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Cet écoute-au-loin ne pouvait pas exister. Pourtant, il était bien là.

Après avoir fourré l’appareil cassé dans sa poche, Mari s’assit sur la couchette, le regard braqué sur le mur. Primo, elle avait vu un mage accomplir ce qu’il n’aurait pas dû être capable d’accomplir dans la réalité. Secundo, des communs l’avaient agressée et séquestrée. Tertio, elle disposait maintenant d’une preuve formelle que quelqu’un exerçait le métier de mécanicien sans autorisation. Trois faits impossibles. Ma formation n’a pas été aussi complète que je l’avais imaginée. Il est inconcevable que je sois la première à me rendre compte de tout cela. Par les fournaises, que se passe-t-il ? Si le professeur S’san suspectait que les choses ne tournaient pas rond au point de m’offrir un pistolet pour mon diplôme, pourquoi ne m’en a-t-elle pas dit davantage ?

Que m’a-t-on caché d’autre ?

Il y eut un changement subtil dans la luminosité. Mari leva les yeux vers un des murs de la cellule. Une petite ouverture ressemblant vaguement à une porte s’y dessinait à présent, dans laquelle se tenait le mage Alain.

Mari se leva, estomaquée. Ce mur était solide. Je l’ai touché. Il n’y avait pas d’ouverture. Elle regarda le mage faire deux pas incertains puis s’arrêter tandis que son visage se détendait. Elle battit des paupières en se demandant ce qu’elle venait de voir – et le trou dans le mur disparut comme s’il n’avait jamais existé.

En quelques enjambées, elle se retrouva derrière le mage et frappa la paroi à l’endroit précis où s’était ouverte la brèche un instant plus tôt. La pierre lui mordit la main, dure et immuable comme elle l’avait été lors de son inspection initiale.

Elle fit volte-face et vint se planter devant le mage ; ses mouvements brusques lui firent tourner la tête, encore douloureuse.

« Comment as-tu fait cela ? » demanda-t-elle, en désignant le mur du doigt. Le son de sa voix rauque et éraillée lui fit l’effet d’un électrochoc.

Le visage du mage était aussi impassible que d’ordinaire.

« Je suis venu… aider, dit-il d’un ton égal empreint de fatigue.

— Aider ? Tu es venu m’aider ? » Mari fut prise de vertige et s’adossa à la paroi. « Un mage a traversé le mur d’une cellule pour apporter de l’aide à un mécanicien. » Elle ne put réprimer un frisson. « Ma tête. Ils m’ont frappée et voilà que j’hallucine et que j’entends des voix. »

Le mage s’approcha d’elle, le regard scrutateur.

« Es-tu blessée, mécanicienne Mari ?

— Maîtresse mécanicienne Mari, bredouilla-t-elle par habitude avant de le saisir par le bras. Non, ce ne sont pas des hallucinations. Tu es bien réel.

— Rien n’est réel. Tout n’est qu’illusion. Néanmoins, je me tiens devant toi.

— Ne m’embrouille pas. Je ne suis pas en état. » Mari s’efforça de maîtriser sa respiration et de se calmer. Réalisant qu’elle serrait toujours le bras du mage, elle relâcha son étreinte. Ne touche jamais un mage. Pourquoi le ferais-je ? « Comment as-tu réussi à entrer ?

— J’ai appris qu’il t’était arrivé quelque chose. J’ai senti ta douleur.

— Tu as senti ma douleur ? Est-ce que tu me parles d’empathie, là ?

— Empathie ? » Le mage Alain branla du chef. « Je ne connais pas ce mot. Non. J’ai eu mal. À cet endroit. » Il passa la main à l’arrière de son crâne.

Mari tituba jusqu’à la couche et s’y assit. Très bien. On fait une pause et on réfléchit. Un mage a senti le coup que j’ai pris sur la tête, puis il a traversé un mur pour me rejoindre. De deux choses l’une : soit je suis folle, soit c’est vraiment arrivé. Si c’est arrivé, alors je peux l’analyser et le comprendre.

