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Elle avait posé des questions à ce sujet, jusqu’à ce que le trop paternaliste professeur T’mos la mette en garde. « La guilde te dira tout ce que tu dois savoir, Mari. Si une chose est inaccessible, c’est qu’il existe une bonne raison à cela. Il est évident que nous n’avons rien besoin de savoir de ce qui est conservé sous clé. »

Pas étonnant qu’elle ne se fût jamais intéressée à l’histoire, dont l’enseignement évinçait lui aussi trop d’éléments cachés.

Mari regarda autour d’elle, d’abord les trois hommes affectés à la surveillance des lieux, puis l’administrateur Polder, enfin ses deux gardes du corps.

« Je ne peux pas travailler avec tout ce monde dans la pièce. Cela risque de me déconcentrer et j’aimerais éviter d’avoir des gens dans le passage quand je voudrai accéder aux différentes parties de la machine. »

Elle n’était pas inquiète qu’ils la voient à l’œuvre : les codes pensants de calcul et d’analyse étaient bien trop complexes pour l’intelligence des communs. Même la grande majorité des mécaniciens étaient incapables de les comprendre, mais cela ne souciait pas la guilde puisqu’il n’existait qu’un nombre limité de machines en circulation.

Polder acquiesça sans rechigner et fit signe aux trois gardes de quitter leur poste.

Mari jaugea les dimensions de la pièce et le regarda à nouveau.

« Il y a toujours trop de monde. »

L’administrateur la fixa quelques instants, puis pointa ses deux gardes personnels du doigt et leur ordonna sans un mot de sortir à leur tour. Ils obtempérèrent, se positionnant dans le couloir de manière à voir l’intérieur de la salle sous différents angles. Leurs mains reposaient sur les gardes de leurs épées courtes. Polder recula et se colla contre le mur, les bras croisés. De toute évidence, il entendait bien rester.

Parfait. Il ferait le pied de grue des heures pendant qu’elle procéderait à la fastidieuse remise en état de cette machine. Il n’allait pas beaucoup s’amuser et serait aux premières loges pour voir à quel point Mari connaissait son boulot. Oui. Ce serait décidément parfait.

Mari ouvrit sa trousse à outils, en sortit l’équipement nécessaire, puis elle se dirigea vers le panneau de contrôle principal du M6 et saisit les premières requêtes de test. Au lieu de fournir la réponse attendue sur une bande de papier perforé, le M6 produisit une version mécanique d’un haut-le-cœur.

Mari sourit, ses mauvais pressentiments du matin dissous dans la joie d’accomplir une tâche qu’elle maîtrisait à la perfection. Son premier contrat allait s’avérer bien plus simple que bon nombre d’examens qu’elle avait passés pour décrocher son statut de maîtresse mécanicienne. Elle était capable de réparer cela. Ses doutes se dissipèrent comme un nuage de vapeur. Elle ordonna l’impression d’autres éléments sur la bande de papier, tout en examinant des morceaux de code pensant à la recherche d’erreurs. Celles-ci n’étaient pas difficiles à trouver, même si leur présence était surprenante dans un M6 qui était sur le marché depuis longtemps. Mari les traqua avec entrain, composa méticuleusement un correctif de code, le chargea dans la machine et réitéra la série de tests.

Le résultat lui fit froncer les sourcils. Le M6 eut à nouveau un haut-le-cœur, mais d’un genre différent cette fois. Cela n’aurait pas dû arriver. Elle connaissait le code du M6 sur le bout des doigts et le correctif qu’elle avait entré n’aurait pas dû provoquer une telle réaction. Elle composa un nouveau correctif, le chargea, réitéra les tests… pour découvrir que certaines des erreurs initiales étaient revenues.

Elle se frotta le menton en scrutant les grandes boîtes métalliques façonnées à la main empilées face à elle. Il n’y avait qu’une seule explication possible à ce qui se passait. Une explication officiellement impossible, puisqu’elle impliquait quelque chose qui n’était pas censé exister, mais dont on lui avait quand même dévoilé les arcanes sur l’insistance du professeur S’san. Après une profonde inspiration, Mari établit un nouveau protocole de tests. Complètement absorbée par son travail, elle en oublia l’heure qui tournait et la silhouette silencieuse de l’administrateur Polder adossé au mur. Elle ne remarqua pas non plus les lampes électriques que l’on alluma pour éclairer la pièce qui plongeait dans la pénombre à mesure que le soleil, lui, plongeait vers l’horizon.

Les tests s’exécutaient. Mari avait les yeux rivés sur la longue bande de papier qui s’imprimait devant elle. La voilà. Aucun doute. Ce n’est pas une erreur dans le code. C’est une contamination. Quelqu’un a infecté ce Modèle 6 avec un autre code créé spécialement pour l’empêcher de fonctionner correctement. Pas étonnant que le maître mécanicien Xian ait été incapable de réparer ça. Qu’il fût possible de créer de telles infections constituait un secret si brûlant que seuls quelques mécaniciens en avaient connaissance, et un cercle encore plus restreint avait été formé pour apprendre à les combattre. Mari en faisait partie, ce qui expliquait qu’on lui ait confié cette mission à Ringhmon.

Si quelqu’un savait ou même soupçonnait que la source du problème était là, pourquoi ne pas m’en avoir parlé ? Qui a créé cette infection ? Je ne reconnais pas la main qui en a élaboré le code, pourtant je connais chacune des personnes aptes à concevoir des codes comme celui-là. Sans compter que programmer une infection est strictement interdit. La guilde aurait – littéralement – la tête de quiconque serait pris à le faire.

La réparation ne représentait que la moitié du problème. La seconde était de découvrir qui était responsable du dysfonctionnement. Mari leva les yeux vers l’administrateur de la ville.

« Le document contractuel stipule que vous n’avez aucune idée de l’origine du problème affectant cette machine. Avez-vous appris quelque chose depuis que vous l’avez signé ?

— Non. Rien. Est-ce que cela veut dire que vous n’êtes pas en capacité de la réparer ? »

Il mentait. C’était la seule explication possible. Toutes ces mesures de sécurité, tous ces gardes, toutes les armes mécaniques dont Ringhmon disposait démontraient que la ville se pensait entourée d’ennemis. Pourquoi ne les suspectait-elle pas ? Et si l’infection avait été installée à des fins de chantage, les autorités auraient sûrement déjà reçu une demande de rançon en échange d’un correctif. Au lieu de cela, Ringhmon s’était tournée vers la guilde et feignait l’ignorance.

« Je peux la réparer. Je vais avoir besoin d’effacer l’ensemble du code pensant et de le réinstaller, mais vos données, écrites et chiffrées, ne devraient pas en souffrir, sachant qu’elles sont conservées hors des composants d’analyse. »

Elle désigna les bobines de fil dans lesquelles la machine stockait les résultats de son travail.

« Êtes-vous certaine que nous ne perdrons rien ? » demanda Polder.

Mari secoua la tête en s’interrogeant sur les motifs de cette inquiétude qui avait fini par fissurer le masque que Polder affichait depuis l’instant où ils s’étaient rencontrés.

« Vous ne perdrez rien. »

Un M6 supplémentaire et le véritable maître de cette ville qui se préoccupait du sort des données qui y étaient stockées. S’efforçant de garder sur son visage un calme apparent, Mari prit la décision de ne pas quitter le palais avant d’en avoir découvert davantage sur ce qui se tramait entre ses murs.