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Une fois entré, le jeune mage s’assit dos au mur, la respiration lente et profonde.

Mari chercha des indices de la présence d’un écoute-au-loin dissimulé dans la geôle. N’en trouvant aucun, elle s’assit à son tour près de la porte, le pistolet pointé vers le plafond. Les élancements dans sa tête s’étaient mués en une sourde douleur continue.

Le mage Alain était resté silencieux jusqu’à ce qu’elle s’installe. Son regard n’était pas posé sur elle, mais quelque part entre eux, son expression aussi neutre qu’à l’accoutumée. Que pouvait-il observer ?

« Est-il toujours là ? demanda Mari.

— Non, répondit-il en se tournant vers elle.

— J’en suis soulagée.

— Il n’a jamais été là. Il n’existe pas. Néanmoins, il perdure. » Il la fixa droit dans les yeux. « Tes… outils. Tu as dit qu’ils servaient à déconnecter.

— Tu parles du fil ? Du fil métaphorique qui n’existe pas, mais qui pourtant est là ? Malheureusement, tous mes outils n’ont de prise que sur le réel.

— Rien n’est réel.

— Par les fournaises ! Je… Mes outils ne fonctionnent que sur des illusions puissantes. Je ne peux pas dévisser une allégorie ni déconnecter une métaphore, mage Alain.

— Tu ne le peux pas ? »

La déception du mage était palpable. Fait absurde, elle se sentait mal de ne pas être en mesure de le faire.

« Je suis désolée. Vraiment. Ni mes outils ni ma formation ne me permettent de réaliser de telles choses. Je suis confuse si j’ai pu donner l’impression d’en être capable.

— J’ai eu l’impression que tu étais capable de faire beaucoup de choses et de les faire bien », dit-il sans la quitter des yeux.

Des compliments ? De la part d’un mage ?

« Si seulement tu étais un mécanicien émérite. Aucun d’entre eux ne semble partager ton avis. » Mari laissa retomber sa tête ; la réalité de leur emprisonnement dans le donjon chassait les dernières traces d’euphorie qui avaient suivi l’évasion de sa cellule. « Je n’ai pas assez d’expérience, même si j’ai une excellente formation. C’est ma première mission hors d’un hôtel de la guilde, la première fois que je suis véritablement dehors sans une foule de mécaniciens autour de moi. » Sa vie dans l’hôtel de la guilde, sa vie à l’académie de Palandur, sans danger, simple, prévisible, tout cela ressemblait à une de ces illusions dont le mage parlait sans cesse. « Je n’ai aucune idée sur la conduite à tenir.

— Dans ce cas, tu es très douée pour créer l’illusion de compétence. »

Mari fixa le mage. Aucun signe n’aurait pu faire passer sa remarque pour autre chose que sérieuse. Il avait l’air de penser qu’il venait de lui faire un grand compliment. Elle fut soudain prise d’un fou rire qu’elle s’efforça de réprimer.

« Il faut vraiment que je fasse en sorte d’obtenir un tel commentaire lors de mon prochain entretien d’évaluation. “La maîtresse mécanicienne Mari est douée pour créer l’illusion de compétence.” »

Ses côtes tremblaient, à deux doigts d’une crise d’hystérie due à la tension ; elle se retint d’exploser de rire et s’avachit contre le mur.

« Est-ce que tu vas bien ? » demanda le mage, son regard intense posé sur elle.

Elle parvint à maîtriser son hilarité, aidée par plusieurs élancements de douleur dans son crâne, et se redressa en s’essuyant les yeux.

« Tout est parfait. J’ai une bosse sur la tête, je suis enfermée dans un donjon avec un mage, et si jamais je dis réellement ce qui s’est passé à ma guilde, on me bouclera à vie. Que rêver de mieux ? » Mari s’interrompit pour sonder le visage du mage, dénué de toute trace d’émotion. « Est-ce que ça t’arrive de rire ?

— Non. Ce n’est pas permis. »

Voilà qu’elle ressentait à nouveau de la pitié pour lui. Elle détourna les yeux. Ce n’est pas un chiot égaré. C’est un jeune homme. Il a choisi sa vie. Il n’est pas sous ma responsabilité.

« Pourquoi es-tu venu me chercher ?

