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« C’est maîtresse mécanicienne Mari », le corrigea-t-elle.

Stimon laissa un sourire hypocrite s’épanouir sur ses lèvres.

« Maîtresse mécanicienne Mari.

— Serai-je escortée jusqu’à la gare ? »

Elle connaissait d’avance la réponse à cette question, mais elle voulait l’entendre de sa bouche.

« Non. Vous pouvez vous y rendre seule, siffla-t-il, le sourire toujours accroché aux lèvres.

— Même après les récents événements ? Vous ne pensez toujours pas que je suis en danger à Ringhmon ?

— Vous avez vos ordres. Pour le bien de la guilde », dit Stimon calmement.

Comment peut-il faire ça ? Il ne peut pas douter une seconde que je sois en danger. Me tendre une embuscade sur le chemin de la gare serait un jeu d’enfant. On dirait que Stimon ne veut pas uniquement que je vide les lieux, mais que je sois également… morte ? Non. C’est impossible. Impossible ?

La guilde ne ferait jamais…

La guilde m’a menti au sujet des mages.

Combien d’autres mensonges a-t-elle proférés ?

« Y a-t-il autre chose ? » demanda le superviseur, d’un ton où sourdait l’impatience.

Mari secoua la tête, inquiète que toute parole supplémentaire pût sonner son glas.

« Bien. La guilde a néanmoins une dernière question à vous poser. Vous avez été vue en train de traîner quelqu’un hors du bâtiment pendant l’incendie. Vous n’avez pas fait mention de cette personne dans votre rapport. Qui était-ce ? »

Mari se demanda comment Stimon savait cela. Au minimum, cela impliquait qu’il disposait d’espions qui surveillaient le palais du gouvernement. Des espions qui avaient dû le prévenir qu’elle n’était pas ressortie de l’édifice le soir précédent. Quoique n’en ressentant nulle anxiété, Mari n’avait aucune intention de dévoiler l’identité de celui avec qui elle était.

Elle haussa les épaules d’un air aussi détaché que possible.

« Un jeune homme. Il a sauté par la fenêtre et a atterri dans des buissons. Puisqu’il semblait avoir besoin d’aide, je l’ai traîné à l’abri.

— Où est donc ce jeune homme à présent ?

— Je n’en sais rien. Après avoir repris ses esprits, il est parti. Je devais pour ma part rentrer à l’hôtel de la guilde. Il n’était pas sous ma responsabilité. »

Mari soutint le regard de Stimon avec tout l’aplomb qu’elle put mobiliser. Elle avait déjà eu l’occasion de mentir à ses supérieurs, notamment sur ses escapades nocturnes hors des baraquements des apprentis, mais jamais à propos de quelque chose d’aussi grave.

« Très bien. Allez-y. » Stimon accompagna ses paroles d’un geste de la main. « Je ne veux plus vous revoir. »

Sonnée, Mari sortit du bureau du superviseur et trouva, qui l’attendait, la mécanicienne émérite à la sempiternelle mine revêche. Une fois de plus, Mari fut escortée à travers l’hôtel, jusqu’aux locaux de service où on lui octroya quelques instants de solitude pour se changer et faire nettoyer ses vêtements empuantis par la fumée et la cendre qui s’y étaient déposées. La mécanicienne émérite invoqua l’autorité du superviseur afin d’obtenir un service éclair.

« J’ai besoin de manger quelque chose », demanda instamment Mari alors qu’elles attendaient que la blanchisserie terminât son travail.

Elle fut conduite aussitôt au réfectoire pour un petit-déjeuner tardif et installée seule à une table pendant que, non loin, la mécanicienne émérite s’occupait de la paperasserie. Les autres mécaniciens évitèrent de regarder dans sa direction.

Pourtant, en relevant le nez de son assiette, elle surprit Cara et Trux qui la fixaient, l’air inquiet. Trux lui adressa un sourire d’encouragement en brandissant discrètement les pouces ; Cara et les autres mécaniciens attablés avec eux hochèrent la tête. Puis ils détournèrent les yeux très rapidement, avant qu’un mécanicien émérite ne remarque leurs mimiques. J’imagine que je ne suis pas complètement seule, mais que tous les autres sont trop effrayés pour agir. Peut-être ont-ils plus de bon sens que moi. Peut-être ? Reconnais-le, Mari, il n’y a aucun « peut-être » qui tienne.

