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— Non, décida Yezzan zo Qaggaz. Mais si vous parvenez à vaincre mon nain, vous aurez le prix que je l’ai payé, en or.

— Conclu », dit l’épée-louée. Les pièces culbutées furent ramassées sur le tapis et ils s’assirent pour jouer.

Tyrion remporta la première manche. Prünh gagna la seconde, pour le double des enjeux. Tandis qu’ils s’installaient pour une troisième manche, le nain étudia son adversaire. Brun de peau, les joues et la mâchoire couvertes d’une barbe courte de poils raides gris et blancs, le visage raviné par mille rides et quelques anciennes cicatrices, Prünh avait la mine aimable, en particulier quand il souriait. Le fidèle serviteur, décida Tyrion. L’oncle préféré de tout le monde, débordant de petits rires, de vieilles maximes et de sagesse un peu fruste. Tout cela était un masque. Ces sourires ne montaient jamais jusqu’aux yeux de Prünh, où la cupidité se cachait derrière un voile de prudence. Affamé, mais méfiant, celui-là.

L’épée-louée jouait presque aussi mal que le seigneur yunkaïi, mais il privilégiait la régularité et la ténacité sur la hardiesse. Ses dispositions d’ouverture changeaient à chaque fois, mais demeuraient pourtant identiques – classiques, défensives, passives. Il ne joue pas pour gagner, comprit Tyrion. Il joue pour ne pas perdre. La tactique avait fonctionné au cours de leur deuxième partie, quand le petit homme s’était trop dispersé sur un assaut imprudent. Elle n’opéra pas à la troisième, ni à la quatrième, ni à la cinquième, qui fut aussi leur dernière.

Vers la fin de cet ultime affrontement, avec sa forteresse en ruine, son dragon mort, des éléphants face à lui et de la cavalerie lourde qui prenait son arrière-garde dans un mouvement tournant, Prünh leva les yeux en souriant et déclara : « Yollo a encore gagné. La mort en quatre coups.

— En trois. » Tyrion tapota son dragon. « J’ai eu de la chance. Peut-être devriez-vous frictionner mon crâne un bon coup avant notre prochaine partie, capitaine. Un peu de cette chance pourrait déteindre sur vos doigts. » Tu perdras quand même, mais la partie y gagnera peut-être en intérêt. En souriant, il s’écarta de la table de cyvosse, reprit sa carafe de vin et recommença à servir, laissant un Yezzan zo Qaggaz considérablement enrichi et un Brun Ben Prünh considérablement appauvri. Au cours de la troisième partie, son titanesque maître avait sombré dans un sommeil aviné, sa coupe échappant à ses doigts jaunis pour répandre son contenu sur le tapis, mais peut-être serait-il content au réveil.

Lorsque Yurkhaz zo Yunzak, commandant suprême des forces yunkaïies, prit congé, soutenu par une paire de solides esclaves, il sembla donner aux autres invités le signal du départ général. Une fois que la tente fut vide, Nourrice réapparut pour annoncer aux serviteurs qu’ils pouvaient faire leur propre banquet avec les restes. « Dépêchez-vous de manger. Tout ceci devra être nettoyé avant que vous alliez dormir. »

Tyrion était à genoux, les jambes douloureuses et son dos ensanglanté hurlant de douleur, en train d’essayer d’effacer la tache de vin renversé laissée sur le tapis par le noble Yezzan, quand le factotum lui tapota gentiment la joue avec le bout de son fouet. « Yollo. Tu t’es bien comporté. Toi et ton épouse.

— Ce n’est pas mon épouse.

— Ta putain, alors. Debout, tous les deux. »

Tyrion se leva maladroitement, une jambe tremblant sous lui. Il avait les cuisses nouées, tellement saisies de crampes que Sol dut lui tendre la main pour l’aider à se remettre debout. « Qu’avons-nous fait ?

