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Quand Mari eut enfin terminé de purger la machine de toute trace de contamination et réinstallé le code pensant, le ciel derrière les fenêtres découpées en haut des murs était noir. Réprimant un bâillement, la jeune femme lança une ultime batterie de tests et fut récompensée par des résultats parfaits. Elle savoura sa réussite, sensation éminemment réconfortante. Combien de mécaniciens auraient pu effectuer cette réparation ? Peut-être deux autres, dont l’un ne quitte jamais Alfarin et le second ne s’éloigne que très rarement de Palandur. Bravo à moi. Premier contrat honoré avec brio. Bon travail, maîtresse mécanicienne Mari, et au diable le superviseur Stimon et ses manœuvres pour me sacquer. Autant que je chante moi-même mes louanges, parce que je doute fort que quiconque le fera.

Et maintenant, le reste du boulot. Elle commanda l’impression d’une liste qui lui permettrait de récupérer les en-têtes de toutes les données stockées dans ce M6. Ni Polder ni aucun autre commun ne seraient en mesure de savoir ce qu’elle examinait, l’opération devait donc être sans danger. Néanmoins, Mari dut prendre sur elle pour dissimuler sa nervosité tandis qu’elle accédait aux fameuses données.

Les éléments cryptés défilèrent sur la bande de papier. Il ne s’agissait pas d’informations financières, de registres du personnel, d’inventaires. Rien de ce qu’on avait coutume de conserver dans ces machines. Non. Mari regarda à deux fois pour être certaine de ne pas s’être trompée. Des mesures : longueur, largeur, épaisseur. Des formes. Des matériaux. Des spécifications.

Le descriptif, sans fioritures, d’un appareil mécanique.

Un fusil à répétition.

Ces données ne peuvent appartenir qu’à quelqu’un qui procède à la rétro-ingénierie d’un fusil élaboré par la guilde en le démontant pièce par pièce pour découvrir le moyen d’en forger une réplique. Qui ferait une chose pareille ? Et pourquoi ? Seuls les mécaniciens sont capables d’accomplir de telles tâches. La guilde interdit aux communs d’essayer de percer ses secrets et leur répète régulièrement que quiconque serait pris à se livrer à ce genre de pratiques subirait un lourd châtiment. Pourquoi le maître mécanicien Xian n’a-t-il pas repéré ce que fabriquaient ces communs ? Il ne peut pas être aussi incompétent ! Que diable se passe-t-il dans cette ville ?

Une infection d’origine inconnue. Des communs aussi hostiles qu’arrogants. Quelqu’un qui s’amusait à jouer avec des secrets de la guilde des mécaniciens. Mari eut le même sentiment que celui qu’elle avait éprouvé lors de l’attaque de la caravane par les bandits. Je ne sais pas ce qu’il y a, mais il faut absolument que je sorte d’ici.

« Et voilà, dit-elle d’une voix qu’elle espérait impassible. C’est fait. »

Une expression enthousiaste illumina les traits de Polder.

« Le Modèle 6 fonctionne à nouveau comme il le devrait ?

— Exactement comme il le devrait. » Mari s’étira lentement, fourbue par la fatigue accumulée au cours de la journée, et nerveuse à la suite de ce qu’elle venait de découvrir. Détends-toi. Tu es épuisée, prête à partir, ton travail est terminé. Sois comme le mage. Ne laisse rien transparaître d’autre.

« Parfait. » Polder la regarda avec un intérêt courtois, pendant qu’il faisait signe aux gardes de revenir dans la pièce. « Quelle était la nature du problème ? »

Quelque chose me dit que tu le sais déjà, et, si ce n’est pas le cas, ne compte pas sur moi pour te le dire. « La cause précise est l’affaire de la guilde et ne doit être évoquée avec aucune personne extérieure. »

Loin de s’indigner ou de laisser percer cet air de ressentiment que les communs ne parvenaient à réprimer quand un mécanicien refusait de partager ses secrets, Polder acquiesça avec une humilité peu conforme au personnage.

« Naturellement. Pouvez-vous néanmoins me dire comment faire en sorte que le problème ne se répète pas ? Est-il lié à l’usage que nous faisons de ce Modèle 6 ?

— Non.

