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« Saisissez-la », grogna quelqu’un. Des mains attrapèrent les siennes et les forcèrent à passer derrière son dos tandis que son agresseur desserrait légèrement son étau. Mari laissa tomber son sac à outils, elle se tordit, une main échappa à ses adversaires et elle lança un coup de poing au visage de l’un d’eux, qui se recula à la hâte.

Le costaud qui la tenait raffermit sa prise. Mari sentit le désespoir l’envahir. Il y avait au moins deux autres hommes dans la pièce et elle ne pouvait frapper efficacement aucun d’eux. Une fois ligotée, elle serait à leur merci.

« Elle est censée avoir un pistolet, lâcha le colosse. Fouillez-la. »

Un de ses complices fit courir ses doigts sur Mari et sourit de toutes ses dents en voyant l’indignation se peindre sur ses traits.

« Alors, fillette ? Pas l’habitude de sentir des mains d’homme sur toi ? Tu vas peut-être aimer ça. »

Ce fut la goutte qui fit déborder le vase.

Mari se contorsionna à nouveau, surprise par sa propre force qui prit ses ravisseurs au dépourvu. Sa jambe monta et sa botte cueillit au ventre l’individu qui la fouillait. Alors qu’il basculait en arrière avec un grognement de douleur, les autres rugirent de colère, mais, malgré le vacarme, Mari entendit une voix familière dont les intonations étaient chargées de calme et d’assurance, même si elles ne laissaient paraître aucune émotion.

« Ferme les yeux. »

Elle sentit l’espoir renaître et obéit. Quelques secondes plus tard, un flash de lumière aveuglante inonda la pièce, l’éblouissant même à travers ses paupières closes. Les cris de fureur se muèrent en détresse. Un bruit sourd résonna, et les bras du costaud qui l’entravait se ramollirent. L’homme tomba en manquant l’entraîner dans sa chute.

Mari se tourna, fusillant du regard le troisième individu qui titubait en clignant des yeux. Elle pivota sur un pied en se penchant en arrière et lui asséna un coup violent sous le plexus. La brute se plia en deux, en suffoquant. L’instant suivant, elle lui envoya sèchement son pied dans la tête, ce qui le propulsa en diagonale vers une poutre que son crâne heurta de plein fouet. L’homme s’effondra et ne bougea plus.

Cela en laissait au moins un. Mais tandis qu’elle se retournait pour affronter le premier type qu’elle avait frappé, Mari vit Alain se jeter sur lui, le cogner en plein torse et le faire basculer par la fenêtre. Le verre se brisa, les rideaux se gonflèrent et le brouhaha de l’émeute sur le port gagna soudainement en volume. Alain se remit debout et regarda dehors, main en visière, avant de reculer. « Il s’enfuit », dit-il d’une voix impassible.

« Tu ne l’avais pas en ligne de mire ? » demanda Mari, tremblant de peur et de rage en réaction à la tentative d’enlèvement. Elle dévisagea Alain qui ne semblait pas perturbé par les récents événements.

« J’aurais pu aisément déplacer la chaleur sur lui. J’ai choisi de ne pas le faire, même s’il n’est rien. J’ai pensé que tu n’aurais pas voulu que je le fasse. »

Elle recouvra la maîtrise de sa respiration, en se rappelant les cadavres des bandits dans la Désolation, victimes de la chaleur qu’Alain avait créée.

« Tu as raison. Même si, l’espace d’un instant, j’ai voulu le laminer, alors qu’il ne représentait plus aucun danger pour moi… pour nous, j’aurais eu beaucoup de mal à vivre avec ce poids. D’où viens-tu ?

— Plus tard. Nous devons partir d’ici. Ces trois-là pourraient avoir des complices dans les parages.

— C’est vrai. Bien vu. » Mari examina son agresseur en se penchant pour ramasser son sac. L’homme était imposant, comme elle l’avait supposé ; vêtu d’un uniforme de travailleur portuaire, il gisait sans connaissance. « Est-ce toi qui as fait ça ? Quel genre de sortilège as-tu utilisé ? »

Alain brandit un pavé de la ruelle adjacente.