— Il y a ce fil…

— Celui qui n’existe pas, mais qui est. Oui. D’accord. Mais je t’ai demandé pourquoi. Pourquoi as-tu suivi ce fil, à supposer qu’il existe ? »

Leurs regards se croisèrent et Mari put lire la préoccupation dans celui du mage.

« J’ai senti que je devais… t’aider.

— Eh bien, merci, dit-elle avec un sourire.

— Parce que j’ai pensé que ce serait peut-être un moyen de briser le sortilège que tu m’as jeté. »

Le sourire de Mari s’évanouit aussitôt.

« Le sortilège ?

— Il y a peut-être un rapport entre ça et le fil. Il nous lie. C’est pour cela que je voulais que tu le déconnectes, pour faire disparaître ce que tu m’as fait.

— Je… » Mari suspendit sa phrase pour analyser ce que le mage venait de lui dire. « Tu crois que je t’ai fait quelque chose, c’est ça ? En utilisant ce fil métaphorique… Tu crois que c’est moi qui ai créé le fil qui n’existe pas ?

— Je ne vois pas d’autre explication. Je ne cesse de penser à toi. Tu me fais me souvenir de choses qui devraient rester oubliées. Lorsque tu es en jeu, je commets des actes que jamais je ne commettrais dans d’autres circonstances. » L’énoncé atone du mage se teinta d’une pointe accusatrice. « Je ne sais pas comment tu as fait ça. J’ai pensé que si je te rendais l’aide que tu m’as offerte, je serais délivré de cette influence inexplicable que tu exerces sur moi. Mais cela n’a pas l’air de marcher ; en plus, tu affirmes être incapable de briser ce lien. »

Mari se rendit compte qu’elle dévisageait le mage, bouche bée.

« Est-ce que tu es sérieux ?

— Que voudrais-tu que je sois d’autre ?

— Tu prétends que je t’ai jeté un sort qui contrôle tes pensées et tes actes ?

— Pourquoi sinon serais-je ici ?

— Parce que c’est la bonne chose à faire !

— La quoi ? Je doute toujours du sens de “la bonne chose”… » Des traces de perplexité apparurent de nouveau dans ses intonations.

« Écoute… mage Alain ! Je ne… jette pas de sorts sur les garçons ! Ni sur les hommes ! Ni sur qui que ce soit ! Je ne sais pas pourquoi tu as l’impression de penser à moi, cependant je peux t’assurer que cela n’a rien à voir avec moi qui pense à toi ou qui essaie de te persuader que tu veux penser à moi ! »

Il la regarda fixement un long moment avant de reprendre la parole.

« Je n’ai pas tout suivi.

— Très bien, lâcha-t-elle, avec un sentiment d’impuissance. Pour faire court, tes pensées et tes actes n’émanent que de toi. Je n’y suis pour rien.

— Alors pourquoi le fil nous lie-t-il ? Pourquoi est-ce à toi que je pense tout le temps ? Pourquoi est-ce toi que je veux aider ? Cela n’arrive pas avec les autres. Seulement avec toi. »

Oh, non. Un mage avait le béguin pour elle. Qu’avait-elle donc fait pour mériter de se retrouver au fond d’un donjon avec un mage qui avait le béguin pour elle ? Pourquoi Alli n’était-elle pas près d’elle à cet instant pour l’aider à expliquer les choses ? Alli, elle, comprenait les garçons et les hommes. Bien mieux que Mari, en tout cas. Que dirait Alli au mage Alain ?

« Il ne s’agit pas de quelque chose que j’ai fait. Bon, d’accord, il y a peut-être des choses que j’ai faites et qui t’ont plu. Mais je ne les ai pas faites pour que tu penses à moi ou pour que tu fasses ceci ou cela.

— Qui m’ont plu ? Je ne suis pas tout à fait certain du sens de ce mot, non plus. »

Par les étoiles ! Elle devait s’exprimer le plus simplement possible.

« C’est parce que… tu es un garçon. » Mari se concentra pour choisir ses termes avec précaution. « Et il arrive parfois qu’un garçon… s’intéresse à une fille en particulier et il se peut, pour une raison tout à fait inexplicable qui m’échappe complètement, que tu… te sois intéressé à moi. »