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Ces paroles firent sourire Mari.

« Je dirais que nous avons tous les deux de la chance que tu sois toi. »

Elle s’adossa de nouveau contre le mur, ferma les yeux et relâcha les muscles de son visage, révélant une expression de fatigue mêlée de douleur. Celle-ci n’étonna pas Alain. Il avait vu l’arrière du crâne de la mécanicienne et le sang qui poissait ses cheveux. Malheureusement, il n’avait pas été initié aux arts de la guérison, mais si jamais il rencontrait la personne qui avait frappé la mécanicienne Mari, Alain savait qu’il userait des pouvoirs qu’il maîtrisait pour lui rendre la pareille. Même s’il ignorait l’origine de sa détermination, il était résolu à agir.

Au moins, il était certain d’une chose : ce n’était pas l’amour qui motivait ses actes. Quoi que l’amour fût d’autre qu’un état à éviter. La maîtresse mécanicienne Mari avait montré des signes évidents d’inquiétude quand Alain avait abordé le sujet et nié avoir fait l’expérience de l’amour avec d’autres mécaniciens. Donc, à eux aussi, on avait enjoint de fuir l’amour. Par conséquent, ce devait être quelque chose de très dangereux.

Pourtant, elle avait évoqué un autre point. Il la regarda longuement, sans bouger, tout en réfléchissant.

« Maîtresse mécanicienne Mari, pourrais-tu…

— Quoi ? Est-ce que tout va bien ? » Elle rouvrit les yeux, à nouveau remplis d’inquiétude. Il était si aisé de lire ses sentiments ; cependant, quelque chose y demeurait constamment imperceptible. Cela non plus, le mage Alain ne le comprenait pas.

« Oui. Tu as dit que je pouvais être… ami ?

— Bien sûr. C’est un peu étrange. Peut-être même très étrange. Mais tu es une chouette personne, mage Alain.

— Qu’est-ce que c’est qu’être ton ami ? »

Ces traits reprirent cette expression singulière, celle qui ressemblait à de la tristesse mâtinée d’une autre émotion, celle qui la faisait détourner les yeux. Cette fois, en plus du reste, elle battit rapidement des paupières.

« Pourquoi es-tu devenu mage ? demanda-t-elle soudain. T’es-tu porté volontaire ?

— Des mages sont venus chez mes parents quand j’étais bien plus jeune. Ils m’ont emmené dans un hôtel de la guilde.

— Oh. » Cette fois, la mécanicienne regarda par terre. « Alors, ce n’était pas ton choix.

— Non. Mais c’était ce qui devait être fait, car je possédais le don.

— Ouais », souffla-t-elle. L’espace d’un instant, autre chose parut la bouleverser, puis elle prit une profonde inspiration et lui sourit à nouveau, même si Alain perçut une blessure derrière ce sourire. « Bon. Eh bien, un ami est quelqu’un qui fait ce que tu as fait en venant à mon aide. Et ne va surtout pas croire que je ne te suis pas reconnaissante, qu’on réussisse ou non à sortir d’ici. Un ami t’aide, passe du temps avec toi, non parce qu’il y est obligé, mais parce qu’il en a envie. Un ami est quelqu’un à qui on pense de temps en temps et pour qui on souhaite faire des choses. » Elle prononça ces derniers mots avec un sourire qui lui sembla légèrement forcé.

Alain réfléchit attentivement à ce qui venait d’être dit. Est-ce que cela violait les enseignements de la guilde des mages ? Oui. Mais peut-être pas. Tout dépendait de la raison qui motivait ses actes. Tant qu’il était conscient que cette fille n’était qu’une ombre, quelle différence cela faisait-il qu’il choisît de l’aider ou de penser à elle ? Lorsqu’on aidait une ombre, quelqu’un qui n’existait pas, l’action elle-même ne devait être qu’une illusion.

« Ça me va.

— Très bien, alors. » Elle affichait désormais une expression différente, comme s’il avait dit une chose censée provoquer l’amusement. « Tu sembles vraiment enthousiaste à cette idée.

