr que non. » Polder s’éclaircit la gorge. « Je dois reconnaître que je suis assez surpris, dame mécanicienne. Notre contrat avec votre guilde spécifiait que nous avions besoin pour cette intervention de quelqu’un de particulièrement qualifié. Le meilleur qui puisse se trouver sur les terres de l’Est. Le bureau de votre guilde à Palandur nous a certifié que vous étiez cette personne.

— Ma guilde a de bonnes raisons d’affirmer que je réponds parfaitement aux exigences du contrat. »

Deux gardes les rejoignirent dans l’un des couloirs. Mari veilla à ne pas avoir l’air méfiante tandis qu’elle observait leurs armures sobres, mais de très bonne facture, leurs gestes précis et alertes. Rien de tape-à-l’œil, contrairement aux butors de l’entrée. Ces hommes étaient de la trempe de ceux qu’elle avait vus dans la garde rapprochée de l’Empereur à Palandur ; ils n’étaient pas choisis pour leur apparence, mais pour leur redoutable efficacité. De véritables loups, chargés d’assurer la sécurité de Polder, pourtant officiellement simple administrateur de la ville.

Mari se demanda soudain qui dirigeait vraiment Ringhmon. Les Pères de la cité pouvaient penser que c’étaient eux, mais il lui semblait de plus en plus que c’était en réalité Polder qui tenait les rênes du pouvoir.

Ils franchirent plusieurs issues sécurisées par des plantons, parcoururent des couloirs exigus jalonnés de portes identiques pourvues d’inscriptions énigmatiques. Le petit groupe s’arrêta devant un vantail en bois renforcé par des lattes métalliques de haute qualité. Polder sortit une grande clé, la tourna dans la serrure, puis frappa quelques coups secs avant d’entrer.

Passé le seuil, Mari comprit la raison de ce manège. Trois gardes étaient postés à l’intérieur, dont un juste derrière la porte. Tous les regardaient avec attention. Elle aperçut alors la machine qu’elle était venue remettre en état et son cœur tressaillit.

« Impressionnant, n’est-ce pas ? lança Polder.

— Très », admit Mari. Elle fit un pas en avant pour appréhender pleinement les dimensions et la complexité de l’appareil qui dominait la pièce. Elle se sentit brusquement ragaillardie, impatiente de se mettre au travail dessus et prouver sa capacité à le réparer.

« Un Modèle 6 tout droit sorti des ateliers des machines de calcul et d’analyse de la guilde des mécaniciens à Alfarin, lâcha Polder d’une voix suffisante.

— Je sais. Pour être exact, il s’agit de la Forme 3 du Modèle 6, avec des modules additionnels de stockage de données et des capacités d’analyse accrues. » Elle regarda Polder qui consentit à se montrer vaguement admiratif.

« Je suppose donc que vous connaissez bien cet appareil.

— Mieux que n’importe qui, hormis le mécanicien qui l’a construit, et ce mécanicien a été un de mes instructeurs pendant un certain temps. »

À ce que Mari en savait, il avait supervisé la fabrication d’un seul des F3. Quelqu’un n’avait pas lésiné sur la dépense pour s’offrir la meilleure machine de calcul et d’analyse susceptible d’être construite, et la guilde avait été heureuse de s’atteler à la tâche.

Néanmoins, si elle devait en croire les registres de Palandur qu’on lui avait montrés avant son départ, Ringhmon n’avait acheté qu’un M6-F1 quelques décennies plus tôt. L’hôtel de Ringhmon avait depuis un contrat de maintenance relatif à cette machine. Une ville de taille moyenne ne disposait d’ordinaire que d’un seul appareil de ce type, car la guilde veillait à maintenir des prix élevés et une offre très réduite. Une offre exclusivement limitée aux M6, bien entendu. La guilde ne construisait jamais qu’un seul modèle à la fois, même si elle autorisait les acheteurs à ajouter des options à la version basique. Le M6 était sur le marché depuis très longtemps. Mari n’avait jamais rencontré personne qui eût vu un M5, et quand ceux-ci avaient été retirés de la circulation, tous les manuels d’utilisation et de maintenance avaient été soit détruits, soit stockés dans les chambres fortes du quartier général à Palandur, auxquelles tout accès était interdit.