« J’ai utilisé un élément de l’illusion. »

Mari ne put réprimer un large sourire.

« Tu as utilisé un pavé imaginaire pour frapper mon ravisseur imaginaire sur sa tête imaginaire, c’est ça ?

— C’est exact. Tu apprends la sagesse, dit-il avec sérieux. Il est important d’observer l’illusion autour de soi afin de l’employer au mieux au service de ses objectifs, ajouta-t-il comme s’il récitait une leçon. Connais-tu cette ombre qui te tenait ?

— Non. Je ne crois pas l’avoir jamais vu. Je ne reconnais pas les deux autres non plus. »

Alain ouvrit la porte d’un coup sec et Mari le suivit dans la ruelle. L’affrontement semblait s’étendre et prendre de court la garde urbaine en charge de la zone portuaire. Il n’y avait pas d’aide à attendre de ce côté-là. Alain et Mari se faufilèrent le long des façades des entrepôts, parvinrent à s’extraire du chaos de l’émeute et coururent sur les quais, jusqu’à un espace suffisamment dégagé pour leur permettre d’apercevoir d’éventuels poursuivants. Ils s’arrêtèrent pour souffler. Nul ne les avait apparemment pris en chasse.

Mari se rendit compte qu’elle tremblait de nouveau et s’efforça de se calmer.

« Personne ne m’a dit qu’il y avait des enlèvements à Dorcastel.

— Personne ne me l’a dit non plus, glissa Alain d’une voix neutre qui, en l’occurrence, semblait inappropriée plutôt que rassurante.

— Je doute que quiconque se risquerait à enlever un mage. Pas plus d’une fois, en tout cas. Mais, en ce qui me concerne, j’ai la sensation d’attirer les tentatives de rapt comme un aimant.

— Qu’est-ce qu’un aimant ? »

Mari chercha les mots pour expliquer un phénomène qui, à ses yeux, était toujours allé de soi.

« C’est un morceau de métal qui attire d’autres morceaux de métal en utilisant des lignes de force invisibles. »

L’expression d’Alain trahit son intérêt.

« Ce métal utilise du pouvoir pour attirer d’autres objets à lui ? Je ne savais pas qu’une fraction de l’illusion était capable de cela.

— Non. Ce n’est pas un truc de mage. C’est de l’électromagnétisme, qui est une force invisible qui… euh… provoque… certaines choses. Pourquoi, expliquée comme ça, une connaissance qui fait partie intégrante des enseignements des mécaniciens donne-t-elle l’impression d’être aussi semblable à ce que tu m’as décrit de la manière de procéder des mages ? C’est bizarre. Cela dit, personne ne peut recourir à l’électromagnétisme juste en… juste en y pensant. Cela requiert un équipement spécifique. Au fait, comment t’y es-tu pris pour entrer dans cette pièce sans être vu ?

— Un sort de protection. Le même que j’ai employé dans le défilé, si tu t’en souviens, quand je suis descendu chercher de l’eau. Il consiste à courber les rayons de lumière pour qu’ils contournent le mage au lieu de tomber sur lui et révéler sa présence.

— Courber la lumière. Bien sûr. Pourquoi pas ? Et ce flash de lumière ?

— Un autre sort, qui change les ténèbres en une quantité de lumière équivalente.

— L’inverse de ce que tu as fait à Ringhmon ? Merci, Alain. Je ne sais pas ce que cet homme et ses complices avaient en tête, mais je te suis reconnaissante de les avoir stoppés. Tu es le plus merveilleux… » Arrête ça ! Arrête ! Ne le dis pas ! C’est un ami et c’est tout ce qu’il pourra jamais être ! Il vient de te sauver une fois de plus et tu n’as pas le droit de le payer de retour en t’accrochant à lui au prix de sa sécurité !