Un apprenti entra en portant ses vêtements propres, suivi par un mécanicien émérite visiblement contrarié. Mari se prépara à une nouvelle volée de bois vert, mais, au lieu de se diriger vers elle, l’homme fondit sur la mécanicienne qui l’avait chaperonnée et lui parla d’une voix basse où pointait le mécontentement. La jeune femme reconnut en lui celui qui avait enregistré son rapport suite à l’incendie et qui avait réveillé le guérisseur pour qu’il traite ses blessures. Le mécanicien émérite gesticulant régulièrement dans sa direction, elle perçut des bribes de ce qu’il disait à son homologue féminin. « Ce n’est pas une manière de traiter… les règles ne permettent pas… sécurité d’un mécanicien… Je proteste… »

Mais la mécanicienne émérite le fusilla des yeux, ses paroles se révélant à peine audibles pour Mari. « Le bien de la guilde… ordres du superviseur… »

Tandis que les deux mécaniciens émérites débattaient, l’apprenti déposa la pile de vêtements et coula un regard fébrile vers eux.

« Ma dame », souffla-t-il.

Mari prit le temps de le détailler plus attentivement. C’était lui qu’elle avait rencontré à l’entrée de l’hôtel de la guilde… la veille ? Non, l’avant-veille.

« Ma dame, répéta l’apprenti en faisant mine de s’affairer sur les habits. Vous prenez bien le train cet après-midi ? »

Elle acquiesça d’un hochement de tête.

« Le mécanicien Pradar m’a chargé de vous prévenir que le superviseur vient d’annuler l’envoi de matériel de la guilde prévu dans cette rame. »

Mari se lécha les lèvres nerveusement tout en jetant un œil inquiet vers les deux mécaniciens émérites qui se querellaient.

« Qu’est-ce que cela signifie ? demanda-t-elle.

— Je ne sais pas. Le mécanicien Pradar a dit que ce serait trop dangereux qu’il vous parle en personne, mais il voulait que je vous remercie de sa part, une fois de plus. Prenez soin de vous, ma dame. »

Alors que l’apprenti reculait, le mécanicien émérite toisa son alter ego féminin en fronçant les sourcils.

« C’en est trop. Je vais consigner mon opposition par écrit.

— Si vous voulez en supporter les conséquences, répondit froidement la femme.

— Ce qui me soucie davantage, c’est de ne plus supporter de me regarder dans un miroir », répondit-il avant de tourner les talons. Il s’arrêta devant Mari, hésita, puis lança d’une voix encore plus forte : « Merci, maîtresse mécanicienne, pour les services que vous avez rendus à la guilde. »

Une vague d’applaudissements s’éleva dans le réfectoire tandis que le mécanicien émérite quittait les lieux à grands pas, et mourut dès que la femme pivota pour identifier les coupables. Mari savait que les applaudissements ne lui étaient pas destinés, puisque aucun des autres mécaniciens présents dans la salle ne pouvait savoir ce qu’elle avait accompli dans cette cité pour la guilde. Ils étaient une marque de soutien au mécanicien émérite qui osait prendre la défense de simples mécaniciens.

Elle baissa les yeux vers la table, en songeant à l’apprenti qui avait couru le risque de lui transmettre un avertissement ambigu, au mécanicien émérite qui avait sans doute mis en péril sa propre carrière par son dévouement à vouloir empêcher tout mauvais traitement infligé à de simples mécaniciens, et à tous les mécaniciens qui étaient terrifiés, mais bien conscients qu’elle était de leur côté. Elle eut une pensée pour le mécanicien Rindal, l’oncle de Pradar, qui avait disparu parce qu’il remettait en cause la politique de la guilde. Oui, j’ai encore bien des choses à apprendre, mais comment tout ceci peut-il se justifier ? Comment ces politiques peuvent-elles servir les intérêts de la guilde ? Pourquoi ne pas me dire les véritables raisons qui se cachent derrière ? Pourquoi ne pas laisser ceux qui aiment notre guilde œuvrer pour son bien ?