— Vous n’avez rien vu qui sorte de l’ordinaire ? » L’administrateur afficha soudain une mine désolée. « Vous me demandez de croire que vous ne comprenez pas le problème que vous prétendez avoir résolu ? »

L’attitude de Polder déclencha des signaux d’alarme dans la tête de Mari. Elle avait toujours pensé qu’aucun commun n’oserait faire quoi que ce fût contre elle, maintenant moins que jamais, sa présence en ces lieux étant connue de tous. Elle ne prit conscience qu’à cet instant de l’heure avancée de la nuit et des ténèbres à l’extérieur. Polder et ses gardes pourraient jurer qu’elle avait quitté le palais du gouvernement avant de disparaître mystérieusement. Elle réalisa – douloureuse sensation – qu’elle était seule, au fin fond d’un bâtiment qui appartenait à des communs, cernée de communs pour certains très dangereux.

Ils n’oseraient pas… Si ? C’était inconcevable.

Son pistolet étant dissimulé dans son sac à outils, Mari n’avait pas d’arme à portée de main. Aucune arme excepté son statut de mécanicienne. Aussi essaya-t-elle de réaffirmer rapidement sa suprématie.

« Je suis une mécanicienne, soutenue par toute la puissance de ma guilde. Je ne demande pas aux communs de faire les choses, je le leur ordonne. J’en ai fini, je m’en vais. L’hôtel de la guilde vous enverra la note pour mes services. »

Polder ne s’écarta pas de son chemin, ne s’emporta pas, mais la gratifia d’un sourire dépourvu d’humour.

« Je vois. Peut-être est-il temps que votre guilde apprenne que les gens de Ringhmon ne veulent plus rester enfermés dans la petite boîte que les mécaniciens ont fabriquée pour y confiner ce monde.

— Je n’ai aucune idée de ce dont vous parlez, et cela m’intéresse assez peu, lâcha Mari en imprégnant sa voix de ce qu’elle espérait être un mélange de colère et d’autorité. J’en ai fini, je m’en vais, répéta-t-elle avec plus d’insistance.

— Comme vous voudrez. » Polder fit un signe de la main en jetant un œil derrière Mari, là où ses deux gardes étaient postés.

Mari tournait les talons lorsque quelque chose de dur heurta violemment l’arrière de son crâne. La dernière chose qu’elle vit avant de sombrer dans les ténèbres fut Polder qui la regardait avec un sourire mauvais.

Chapitre 9

Alain observa de loin la mécanicienne descendre du trolley et pénétrer dans un vaste bâtiment, le siège du gouvernement de Ringhmon. Déjà en butte à des regards curieux et inquiets, le mage commença à faire le tour de l’imposant édifice. Comme il s’y attendait, de nombreux restaurants, petits et grands, jalonnaient le périmètre afin de nourrir tous ceux qui y travaillaient. Il repéra également une échoppe qui faisait négoce de livres ; il entra et dénicha un épais volume consacré à l’histoire de Ringhmon. Le commerçant sur lequel il avait jeté son dévolu réagit à sa présence avec un malaise évident qu’Alain feignit de ne pas remarquer.

Il passa devant le comptoir où l’employé fit mine de ne pas le voir et sortit de la boutique, l’ouvrage sous le bras. Les gens du commun payaient les doyens pour bénéficier des services des mages, mais les mages ne payaient rien, avait-on expliqué à Alain. Ils prenaient les choses dont ils avaient besoin auprès de quiconque se trouvait les posséder. Les pourvoyeurs – qui ne comptaient guère, puisqu’ils n’existaient pas – devaient du reste se montrer reconnaissants que le mage n’eût pas décidé de leur prendre davantage. Si un mage souhaitait s’abriter, il entrait simplement sous n’importe quel toit et les communs vidaient les lieux. S’il avait faim, il piochait aux étals ou s’installait dans un établissement où les communs avaient coutume de se sustenter et il était aussitôt servi. Nul ne refusait quoi que ce fût à un mage. À l’exception des mécaniciens. On avait prévenu Alain que ceux-ci ne se laisseraient pas faire et, en conséquence, devaient être ignorés. Il ne fallait jamais s’introduire là où ils se trouvaient ni toucher leurs victuailles. Il suffisait de se rappeler que les mécaniciens n’existaient pas et qu’ils ne méritaient aucune attention.