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Le mage prêta main-forte à la mécanicienne pour entasser une paire de paillasses au-dessus de celle déjà en flammes. Des panaches de fumée s’élevèrent en tourbillonnant et irritèrent les yeux et la gorge d’Alain tandis qu’il sortait à reculons à la suite de Mari. Le feu s’était propagé aux poutres du plafond et éclairait la fumée par le dessus. Les lourdes volutes noires commençaient à envahir le vestibule.

« Par ici ! » lui cria-t-elle en toussant d’une pièce qui faisait face à celle qu’ils venaient de quitter. Une cacophonie résonna soudain autour d’eux, le son se répercutant sur les murs. « Ça, c’est le renifleur. »

Alors qu’ils attendaient, la mécanicienne toussa à nouveau, les yeux humides.

« Mage Alain ? Il y a un facteur que j’ai oublié de prendre en compte. »

Alain serra les paupières pour chasser ses larmes, mais l’irritation provoquée par les volutes âcres troublait sa vision.

« Comment ça ? demanda-t-il, en toussant à son tour.

— La fumée. Elle se répand plus vite que les flammes. Nous avons moins de temps que je ne pensais. Si les gardes ne descendent pas rapidement, elle nous tuera.

— Ce serait malencontreux, en effet. Ainsi, tu t’es trompée, toi aussi ?

— Oui. Je me suis trompée. Espérons que ce ne soit pas une erreur fatale. Je déteste quand ça arrive. »

Mari venait de tenter un sarcasme de plus, mais sa peur était évidente malgré ses airs bravaches : les émotions rayonnaient de la mécanicienne comme la chaleur du feu. Alain, qui faisait appel à son entraînement pour garder ses propres peurs profondément enfouies, s’inquiétait pour elle.

« Maîtresse mécanicienne Mari, le moment est-il opportun pour qu’un ami offre son aide ?

— S’il est en mesure de le faire, oui.

— La mort n’est qu’une transition d’un rêve à un autre. Elle n’est rien qu’un nouveau voyage. »

Elle le regarda en clignant des yeux, inondés de larmes à cause de la fumée.

« Merci. Cela ne m’aide pas beaucoup, mais merci d’avoir essayé. Je… »

Les mots de la mécanicienne furent interrompus par des cris venant de l’autre côté de la porte fermée, accompagnés de grincements et de cliquetis.

« Ils libèrent le verrou », souffla Mari.

Quelques instants plus tard, le battant heurta le mur et un groupe de soldats chargés de seaux d’eau s’engouffrèrent dans le vestibule. La chaleur et la fumée les assaillirent, le nuage noirâtre s’étira pour envahir le nouvel espace offert par la porte ouverte et les hommes refluèrent.

Sentant qu’on l’attrapait par le bras, Alain se laissa entraîner vers le bas, puis en direction de la sortie. La fumée était moins dense au niveau du sol. Accroupie pour être presque à ras de terre, la mécanicienne Mari avança vers l’ouverture en s’efforçant d’éviter les gardes, sans jamais relâcher son étreinte. Les soldats couraient de-ci de-là dans une apparente confusion pendant que quelqu’un hurlait des ordres. Ils heurtèrent les jambes de plusieurs hommes, trop désorientés pour réagir, et arrivèrent à la porte. On pressait un autre détachement de la garde à investir le vestibule, leur masse occupait toute la largeur du passage et coupait toute possibilité de fuite. Alain laissa Mari, le visage baigné de larmes, la main collée sur la bouche, le guider vers un recoin où ils s’accroupirent alors que le rugissement des flammes gagnait en volume derrière eux. Lui-même avait bien du mal à respirer et se demandait combien de temps ils tiendraient encore tous les deux.

Le groupe de gardes quitta l’embrasure de la porte, obéissant aux injonctions de leur chef. Les hommes jetèrent l’eau au hasard dans toutes les directions avant de repartir au pas de course vers l’extérieur. Une fois de plus, Alain laissa Mari diriger les opérations et la mécanicienne le mêla à l’escouade qui remontait un long escalier. Il entraperçut brièvement le commandant de la garde qui hurlait des malédictions, puis un panache de fumée tourbillonna dans l’escalier et lui bloqua la vue.