« Reprenons, si tu veux bien, étape par étape. Comment as-tu su où je me trouvais ?

— Je l’ai senti, dit le mage d’une voix neutre. Un fil nous connecte. »

Mari baissa les yeux pour se regarder.

« Un fil ?

— C’est… une métaphore. Je perçois ça comme un fil. Ce n’est pas réel, mais c’est là. Je ne connais pas son origine ni sa raison d’être. » Quelque chose dans la manière dont le mage prononça ces mots sonnait comme… une accusation ? Non, elle devait sûrement se faire des idées.

Je ne suis pas certaine de vouloir savoir pourquoi un fil métaphorique me relie à ce mage. Ni même ce qui le pousse à penser que ce lien existe.

« Désolée, j’ignore tout de vos pratiques de mages.

— Ce fil n’est pas l’œuvre d’un mage.

— Alors qui… » La tête lui tourna à nouveau. « Laisse tomber. Question suivante. Où sommes-nous ? Toujours dans le palais du gouvernement ?

— Oui. Un palais avec un donjon et des geôles. Rien que de très ordinaire pour une ville comme Ringhmon.

— Toi aussi, tu as remarqué qu’ils étaient bizarres, hein ? » Mari déglutit avant de pointer le mur du doigt. « Comment as-tu fait ça ?

— Je ne peux pas te le dire.

— Un secret de mage ?

— Oui. »

Elle prit une longue et lente inspiration. Ils utilisent de la fumée, des miroirs et divers trucs « magiques » pour faire croire aux communs qu’ils ont le pouvoir de créer des trous dans les murs et autres fantaisies du même acabit. Ce n’est que de la supercherie.

« Les mages sont-ils réellement capables de faire des trous dans les murs ?

— Non. »

Sa douleur à la tête s’intensifiant, elle le fusilla du regard.

« Tu essaies de me dire que tu n’as pas fait de trou dans ce mur, c’est bien ça ?

— J’ai créé l’illusion d’un trou dans l’illusion d’un mur. »

Mari observa le mage Alain pendant ce qui lui parut être une éternité, tentant de déceler un signe de moquerie ou de mensonge. Mais le jeune homme semblait parfaitement sincère. Et, à moins qu’elle n’eût complètement perdu l’esprit, il venait de franchir cette paroi de pierre.

« Si le mur est une illusion, pourquoi n’importe qui ne peut pas le traverser ?

— Il s’agit d’une illusion très puissante.

— Mais toi, tu l’as fait disparaître, ce qui signifie que tu es bien plus puissant que cette illusion.

— Non, lâcha le mage Alain en secouant la tête. Même un mage ne peut nier les illusions que nous voyons. Tout le travail d’un mage est de superposer une autre illusion sur l’illusion que tout le monde voit. »

Étrangement, ce qu’il disait semblait avoir un sens ou, du moins, obéir à une certaine logique, si on pouvait qualifier de logique un acte qui impliquait de jouer les passe-muraille.

« Et pouvons-nous ressortir de la même manière que tu es entré ? En empruntant des brèches imaginaires dans des murs imaginaires ? »

Elle se demanda comment la guilde réagirait en lisant cela dans son rapport. En réalité, la question ne se posait pas, mais elle n’allait sûrement pas laisser passer la chance de s’échapper.

Le mage prit une profonde inspiration et vacilla sur ses jambes avant de répondre.

« Non.

— Non ?

— Malheureusement… » Alain s’effondra sur la couche, juste à côté d’elle. « … l’énergie déployée pour te retrouver m’a épuisé. Il y avait plusieurs murs à traverser. Je ne peux plus le faire pendant quelque temps. Je serai probablement incapable de produire un effort important avant demain matin. » Il haussa les épaules. « Je n’ai pas bien planifié cette opération. Les doyens ont sans doute raison, on est trop jeune pour être un mage à dix-sept ans. »