— Je semble toujours le même.

— C’est ce que j’ai remarqué, répondit la mécanicienne avec un autre sourire, qui se teinta d’anxiété à mesure qu’elle le fixa. Quoi ?

— Quelque chose ne va pas ?

— Tu me regardais comme si… je ne saurais dire, fit Mari en affermissant son sourire. Quand nous en aurons l’occasion, nous devrions parler un peu plus de ce que sont des amis. Et de ce qu’ils ne sont pas. »

Alain songea que s’il pensait à la mécanicienne aussi souvent, c’était parce qu’elle avait l’habitude de tenir des propos difficiles à comprendre.

« Pourquoi devrais-je savoir ce qu’une chose n’est pas ?

— Parce que… tu ne voudrais pas être amené à croire réelle une chose qui ne l’est pas véritablement, n’est-ce pas ? »

Alain, estomaqué, regarda Mari et se dit que sa surprise avait dû être visible.

« C’est un argument digne d’un mage. Il montre ta sagesse. J’ai toujours su que tu étais une mécanicienne pas comme les autres. »

Mari parut prise de court, incapable d’articuler une phrase.

« Je voulais dire… En fait, je devrais peut-être me taire. »

Une pensée traversa l’esprit d’Alain, l’explication de l’inexplicable.

« Le fil. Existe-t-il parce que nous sommes amis ? Je n’ai jamais entendu parler de quoi que ce soit de semblable ; cela dit, je ne connais pas d’autre mage qui ait des amis.

— Peut-être… C’est peut-être ça, en effet, dit-elle en retournant cette idée dans sa tête. Peut-être que, quand les mages se font des amis, ils le visualisent de cette manière. Comme un lien à quelqu’un d’autre. »

Un bruissement leur parvint du couloir. Ils se figèrent aussitôt, puis Mari glissa prudemment un œil à l’extérieur, arme au poing.

« Sans doute un rat », souffla-t-elle. Leurs regards se croisèrent et il lut la question dans ses yeux.

Chaque instant qu’ils passaient à attendre lui permettait de regagner des forces, mais augmentait également le risque d’être repris. Alain se leva lentement en mettant à l’épreuve l’étendue de sa puissance. La zone où ils se trouvaient regorgeait d’énergie dans laquelle il pourrait puiser, ce qui rendrait sa tâche un peu plus aisée. Serait-ce assez ? Il regarda la mécanicienne Mari, qui l’observait avec inquiétude et espoir – si faciles à lire sur son visage –, et soudain il sentit que sa réserve de forces était suffisante. Comme si l’énergie lui était parvenue par ce fil qui les reliait, même si ce n’était pas le cas. Néanmoins, d’une manière ou d’une autre, ce regain de puissance semblait en rapport avec le fil.

« Je suis prêt à tenter de passer l’alarme. Nous devons y aller. Je ne sais pas si le lever du jour est proche ou non. »

La mécanicienne le scrutait d’un air soucieux.

« Es-tu certain d’être prêt ? »

Elle avait été prévenante à l’extrême à son égard depuis l’instant où il avait failli tomber. Cela troublait Alain, même s’il s’employait à ne pas le montrer. Étrangement, c’était comme si la mécanicienne Mari avait été un doyen qu’il ne voulait pas décevoir.

« Je n’ai pas besoin de davantage de repos.

— Très bien. » Elle se leva en grimaçant, sans doute à cause d’une nouvelle vague de douleur à la tête.

Alain ne la ressentit pas comme lorsque son don d’augure était actif ; toutefois, une impulsion l’amena presque à grimacer lui aussi.

« À mon tour de nous guider pour franchir la zone du sort d’alarme.

— Ai-je trop tenu les rênes de notre tandem ? Je suis désolée. Ça m’arrive tout le temps. Je ne le fais pas exprès.

— Ce n’est pas ce qui est le plus difficile avec toi », dit Alain. À sa grande surprise, sa remarque lui valut un sourire. « Tu tiens bien les rênes. »