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Le sentiment d’urgence induit par la vision de la tempête qui approchait ne le quittait pas. Était-ce cela qui poussait Mari à l’action ? Cette sensation d’un danger imminent dont il fallait impérativement s’occuper ?

Alors qu’il cherchait un sujet de conversation pour changer les idées à Mari, il leva les yeux vers le ciel et vit la tapisserie des étoiles briller sur le voile noir de la nuit.

« Tu ne crois pas que les mécaniciens soient venus des étoiles, ainsi que le prétend ta guilde, n’est-ce pas ? »

Elle le fusilla du regard avant de prendre sur elle pour lui offrir un visage plus amical.

« N’avons-nous pas déjà eu cette discussion ? Officiellement oui, nous sommes des êtres supérieurs venus des étoiles. Personnellement, j’estime que tout ça a été inventé pour donner à la guilde une aura de puissance, de mystère ou de je ne sais quoi. Nos compétences mises à part, nous ne semblons différer en rien de Monsieur Tout-le-monde.

— As-tu entendu parler d’autres communautés qui pensent venir des étoiles ?

— Non. » L’agacement de Mari se mua en curiosité. « Pourquoi poses-tu cette question ? Ce n’est qu’un mythe ridicule.

— Peut-être… » Alain désigna le ciel au-dessus d’eux. « Il existe une singularité dans l’histoire. Tu m’as interrogé à propos des derniers siècles quand nous avons évoqué Tiae et les événements qui y sont rattachés. Mais, avant cela, nous connaissons l’existence de villes primitives, comme Tersage l’Ancienne, Larharbor et Altis, qui étaient bien plus petites qu’elles ne le sont aujourd’hui. Nous savons également que les gens ont quitté ces villes pour en fonder de nouvelles. Cependant, il n’est indiqué nulle part d’où étaient originaires les habitants de ces premières villes.

— Ils étaient originaires de… » Mari balaya de la main l’espace devant elle. « D’un peu partout autour de ces lieux.

— Il n’y a pas de villes plus anciennes, pas de villages, pas de ruines. Il n’y a que ces cités antiques. J’ai pris soin de vérifier cela lorsque j’étais de passage à Tersage. On n’a pas trouvé de traces de présence humaine plus anciennes que cette cité et ses quartiers originels dénotent une planification méticuleuse. L’extension de la ville ne s’est pas faite au hasard, comme c’est le cas quand aucune autorité n’est en charge de l’urbanisme. »

Mari dévisagea Alain avec perplexité.

« Vraiment ? C’est assez étrange. Comment une ville pleine d’habitants a-t-elle pu surgir de nulle part ? Je me demande si le continent de l’Ouest existe bel et bien, finalement, et si ces habitants n’en sont pas originaires. Mais si un tel lieu existait et que des gens le peuplaient, pourquoi n’ont-ils pas continué à affluer ?

— À moins qu’ils ne soient venus des étoiles.

— J’aurais besoin de preuves pour y croire. Et de toute façon, je ne vois pas quelle différence cela ferait. À supposer que nous soyons venus des étoiles, quelle importance cela a-t-il à présent ? »

Alain réfléchit à la question.

« Je ne sais pas. J’ai le sentiment que c’est important, d’une manière ou d’une autre, mais je ne saurais expliquer en quoi. Au moins, cela signifierait que, quelque part au milieu de ces points brillants que nous voyons, il y a des gens qui nous regardent tout comme nous les regardons. »

Mari leva les yeux.

« C’est fou de se dire ça. Est-ce que tu sais que de temps en temps tu es presque poétique, Alain ? Mais le problème que j’ai soulevé tout à l’heure demeure. Si nous sommes venus des étoiles, pourquoi personne d’autre ne nous a suivis ?

— Peut-être parce que le voyage est trop long ou trop difficile ?

— Ça, je veux bien le croire. Et puis, à quelle distance sont ces étoiles, hein ? La guilde décourage toute étude des cieux. Je me demande ce qu’il y a là-haut que je ne suis pas censée voir. Je n’arrive pas à imaginer que cela soit important, et si ça ne l’est pas, pourquoi la guilde refuse-t-elle que les gens scrutent les étoiles ? Je connais quelqu’un qui voulait construire un voit-au-loin qui aurait pu nous permettre de mieux observer la lune. » Calu, enthousiaste lorsqu’il leur avait dévoilé ses plans d’une version plus puissante de l’appareil que les mécaniciens utilisaient sur terre et sur mer pour observer à de longues distances. Calu, penaud lorsque des mécaniciens émérites lui avaient passé un savon pour expérimentations déplacées et gaspillage de temps et d’effort. « Il n’en a pas eu le droit. »

Mari baissa les yeux vers les rangées de barges le long des quais, puis elle se leva et étira ses membres engourdis par l’attente.

« Nous devons remettre la question des origines à plus tard. Tout est calme alentour. Que dirais-tu d’une promenade ?

— C’est parti. »

Alain vit le sourire dont elle le gratifia en l’entendant reprendre une de ses propres formules. Il avait pensé que cela plairait à Mari qu’il la prononçât. Étrange sentiment que celui d’anticiper correctement les réactions émotionnelles d’autrui.

Il s’étira à son tour et descendit à la suite de la jeune femme l’escalier de secours fixé à l’un des murs de l’entrepôt. Une fois sur le port, il dut accélérer le pas pour ne pas être distancé, car Mari marchait rapidement. Elle pouvait bien se plaindre que les autres se tournent vers elle à la moindre occasion, mais elle avait aussi l’habitude de prendre la tête des opérations.

« Nous devrions peut-être marcher plus lentement si nous voulons passer inaperçus », suggéra Alain.

Tous les oiseaux de nuit qu’ils avaient vus baguenauder dans les environs déambulaient avec la nonchalance de ceux auxquels les prochaines heures ne réservaient aucune obligation urgente.

Mari grommela dans sa barbe, mais ralentit considérablement le pas.

« Merci de me l’avoir fait remarquer.

— Merci à toi de m’écouter. »

Elle le regarda avec une expression étonnée.

« C’est vrai. Tes doyens ne t’écoutent pas non plus. Je te suis tellement reconnaissante de m’écouter que j’en oublie à quel point il est essentiel que je t’écoute aussi.

— Même quand tu l’oublies, tu m’écoutes. Et c’est très important pour moi. »

Mari marmonna d’un air gêné, puis fit un effort ostensible pour reporter toute son attention sur les barges.

« Que cherchons-nous, au juste ? demanda Alain. Simplement une barge ? Il y en a beaucoup. »

Elle réfléchit quelques instants avant de répondre.

« Nous cherchons une barge avec une ligne de flottaison basse. Tu vois, la plupart de ces embarcations ont une ligne de flottaison haute parce qu’elles ont été vidées de leur cargaison. Mais celle qui nous intéresse transporte pas mal d’équipements lourds à bord. » Mari hésita. « Je ne sais pas quoi te dire d’autre. Quand nous verrons une barge qui a la ligne de flottaison basse, nous l’examinerons de plus près ; alors, peut-être, remarquerons-nous autre chose. »

Ils parcoururent les appontements successivement, se déplaçant silencieusement d’une barge à l’autre. Les seuls bruits qu’ils entendirent furent des craquements de bois et le doux clapotis de l’eau, parfois ponctués de ronflements. Les embarcations variaient un peu par leur taille et étaient peintes de couleurs différentes, difficiles à distinguer dans les ténèbres nocturnes, mais, hormis ces deux critères, elles se ressemblaient toutes.