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Le mage fronça les sourcils en réfléchissant à ce qu’elle venait de lui dire. Puis ses traits se détendirent. « L’amour. »

Mari le dévisagea, consternée.

« Quoi ?

— Nos doyens nous ont mis en garde contre l’amour, dit Alain d’une voix blanche. C’est une erreur des plus graves.

— Oui, s’empressa d’acquiescer Mari. Ils avaient absolument raison. Personne ne voudrait ne serait-ce que penser à… à ça.

— Mais qu’est-ce exactement ? insista le mage Alain. Est-ce que penser à quelqu’un, c’est de l’amour ?

— Non ! Quoi que tu penses, ça n’a rien à voir.

— Pourquoi es-tu si soucieuse tout à coup ? Tu es bien plus inquiète que tout à l’heure. Sens-tu les ennemis se rapprocher ?

— Oui. Ce doit être ça. Mais je n’entends plus rien maintenant, donc je peux me détendre. On va se détendre tous les deux, hein ? Tu sais quoi ? J’ai une idée : on va changer de sujet.

— Tu es dure, lâcha Alain, songeur.

— Nous sommes déjà tombés d’accord là-dessus.

— As-tu connu l’amour avec d’autres mécaniciens ? » Alain posa cette question sur le même ton qu’il aurait employé pour demander s’il allait pleuvoir ou non.

Mari prit une profonde inspiration.

« Non. Non que cela te regarde de quelque manière que ce soit. Mais non.

— Parce que tu es dure…

— Il y a sans doute une relation de cause à effet, oui. Où est-ce que tu veux en venir ?

— Tu es une épreuve, conclut Alain, d’un air triomphant. Quelque chose que je dois surmonter.

— Hmm… C’est loin d’être le plus beau compliment que j’aie jamais reçu, mais si ça t’aide à prendre conscience que tu n’es pas… amoureux… alors, c’est parfait. » Comment le faire penser à autre chose ? Tout en lui faisant clairement comprendre qu’elle n’était pas intéressée par ce genre de relation avec un mage, même si ce mage était Alain. Comment lui faire comprendre qu’ils n’avaient aucun avenir commun possible ?

« Hem, je ne sais pas quelles sont les directives que l’on t’a fixées, mais il m’a été formellement interdit de reprendre contact avec toi. »

Alain hocha la tête, impassible.

« Moi aussi, on m’a défendu tout contact avec toi.

— Eh bien, c’est vraiment… vraiment dommage. Dommage que nous ne puissions plus nous revoir une fois sortis de ce donjon. » Mari avait commencé sa phrase en jouant sur les intonations de sa voix pour paraître regretter la situation plutôt que de s’en réjouir. À sa grande surprise, elle n’eut guère besoin de forcer le trait, car c’était bien le regret et non le soulagement que ces mots firent jaillir en elle. Que lui arrivait-il ?

« En venant ici, j’ai déjà contrevenu aux instructions reçues, ajouta le mage Alain.

— Je ne peux pas dire que je regrette que tu sois venu. » Mari se sentait mal à présent : coupable de faire marcher Alain, honteuse de l’avoir repoussé alors qu’il lui avait permis de s’évader de sa cellule, et attristée en imaginant ce qu’avaient dû être ses années au sein de la guilde des mages pour qu’il fût ignorant de tant de choses. « Et je doute rapporter au superviseur de l’hôtel de ma guilde que nous nous sommes revus. J’ai l’impression que nous ne sommes pas très doués pour obéir aux ordres, toi et moi. »

Alain opina solennellement.

« Non, maîtresse mécanicienne Mari, nous ne sommes pas doués pour obéir aux ordres. »

Mari ne put réprimer un sourire. Si seulement Alain n’était pas un mage. Plus elle en apprenait sur lui, plus elle l’appréciait. Mais elle en savait si peu à son propos.

« Tu ne m’as jamais menti, n’est-ce pas ?

— Pas à ma connaissance.

