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— J’ai déjà étudié ceux-là.

— Vraiment ? Voilà qui est surprenant pour quelqu’un d’aussi jeune. » Elle se tint immobile un moment, hésitante, puis vint se rasseoir sur sa chaise. « Il n’y a rien dans ces textes qui soit susceptible de nous aider. Je le sais. Et maintenant, à nous. »

Alain n’avait pas imaginé un seul instant que, dès son arrivée, il aurait à remplir des obligations envers sa guilde, qui l’empêcheraient de voir Mari le lendemain soir. Mais elle comprendrait sûrement si cela venait à se produire.

« Je me joindrai au groupe de recherche que, selon vous, je pourrai servir au mieux. »

La doyenne cligna des yeux, avant de lui offrir un véritable sourire rassurant.

« Non. Les dragons sont un danger que seuls les plus expérimentés d’entre nous doivent affronter. Quant à d’autres services, je ne peux vous proposer aucun emploi dans un avenir immédiat. Les habitants de cette cité et de ses alentours accusent la guilde d’être responsable de la calamité qui s’abat sur la région et refusent tout contrat jusqu’à ce que nous mettions fin aux exactions de ces créatures magiques.

— Dame mage, honorée doyenne, permettez-moi d’officier aux côtés des mages plus expérimentés.

— Non, mage Alain.

— Je n’ai pas besoin d’être protégé. Je peux protéger et servir les intérêts de la guilde.

— Oui, oui. » Les doigts de la mage tambourinèrent sur le bureau. « J’ai vu le rapport qui relate la façon dont vous avez tenté de défendre la caravane. Vous ne saviez pas qu’il nous avait été envoyé ? Les doyens de l’hôtel de la guilde à Ringhmon ont voulu nous informer de vos actions. C’est très bien que vous n’ayez pas été découragé par l’échec, mais vous devez redoubler d’efforts pour maîtriser la sagesse et nos arts. » Elle scruta son visage. « Et cette mécanicienne qui vous a suivi partout dans la ville. Voilà une affaire étrange. Soyez content d’être loin d’elle désormais. Quel que soit le mauvais tour que fomentait cette petite friponne sournoise, vous en voilà préservé, ainsi que des autres tentations qui pullulent à Ringhmon. »

Ainsi, l’hôtel de la guilde à Ringhmon avait utilisé un mage messager pour adresser un rapport à son sujet à l’hôtel de Dorcastel avant même son arrivée.

Alain aurait dû se sentir flatté par tant d’attention, sauf que même cette doyenne, avec son humanité si hors norme pour la guilde, y avait lu des choses qui le présentaient comme inapte à assumer pleinement ses devoirs de mage. En outre, sans l’ombre d’un doute, elle partageait l’opinion de ses homologues de Ringhmon sur le danger que constituait pour lui une mécanicienne.

« Doyenne, je peux aider la guilde à résoudre ce problème.

— Mage Alain, reposez-vous, étudiez et soyez prêt si cet hôtel devient la cible des dragons. Le jour où cela arrivera, nous aurons besoin de tout le monde capable de lancer des sortilèges.

— Informerez-vous les autres doyens que je suis disposé à les assister dans leurs recherches ?

— Très bien, mage Alain. » Elle hocha la tête d’un air approbateur. « Votre dévouement aux intérêts de la guilde sera noté. »

Alain se fit l’effet d’être un escroc tandis qu’une vision de « la petite friponne sournoise » Mari lui envahissait l’esprit, mais la guilde lui avait appris à masquer même les pires de ses émotions et son interlocutrice ne semblait pas faire très attention à ses réactions.

Il commença à se lever, puis se rassit. Cette doyenne n’était pas comme les autres qu’il avait eu l’occasion de rencontrer. Peut-être serait-elle encline à lui répondre sur des points qui seraient balayés par ses pairs.

« Celui-ci a des questions. »

Pendant un bref instant, une expression de plaisir s’afficha sur le visage de la doyenne. Alain supposa qu’elle n’enseignait plus depuis quelque temps. Il était même probable qu’elle l’accueillait parce que tous les autres doyens étaient partis à la recherche des dragons.