— Tant et plus, déclara le factotum. Nourrice vous a dit que vous seriez récompensés si vous satisfaisiez votre père, n’est-ce pas ? Bien que le noble Yezzan répugne à perdre ses petits trésors, comme vous l’avez vu, Yurkhaz zo Yunzak l’a convaincu qu’il serait égoïste de garder d’aussi cocasses gambades pour lui seul. Réjouissez-vous ! Pour célébrer la signature de la paix, vous aurez l’honneur de jouter dans la Grande Arène de Daznak. Ils seront des milliers à venir vous voir ! Des dizaines de milliers ! Et, oh, que nous allons rire ! »

Jaime

Le château de Corneilla était ancien. Entre ses vieilles pierres, la mousse poussait dru, entoilant ses murs comme des varices sur des jambes de vieillarde. Deux énormes tours flanquaient la porte principale du château et de plus petites défendaient chaque angle de ses remparts. Toutes étaient carrées. Des tours rondes ou des demi-lunes résistaient mieux aux catapultes, puisque la courbure du mur avait plus de chances de dévier les pierres, mais Corneilla précédait cette habile découverte des architectes.

Le château dominait la large vallée fertile que les cartes et les hommes avaient appelée le val Nerbosc, le val du Bois noir. Val, certes, c’en était un, sans aucun doute, mais nul bois n’avait poussé ici depuis plusieurs millénaires, qu’il fût noir, brun ou vert. Jadis, oui, mais les haches avaient depuis longtemps abattu les arbres. Des maisons, des moulins et des redoutes s’étaient dressés où autrefois se tenaient de hauts chênes. Le sol nu et boueux se ponctuait çà et là de congères de neige en train de fondre.

Dans l’enceinte du château, en revanche, persistait encore un peu de forêt. La maison Nerbosc révérait les anciens dieux et pratiquait comme l’avaient fait les Premiers Hommes avant l’arrivée des Andals à Westeros. Certains arbres de leur bois sacré étaient réputés aussi anciens que les tours carrées de Corneilla, et singulièrement l’arbre-cœur, un barral de taille colossale dont les ramures supérieures se voyaient à des lieues, tels des doigts osseux griffant le ciel.

Lorsque Jaime Lannister et son escorte, sinuant à travers le moutonnement des collines, pénétrèrent dans le val, il ne restait plus grand-chose des champs, des fermes et des vergers qui avaient jadis entouré Corneilla – rien que de la boue et des cendres et, ici ou là, les coquilles noircies de maisons et de moulins. Dans cette désolation croissaient mauvaises herbes, ronces et orties, mais rien qu’on pût qualifier de récolte. Partout où Jaime portait son regard, il voyait la main de son père, même dans les ossements qu’ils apercevaient parfois en bordure de route. Des moutons, pour la plupart, mais on voyait également des chevaux, du bétail et, de temps en temps, un crâne humain ou un squelette décapité dont les herbes folles envahissaient la cage thoracique.

Corneilla n’était pas encerclée par de grands osts, comme cela s’était passé à Vivesaigues. Ici, le siège était une affaire plus intime, un nouveau pas dans une danse qui remontait à bien des siècles. Au mieux, Jonos Bracken avait cinq cents hommes autour du château. Jaime ne voyait ni beffroi de siège, ni boutoir, ni catapulte. Bracken n’avait nulle intention d’enfoncer les portes de Corneilla ni de prendre d’assaut ses hauts remparts épais. Sans perspective de renforts, il se satisfaisait de réduire son rival par la faim. Assurément, il y avait eu au début du siège des sorties et des escarmouches, et des échanges de flèches ; au bout de la moitié d’un an, tout le monde était trop épuisé pour s’adonner à de pareilles sottises. L’ennui et la routine, les ennemis de la discipline, avaient pris le dessus.

Il est grand temps de régler ceci, songeait Jaime Lannister. Maintenant que Vivesaigues était en sécurité dans les mains des Lannister, Corneilla constituait le dernier bastion de l’éphémère royaume du Jeune Loup. Une fois qu’elle aurait capitulé, le travail de Jaime sur le Trident serait achevé et il serait libre de revenir à Port-Réal. Au roi, se dit-il, mais une autre partie de lui souffla : à Cersei.