— Pourquoi ne l’as-tu pas fait ? Après tout, chacun sait comment sont les mages. Et tu as été honnête au sujet de… enfin, tu sais, au sujet de ce que tu penses. »

Voilà ce qui l’avait désarçonnée dans ses paroles. Ce n’était pas un mécanicien au langage policé qui essayait d’accrocher un nouveau trophée à sa ceinture et qui était prêt à dire tout et n’importe quoi pour arriver à ses fins. Non. Alain disait simplement ce qu’il pensait, sans se réfugier derrière la politesse et les conventions sociales. Il ne semblait pas appréhender – à moins qu’on ne les lui eût pas enseignées – toutes les astuces qu’utilisaient les gens pour éviter de dire ce qu’ils avaient vraiment en tête. Non pas que je veuille connaître ses pensées ou ses sentiments… Ses sentiments. Il n’en parle jamais. Voilà ce qu’il dissimule. Il consacre autant d’énergie à cacher ses sentiments que nous en employons à masquer nos pensées.

« Moui… disons que je ne t’ai encore jamais pris en flagrant délit de mensonge. Tu accomplis des choses que je ne peux pas expliquer avec mes connaissances scientifiques. Pourtant, inexplicablement, je suis encline à te faire confiance. Pourquoi ? »

Mari aurait juré que le mage avait failli sourire.

« Sans doute parce que tu sais très bien cerner les gens. »

Pour quelqu’un qui dissimulait toujours ses émotions, il pouvait se montrer véritablement charmant.

« Ouais, ça doit être ça.

— Néanmoins, le vrai et le faux n’ont pas la même signification pour celui qui a étudié les arts magiques. Si tout ce que nous voyons est faux, où trouver la vérité ? Si les gens que nous pensons voir ne sont que des ombres dans l’illusion du monde, qu’importe ce que nous leur disons ? Aussi n’est-ce pas un problème de vérité et de mensonge ; la question est de savoir si l’un ou l’autre nous importe. Le choix de mes actes m’appartient. »

Mari observa le mage, mais il avait l’air parfaitement sérieux.

« J’ai l’impression d’entendre l’excuse idéale pour agir à sa guise.

— Cela peut le devenir très facilement, confirma le mage. Mais… » Il semblait peiner à trouver ses mots. « Je ne suis pas cette voie. »

Elle était soulagée de l’entendre. Avec pareils préceptes, il n’était pas étonnant que les mages fussent tristement célèbres pour abuser de toute femme qui aurait éveillé leur appétit.

Pourquoi, avec tout ce qu’on lui avait inculqué à propos des mages, toutes les histoires qu’elle avait entendues, n’avait-elle ressenti aucune révulsion à l’idée qu’Alain fût attiré par elle ? La réponse vint d’elle-même : parce que c’était Alain. Il avait cessé de n’être qu’un mage parmi d’autres. Il était devenu un être à part entière. Un être blessé. Quelqu’un qu’elle appréciait vraiment.

Peut-être que pour une telle personne, habituée à dissimuler ses émotions, la plus innocente des relations sentimentales paraîtrait écrasante. Peut-être que tout ce dont il avait besoin, tout ce qu’il voulait était un ami.

Elle pouvait être cette amie.

« Tant mieux pour toi, mage Alain. J’attache beaucoup d’importance à la vérité. Tout comme au fait d’être prêt à prendre des risques pour autrui, comme tu l’as fait pour moi. Mais si tu veux être mon ami, tu devras veiller à ne jamais me mentir. Nous devrons être honnêtes l’un vis-à-vis de l’autre.

— Je ne sais pas comment faire ce que tu dis, dit Alain avec un léger froncement de sourcils. Je ne sais qu’être moi-même.

— C’est bien. C’est parfait. S’il s’agit d’être celui que tu as été jusqu’à présent, alors continue à être toi-même. Le repos te fait-il du bien ?

— Je reprends des forces. » Alain frissonna en se demandant pourquoi, par moments, la conversation avec la mécanicienne prenait des tours compliqués. « Si j’étais plus âgé, je serais plus fort, mais je mettrais aussi plus de temps à récupérer. Compte tenu des circonstances, j’ai de la chance, je pense, d’être moi. »