« Celle-ci écoute.

— Doyenne, connaissez-vous le don d’augure ?

— L’augure ? » La vieille mage redoubla d’attention. « Pourquoi cette question ? Avez-vous également ce don ?

— Depuis fort peu de temps, honorée doyenne. Récemment, il m’a apporté une vision que je suis incapable de comprendre.

— Ah. » Elle opina du chef. « Une vision. Et vous avez demandé à d’autres doyens des informations à propos de ce don et ils vous ont répondu que ce n’était pas un art digne d’un mage, n’est-ce pas ?

— En effet. On m’a dit qu’il mettrait en péril ma quête de sagesse et que je ne devrais jamais évoquer ce que j’avais vu avec quiconque.

— Sottises ! J’ai moi-même cherché à approfondir ma connaissance de l’augure, jeune mage. Quoi qu’aient pu en dire les autres. Je ne suis plus aussi forte que je l’étais jadis, mais je n’ai pas perdu la sagesse et mes sortilèges fonctionnent parfaitement. » Elle darda sur Alain un regard interrogateur. « Vous êtes-vous vu vous-même dans la vision ? Non ? C’est important. Quand vous vous voyez vous-même, cela signifie que vous voyez ce qui pourrait être, une probabilité de ce qui pourrait advenir si vous suivez scrupuleusement toutes les étapes qui vous feront parvenir jusqu’à ce futur. Dans un tel cas de figure, il est possible, si vous faites de mauvais choix, que vous ne surviviez pas pour accomplir cette destinée. Mais d’autres doyens vous ont enjoint de ne pas mentionner votre vision, n’est-ce pas ? Qu’y avez-vous donc vu ? »

Alain prit un moment pour se remémorer ce souvenir et se concentrer sur les détails.

« Un second soleil était présent dans les cieux, en butte à une violente tempête qui essayait de l’éteindre. »

La doyenne l’observa longuement en silence avant de reprendre la parole.

« Un second soleil ? Une violente tempête ? Est-ce que cette vision vous a insufflé un sentiment d’urgence, jeune mage ? »

Alain parvint à peine à cacher la surprise que cette question avait provoquée chez lui.

« Oui. La tempête avançait rapidement. Je me sentais poussé à l’action, même si j’ignorais ce que j’étais censé faire. »

La doyenne acquiesça, une expression ombrageuse sur le visage.

« Et cette vision était-elle apparue spontanément ? Sans que rien ne se trouve à côté ? »

Elle l’avait interrogé comme si elle ne doutait pas un instant qu’il lui répondrait par l’affirmative.

Pourtant, Alain secoua la tête.

« Il y avait une ombre. La vision est apparue au-dessus d’elle. »

Cette fois, elle mit longtemps à poursuivre.

« Une ombre. La vision était proche de cette ombre ? »

Il hésita et fouilla sa mémoire.

« Oui. Juste au-dessus d’elle. La vision était focalisée sur elle. Je n’ai aucun doute à ce sujet.

— Elle. » La vieille mage se mordit les lèvres, les yeux rivés sur la table, ses émotions impossibles à cerner. « La vision était focalisée sur elle ? Sur cette ombre-femme ? En êtes-vous vraiment certain ?

— Oui, doyenne. »

Du temps s’écoula avant qu’elle ne reprît la parole, à tel point qu’Alain crut l’entretien terminé. Et quand elle le fit, elle surprit le jeune homme en lui posant une nouvelle question.

« Jeune mage, avez-vous entendu parler d’une prophétie très répandue chez les ombres ? À propos de celle qu’ils appellent la descendante ?

— Non.

— Cette prophétie a été énoncée il y a fort longtemps et les ombres en ont eu vent, on ne sait trop comment. »

La doyenne se recula sur son siège, les yeux perdus dans le vague, comme scrutant le passé.

« Ils parlent d’une descendante d’une ombre autrefois connue sous le nom de Jules de Portjulien. Ils sont persuadés que cette descendante renversera la guilde des mages et celle des mécaniciens. Ils croient en cette prophétie, mais ils ne la connaissent pas en entier. »