Grimpant les marches quatre à quatre dans le sillage de Mari, Alain éprouvait une difficulté croissante à garder son souffle. Le manque d’air ajouté à la faiblesse induite par ses efforts de la nuit lui faisait tourner la tête. Pendant un instant, il crut avoir perdu la mécanicienne dans l’épaisse fumée, mais elle surgit soudain devant lui et l’empoigna à nouveau pour l’entraîner à sa suite. Savoir qu’elle avait rebroussé chemin vers le danger pour s’assurer de sa survie força Alain à avancer autant que l’énergie qu’elle y mettait.

Au moment où il craignait de perdre connaissance, ils atteignirent un petit palier. Puis ils passèrent une porte et contournèrent un coin de mur. À cet endroit, l’air au niveau du sol était dépourvu de fumée ; s’infiltrant par l’embrasure, cette dernière rampait sous le plafond au-dessus d’eux. Alain chercha à reprendre son souffle, entre deux quintes de toux. Il remarqua la mécanicienne Mari lovée en position fœtale qui s’étouffait en crachant ses poumons. Mû par un souvenir flou, Alain rampa à ses côtés et entreprit de taper son dos du plat de la main.

Les quintes de toux de la mécanicienne cessèrent et elle respira à nouveau. Elle attrapa sa main.

« C’est bon. Merci. »

Il la regarda à travers le voile de larmes qui emplissaient ses yeux.

« Tout à l’heure, dans l’escalier, tu es revenue pour moi.

— Tu ne m’avais pas crue ? Je ne laisse personne à la traîne, Alain. »

Elle venait de l’appeler par son seul prénom, en omettant le titre de mage. Il aurait dû objecter ; pourtant, au lieu de cela, il fut pris de l’envie de lui rendre la pareille.

« Je te ferai confiance la prochaine fois… Mari.

— C’est bien. Tu apprends vite. »

Elle scruta le hall où ils se trouvaient. Des gens paniqués couraient dans tous les sens. Nul ne parut noter la présence d’une mécanicienne et d’un mage allongés sur le sol. Un grand nombre de personnes devaient travailler de nuit dans ce bâtiment, mais certainement pas autant que durant la journée.

« Sais-tu comment quitter les lieux ?

— Je suis entré en traversant les murs.

— La réponse est donc non. » Mari se redressa pour se mettre à quatre pattes. « Eh bien, éloignons-nous le plus possible du feu avant qu’un de ces communs commence à faire marcher son cerveau et à se demander ce que nous fichons par ici. Ce chemin ne me semble pas pire qu’un autre. »

Ils se mirent à ramper en prenant soin d’éviter les autres occupants qui les dépassaient hâtivement. La fumée se raréfia à mesure qu’ils tournaient dans les couloirs, mais le brouhaha de l’activité derrière eux ne faiblissait pas. Mari se remit sur ses pieds, l’aida à se relever à son tour et ils reprirent leur progression en titubant. Quelques communs s’arrêtèrent pour les dévisager, mais un regard assassin de Mari leur fit illico continuer leur route.

Quelque chose s’effondra dans les tréfonds du bâtiment, qui fut parcouru d’un frémissement. Un instant plus tard, d’épaisses volutes grisâtres envahirent le large couloir où ils se tenaient. Alain ne parvenait pas à chasser l’idée que la fumée les poursuivait, car le feu refusait de les laisser échapper à son étreinte.

Mari observa cette nouvelle vague de fumée, mais au lieu de fuir elle s’agenouilla aussitôt et appuya sa paume par terre. Elle se redressa promptement, l’air préoccupée.

« Le sol est chaud. Cela signifie que le feu se répand rapidement sous nos pieds. Nous devons sortir de cette bâtisse. Vite. Par ici ! »

Ils trouvèrent la force d’accélérer et, trottant cahin-caha, ils rejoignirent l’extrémité du long corridor. Alain se rendit compte que la fumée n’arrivait pas uniquement de derrière : elle jaillissait en geysers de petites fissures apparues sur le sol.